Autant se l’avouer, parfois on manque de temps. Alors des albums nous passent sous le nez, des albums qu’on aime mais dont on ne prend pas le temps de parler. On a décidé de contrer tout ça en lançant nos articles rattrapage ou l’on rient sur des albums des derniers mois qui nous on marqué. Aujourd’hui on vous propose de découvrir les derniers albums de Wassailer, Cabadzi, Nick Waterhouse.
Wassailer – I, the bastard
Il ne faudra que quelques secondes à la bien-nommée Foreplay pour cadrer le centre d’action de l’album de Wassailer : une voix, un accent à couper au couteau et nous naviguons vers l’Angleterre. Ce personnage qui ouvre l’album semble être à l’image de son pays ces dernières années : erratique. Hurlant sa peine avinée à qui veut bien l’entendre.
L’idée n’est pas nouvelle, elle est pourtant évidente : en laissant la lumière à un autre en guise d’introduction, Wassailer nous installe dans un monde, un paysage qui sera le socle de la musique qu’il s’apprête à nous offrir. Ainsi, si à l’écoute de I,the bastard on réalise la teneur hautement personnelle des propos (un titre pareil, ça ne s’invente pas).
Ainsi, on peut voir en William un réceptacle aux histoires du monde dont il se fait l’écho. Un monde en chaos donc, comme une sorte de gueule de bois perpétuelle de laquelle on ne sortirait jamais.
En résulte des morceaux qui portent en eux cette vibe très anglaise de mêler l’intime et le politique, notamment sur les excellentes Trad, Son ou les plus sensibles 242 et Ghosts. Le tout offrant un jeu de miroir assez troublant d’un homme et d’un pays en quête de reconstruction où Wassailer se fait fatalement autant acteur qu’observateur. Si les morceaux frôlent souvent la désespérance, on sent malgré tout une volonté d’avancer, de trouver cette lumière et cette paix à laquelle on aspire tous.
De cette terre d’accueil, le multi-instrumentiste garde aussi une cartouche aussi évidente que réjouissante : la volonté de ne pas choisir. I, the bastard est musicalement en explosion, un terrain de jeu fertile dans lequel on peut successivement passer du dancefloor au besoin de noyer sa peine dans sa bière, et ce parfois dans la même chanson.
Impossible de résister au beat monstrueux de Settlement autant qu’à la fluidité assez folle de Domestic Dogs Barking ou Going To The Club qui en un battement de cœur nous fait passer du hip hop à la musique électronique pour finalement nous terminer dans des chœurs et des sonorités que n’aurait certainement pas renié Radiohead.
De même, impossible de résister à Ghosts qui part d’un jazz très moderne pour aller se mélanger lentement mais surement à la folk alors que la superbe Song For Elsa termine de nous emporter dans son flot d’émotions brutes.
Le tout fait de I,the bastard un album unique, rempli d’aspérités, de colères, de doutes et de tendresse. Une musique de bâtard sensible qui s’autorise tout aussi bien dans le fond et dans la forme.
Dans Miss Trolleys, Wassailer nous dit « Don’t ask me where I’m from, ask me where i’m going« .
Avec ce genre d’album, on peut le dire, on lui souhaite d’aller très, très loin.
Nick Waterhouse – Promenade Blue
Comment parler correctement de la musique de Nick Waterhouse ? Parfois la question se pose, non pas pour les genres musicaux, mais pour certains paradoxe.
On a décidé d’employer un terme qu’on aime beaucoup et qui est, selon nous, terrible correct pour quantifier la musique du californien : de la musique DeLorean.
Car oui, depuis plus de 10 ans maintenant, Nick Waterhouse s’amuser à « ramener dans le futur » des grands pans de la tradition musicale américaine, de la soule au rock en passant par le rythm’n’blues.
L’emploi de ces mots n’est pas anodin, car ils créent tous le paradoxe du bonhomme à lunettes : Certes ses influences sont ancrées dans les 50’s et les 60’s mais dans le même instant, il applique à sa musique une production très moderne, qui lui offre un rendu chaleureux et très propres qui l’ancre fatalement dans notre époque.
Si on ajoute à cela le besoin d’introspection cher à l’artiste qui nous ramènera facilement dans sa jeunesse et son adolescence, et par conséquent dans les années 80, on peut se retrouve ainsi dans une multitude de faisceaux temporels qui mène à Promenade Blue, 11 morceaux sublimes et subtiles qui deviennent par conséquent intemporels.
Promenade Blue est donc un véritable travail d’orfèvre, 11 morceaux autobiographique, parfois mélancolique, souvent solaire, dans lesquels Nick Waterhouse traite de tout ou presque : son amour pour sa ville de jeunesse, les relations sentimentales vouées à l’échec, les sessions d’enregistrement, la célébrité, les déviances et l’espoir toujours.
Musicalement, comme dit précédemment, on est jamais perdu. On pourrait parfois parler de facilité, mais rien n’est jamais facile avec ce bon vieux Nick. Au bout de 10 ans, l’artiste a forcément trouvé sa formule et c’est pour notre plus grand plaisir qu’il l’habite de nouveau. Cependant, en s’associant avec le producteur Paul Butler, il s’autorise à ouvrir son son à quelqu’un d’autres et cela s’en ressent en terme de production.
On plonge donc dans cette bulle sans temps où les instruments à cordes nous guident (Very Blue ou Places Names) tandis que les cuivres nous bercent, notamment sur la superbe Fugitive Lover. On appréciera les jeux de dialogues entre Nick et les chœurs sur Minor Time, The Spanish Look ou Medecine tandis qu’on se laissera emporté par l’électricité de Vincentine et qu’on s’offrira un petit pas de danse sur B. Santa Ana, 1986,
Oeuvre intime et faussement vintage, Promenade Blue est une nouvelle preuve de tout le talent qui habitent Nick Waterhouse. Un album parfait pour filer sur la route les cheveux au vent pour une promenade que vous ne regretterez pas.
Cabadzi – Bürrhus
Vous ne le savez sans doute pas, mais vous êtes tous les cobayes de l’expérience de Burrhus Frederic Skinner. Dans les années 30, le psychologue américain a mis en place un dispositif de conditionnement, poussant des pigeons à l’addiction en leur offrant de manière aléatoire de la nourriture lorsqu’ils appuient sur un bouton. Ce dispositif sera par la suite réutilisé dans les machines à sous et, dans notre époque moderne sur les réseaux sociaux.
Une récompense aléatoire, une course au like, au commentaire, à la validation qui a fini par faire des réseaux sociaux une extension de notre vie, pour le pire comme pour le meilleur. Cette expérience est parfaitement expliquée par Cabadzi sur Les pigeons de Skinner I & II qui ponctuent leur album intitulé… Burrhus.
Ce nom, ils l’auront aussi donné à l’élément central de leur série de clips, une société globale qui dirige le peuple dans une société parallèle qui semble à la fois dystopique et proche de notre propre monde.
À l’heure où notre vie est désormais dictée par les réseaux, où l’on fait des apéros et des concerts par écrans interposés, il aurait été facile de faire un album à charge. Pourtant il n’en sera rien ici. Bien loin de centrer Burrhus sur une analyse froide et clinique de notre société, Cabadzi part dans une direction opposée, celle du pathos et prenne comme colonne vertébrale un élément aussi aléatoire que l’expérience de Skinner : l’humain.
Ainsi, les nantais nous offrent un vrai projet qui s’écoute de la première à la dernière seconde, qui fait défiler son fil narratif tout au long de 16 titres variés qui forment une sorte de documentaire auditif, une collection d’observations et de point de vue mis en musique.
Un kaléidoscope de pensées qui pourrait sembler schizophrénique avant qu’on ne réalise que chaque morceau est en réalité l’expression d’une personne différente.
Cette idée, superbe d’intelligence, permet à Cabadzi d’éviter tout manichéisme. Surtout elle leur permet d’habiller chaque morceau, d’explorer les genres musicaux et les ambiances avec autant de bonheur qu’ils pointent les incohérences et les petites vicissitudes de l’esprit humain.
Des paradis artificiels de Cabane, aux percussifs Animal et Voudrait, en passant par la volonté solaire de Puzzle, la mélancolie désespérée de Je Mens et Taré ou la très rentre dedans Athazagoraphobe, Cabadzi habille superbement ses émotions, parfois de manière décalée, pour faire ressortir encore plus son propos.
« Rater sa vie, c’est déjà ça » nous dit Cabadzi. Loin d’être négatif, Burrhus est un constat , l’analyse d’un monde à l’instant T. Sans jugement et avec énormément d’empathie, le duo ausculte l’ère 2020 dans ce qu’elle a de bon et de mauvais. Un monde ouvert plus que jamais sur les autres mais qui au final pousse les gens à ne vivre qu’à travers eux même.
Burrhus est un album qui questionnera tout ceux qui l’écouteront, car à un moment ou un autre, on se reconnait dans les propos de Cabadzi. Ce qui est à la fois beau et inquiétant.