Phosphorescent, le cœur grand ouvert

« Trois accords et la vérité » disait le singer songwriter Harlan Howard pour définir la musique country qui lui était chère. Les accords et la vérité de Phosphorescent, alias Matthew Houck, héritier en bout de chaîne d’une longue tradition de cow-boys mélancoliques américains, ont traversé bien des couleurs à travers les années. Une des figures du renouveau folk et country au milieu des années 2000, ses chansons se sont naguère parées de performances vocales polyphoniques, se sont orientées autour de la guitare, d’abord acoustique, puis électrique, avant de faire leur place aux synthétiseurs. Mais la recette, elle, est toujours restée fidèle à l’éthos de la country music. Et, cette fois plus que jamais, elle touche.

2024 a commencé depuis tout juste vingt-trois jours quand paraît Revelator, le septième album studio de Phosphorescent. Et sa lecture depuis trente-et-une secondes quand Matthew Houck commence à chanter. Dès le premier morceau, c’est la familiarité d’une écriture, l’évidence harmonique du vieux sud et la vérité qui jaillit « I got tired of sadness / I got tired of all the madness / I got tired of being a badass / All the time ». On a quitté les esquisses planantes et presque liturgiques de Pride (le deuxième album, en 2007), on a laissé les textures synthétiques des albums suivants. Retour de la pedal steel guitar, nappes de cordes et batterie élégamment étouffée, cet album-là est celui d’une nouvelle naissance. Phosphorescent raconte avoir pris conscience qu’il écrivait un album en achevant cette première chanson, qu’il indique « être peut-être la meilleure chanson qu’il ait jamais écrite ». Revelator ouvre l’opus en faisant renaître devant nous des thèmes familiers à Houck : ce cœur grand ouvert dans un monde qui ne l’est pas, ces ruptures qui l’ont forgé, cette fatigue de soi « How can I get it right / I don’t Even like what I write / I don’t Even like what I like / Anymore ».

Le titre suivant est écrit -c’est une première- par la compagne de Houck et sa claviériste sur scène, Jo Schornikow. Avec The world is ending, quelque chose d’une mélancolie du vieux Sud touche à nouveau, lorsque le chanteur confie au refrain « appartenir à une chanson d’une autre époque », et savoir « la fin du monde proche ». Refrain accrocheur, tout en contrechants d’orgue B3, on y trouve également quelques rimes savoureuses, qui dessinent la trajectoire d’un parent dépassé et enchanté par une génération qu’il ne comprend pas tout à fait. « The Palm leaves laid for you to play on / They sway as you come to / And all of this new happiness / Makes it all the more uncouth / That I belong, to an older song ».

Fences évoque dans un paysage chaud et lent le délitement progressif d’une relation. On retrouve, un peu plus loin sur l’album, les polyphonies vocales planantes de Houck sur Wide as heaven, où sa voix écorchée narre, dans un angélisme ambigu, les éternels écarts entre un paradis fantasmé et une réalité fuyante. Le riff accrocheur de A Moon behind the clouds montre, un peu plus loin, Houck dans des revendications affectives nouvelles pour l’album « Don’t suppose you need to face it / Tell you now, you do ».

Si elles abordent toujours des thèmes de séparation, de désillusion et de lassitude de soi, les chansons de Houck s’éclairent tout de même nettement depuis 2018. Revelator confirme la tendance. Changé par la naissance de deux enfants, conforté dans un son chaleureux et indémodable, Houck se fait désormais passeur et contributeur de premier ordre à une tradition inépuisable du songwriting américain.

On appelle phosphorescent ce qui, une fois chargé de lumière, continue de briller même dans l’obscurité. On ne rechigne pas à qualifier Houck de la sorte. Lui, l’auteur de la lumière mise à mal, du temps impitoyable pour l’amour et pour soi-même. Lui, qui répète en refrain de son dernier titre une confession « To get it right is hard to do ». S’en sortir n’est pas toujours évident. On peine parfois à saisir ce qui luit encore, la lune derrière les nuages. Mais Phosphorescent achève son cinquième album par une autre confession. « We get it right, it’s what we do ». La lumière persiste et triomphe.

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