Rencontre avec La Chica

Comment décrire la musique de La Chica? La Chica est une artiste inclassable qui ne veut surtout pas être classée. Aller à un concert de La Chica, c’est avant tout une expérience unique et intense qui mêlera sa voix de magicienne aux sons envoûtants du piano, une scène intimiste éclairée aux bougies dans une salle au parfum du Palo Santo, ce bois sacré des chamans incas. On l’a suivi à Créon pour son dernier concert solo au piano en jouant les photographes de tournée et on en a profité pour parler musique, tournée 2024 avec El Duende, composition et collabs. 

Photos: Alexia Arrizabalaga-Burns, Troubleshooteur

« Je ne veux surtout pas être classée »

La Chica

La Face B: Gros concert fin novembre à la Seine Musicale avec Marino Palma, alias El Duende. Comment tout cela s’est préparé pour toi? Tu es aussi la Cheffe d’Orchestre de ce projet?

La Chica: Non je suis pas la Cheffe d’Orchestre, c’est Marino Palma, mon ami franco-colombien donc on partage cette bi-culturalite. Il est pianiste, arrangeur, et il s’avère qu’on a eu la même prof de piano, petits donc on partage l’enseignement de cette femme incroyable qui s’appelait Françoise Azema et qui nous a transmis un enseignement vraiment particulier de la musique et de la vie qui résonne encore aujourd’hui beaucoup en nous. A chaque fois qu’on joue du piano, on se le dit. Y’a des phrases d’elle qui reviennent. Je me suis remise à faire du piano pour cette tournee, Il y a tout son enseignement qui est revenu…. J’avais 9 ans quand j’ai commencé avec elle. J’étais une toute petite fille. On a ce truc là en commun donc c’est lui qui a fait les rearrangements de cette version pour orchestre.

La Face B: Tu vas finir une tournée juste toi au piano. Pour ce projet, tu t’entoures d’autres personnes. Comptes-tu le faire voyager?

La Chica: Ben écoute… Inchallah. C’est un changement radical de vibrations. Après avoir expérimenté le fait d’être seule sur scène, d’aller puiser des choses à l’intérieur de moi pour les partager avec le public, avec les gens, là je me retrouve portée par des vibrations organiques puissantes parce qu’un orchestre, c’est comme un espèce de souffle qui te porte vers le haut et c’est extrêmement agréable. Je ne connaissais pas cette sensation, je l’ai découverte quand on s’est mis à répéter et je me suis dit “je veux vivre ça plus souvent” donc au lieu de faire qu’une seule date a Paris, on s’est dit qu’il faut absolument essayer de le partager ailleurs. 

La Face B : Récemment tu as aussi répété avec les Frères Ceccaldi.

La Chica: Ceccaldi! Tout à fait! C’est le projet de Théo Ceccaldi de prendre 3-4 chanteurs/chanteuses, de jouer les morceaux de ces artistes avec des arrangements pour violoncelles et violons. Inutile de te dire que ces deux personnes étant extrêmement talentueuses, c’est merveilleux! Parce que c’est vraiment l’essence des chansons qui sont retransmises. On a fait ca avec Sofiane Saidi (chanteur Algerien), Emma Lamadji (Chanteuse franco centrafricaine) qui est aussi la choriste de Oumou Sangare, Anna Madison (chanteur franco américaine) et moi. On s’est présentés plusieurs fois et à chaque fois qu’on se retrouve, on est tellement contents. Y’a que de la bienveillance, c’est un super moment passé tous ensemble et c’est très beau. J’adore faire ce genre de collaboration.

Photos: Alexia Arrizabalaga-Burns, Troubleshooteur

La Face B: En parlant de collab – nouveau clip avec le featuring de Lisbone. 

La Chica: Une petite douceur qu’on a concoctée avec un artiste qui s’appelle Lisbone, qui est un ami très cher. Il chante en français. Il a ce projet que j’aime beaucoup: j’aime beaucoup ses textes, sa manière d’écrire et surtout ses grilles harmoniques. C’est rare que j’accroche sur les grilles harmoniques des autres. Quand il s’agit de s’exprimer vraiment, j’aime retrouver mes harmonies a moi. Ce qu’il m’a proposé m’a paru tellement beau que j’ai eu envie tout de suite de continuer cette collaboration. On est allé au bout du projet: on a même fait un clip qu’on a tourné au Cirque de Navacelle dans le sud de la france et qui a été réalisé par Ruby Cicero qui est une réalisatrice italienne. Donc très belle expérience et très beau morceau qui s’appelle Volver qui a une atmosphère un peu surréaliste. J’ai l’impression que dedans il a ce surréalisme magique qui existe beaucoup en Amérique Latine, et qu’on retrouve parfois dans des films dans lesquels on a cette espèce de paysage infini entre le rêve et la réalité avec des couleurs qui se confondent et des dimensions qui se confondent. C’est le mood qu’on a essayé de reconstruire dans cette chanson.

Clip de Volver – Ruby Cicero

La Face B: En termes de créativité, le projet de cette tournée est hyper personnel mais il va se terminer. Qu’est ce qui t’anime maintenant quand tu crées, et est ce que tu écris en ce moment?

La Chica: Ce qui m’anime en ce moment est très différent de ce qui m’animait y’a 3 ans au moment où j’ai composé le dernier album. Je suis dans une autre énergie: y’a 3 ans, je commençais un deuil et je le commençais en créant un album pour mon frère. J’allais ensuite le porter sur scène pour transformer ces émotions. 3 ans: il y a du chemin qui a été parcouru. Il y a une guérison qui a opéré en partie grâce aux concerts et au fait d’aller transformer toutes ces émotions brutes sur scène et d’aller en faire autre chose. Pas les garder comme elles étaient mais les transformer. Et là je suis dans une énergie beaucoup plus solaire je pense. L’expérience de la mort m’a apporté énormément d’amour et de lumière et j’ai envie de partager ça aussi. Je suis vraiment attirée par l’état du monde. Je suis outrée par ce que je vois, par les comportements des gouvernements un peu partout sur cette planète. Je crois qu’il y a beaucoup de choses à faire, à dire et à faire artistiquement au niveau des vibrations pour aller altérer cette noirceur absolue qui nous touche tous et toutes. Nous, le peuple, quand on voit des images de gens qui meurent, on est touchés par ça. On est jamais représentés par nos dirigeants, nos gouvernements donc j’ai envie de continuer à faire de la musique pour le peuple, les gens, les humains d’une manière universelle. Il faut qu’on continue à s’envoyer de l’amour parce qu’on en a besoin. Il faut contrebalancer ce qui est en train de se passer ailleurs.

Photos: Alexia Arrizabalaga-Burns, Troubleshooteur

La Face B: Et de rassembler aussi. Il faut essayer de regarder ce qui nous rassemble et nous unit  à défaut de ce qui nous oppose. La musique est pour tous: tout le monde peut danser, chanter. On a eu un sacré coup avec le Covid qui nous a privés de concerts. Et on le ressent car l’attitude du public est de plus profiter pendant un concert. Y’a quelques semaines, j’ai rencontré Gilberto Gil

La Chica: wooooow Giberto Gil (avec l’accent)

La Face B:  Il parle très bien français, il a vécu dans plein d’endroits: Paris, Londres, New York. Son seul message c’est la Paix, l’harmonie. C’est à la fois beau et triste de répéter les choses qui devraient être une base, un acquis.

La Chica: t’as vu comme c’est sous-estimé, sous-coté? La notion de gentillesse, entraide… comme si ce n’était pas possible.

La Face B: Y’a une phrase de Keanu Reeves qui dit “ je ne veux pas vivre dans un monde où la gentillesse est considérée comme une faiblesse” . C’est hyper touchant et c’est le combat de sa vie: la paix, la gentillesse, l’entraide.

La Chica: Et puis il incarne vraiment ça. Quand tu le vois être, vivre, faire, tu te dis ben oui. T’y crois. C’est très incarné. 

La Face B: Pour revenir a toi, tu as plus d’ énergie solaire quand tu composes? D’autres messages, d’autres choses, d’autres envies? Ça fait évoluer les projets, les histoires. C’est beau! Et musicalement, comment tu composes?

La Chica: C’est rarement facile. La partie musicale, le squelette peut arriver vite mais quand il s’agit de mettre les mots, les paroles. J’ai besoin que ça sonne. Au-delà de raconter quelque chose qui est très important pour moi, j’ai besoin de pouvoir projeter la voix, que les mots résonnent et je crois que c’est pour ca que je chante pas trop en francais. J’ai pas trop trouvé la manière de chanter en français et que ça résonne. Donc, je me prends la tête sur les mots que je vais utiliser et l’impact que ça va avoir si tu les projettes sur quelqu’un. Donc le taf d’écriture n’ est vraiment pas facile quand le morceau est déjà musicalement et que je vais devoir dire ce qu’il faut dire par dessus, ce n’est pas évident. En revanche, ces derniers temps, j’ai testé une autre méthode qui est celle d’écrire des textes avant: c’est a dire avoir déjà un set de phrases qui sonnent, qui marchent et ensuite de les mettre en musique, de les mettre en mélodie. Et ce chemin inverse m’emmène dans des chemins que je ne connaissais pas et des pistes que je n’avais jamais testé. C’est très intéressant. On va voir ce qui ressort de ça. 

La Face B: C’est un peu l’exercice thème ou version … (blague de linguiste)

La Chica: ben ouais et je crois qu’il faut tester régulièrement de nouvelles méthodes. 

La Face B: A part tes projets persos et ceux dans lesquels tu participes, est ce que tu écris pour les autres. Ou c’est un exercice tellement personnel que tu ne peux écrire et composer seulement pour toi ou c’est quelque chose que tu fais déjà ou aimerais faire?

La Chica: J’ai pas encore réellement fait l’exercice parce que j’ai manqué de temps et le peu de temps que j’ai doit me servir pour faire un album pour moi. Donc a part poser sur la musique des autres et faire des featurings, j’ai pas fait l’exercice de composer en pensant à une personne, à son univers et à voir ce qui pourrait marcher pour elle. Je pense qu’à terme, c’est quelque chose que j’essaierai. J’ai attendu beaucoup de temps pour faire mon premier projet. J’ai longtemps bossé pour les autres: j’étais pianiste, claviériste et accompagnatrice pour Mayra Andrade, Pauline Croze, Christophe Mae, Yael Naim, Shym’ pendant des années et  j’ai maintenant beaucoup de choses à dire donc je crois que j’ai encore envie de me concentrer sur les choses que je veux exprimer moi avant de redonner mon énergie aux autres.

La Face B: Tant que cette source d’inspiration et créativité vient et continue à se renouveler et s’épanouir, il faut en profiter. J’ai une question sur les “Brujas” (sorcières) , un mot qui revient énormément dans le concert et les chansons. Est ce que tu a été élevée par des femmes fortes et peu d’hommes?

La Chica: Dans ma famille, y’a eu plus de femmes que d’hommes en proportion. Rien qu’en prenant la lignée de mon arriere grand mere, ma grand mère, et ma mere côte Venezuela, on est sur une lignée de femmes très fortes, des guerrières, des femmes qui ne se sont pas satisfaites du rôle qu’on voulait leur imposer dans la société et qui ont eu des attitudes de rébellion par rapport a ca. Ma grand- mère qui est décédée il n’y a pas très longtemps était anthropologue-archéologue au Venezuela. Elle a construit le premier musée archéologique de la ville de Mérida au début de la Cordillère des Andes et elle était chamane aussi. J’ai grandi en la voyant être ce qu’elle était tout simplement. Je crois que ce sont des choses qui impactent et qui laissent des traces indélébiles. Quand elle est décédée, j’ai senti toute une quantité d’informations que j’avais oublié comme si tout d’un coup, le fait qu’elle soit partie, tout cet héritage qui me tombait dessus que je reprends et qui a legitimise toutes ces choses que je faisais par intuition.

La Face B: C’est une transmission un peu subconsciente. Moi aussi j’ai perdu ma grand-mère il y a deux mois. C’était aussi une de ces femmes guerrières. Mon grand-père était marin pêcheur, il partait pendant des mois et il y a avait des quartiers de femmes au Pays Basque qui s’entraident et élevaient leurs enfants seules pendant que les maris travaillaient en mer.

La Chica: elles gèrent tout….  Dans la notion de brujas, il y a cette notion d’indépendance, la notion de femme qui peut se démerder par elle meme.  Le fait d’avoir choisi de s’écarter de la société, en tous cas du rôle qu’on lui avait donné, à se créer son propre rôle, et la capacité d’altérer les énergies autour d’elle. Ca se raprocche des amazones. On peut aussi parler de magiciennes: Brujas, Magas. Par expérience, toutes les femmes que j’ai vu se connecter à elles-mêmes, à leur nature instinctive, s’assumer complètement. Je n’ai jamais vu ces personnes là utiliser leurs énergies dans la mauvaise direction, de manière négative vers les gens. Ce sont des femmes qui veulent plutôt soigner et guérir elles même et puis les autres aux alentours. Je n’ai pas connu de femmes qui détruisent  mais que des femmes qui créent. 

Photos: Alexia Arrizabalaga-Burns, Troubleshooteur

La Face B: C’est une richesse car cela t’inspire et t’influence à faire de même. Dernière question sur les éléments: l’eau est très importante dans tes textes, la purification, le pouvoir de guérison de soulagement. 

La Chica: Depuis toujours je me suis toujours sentie très connectée à la nature. L’autre jour, j’ai un souvenir de mon enfance qui m’est revenue. J’avais complètement oublié. Mon instrument c’est le violon, j’ai commencé le violon avant le piano et je me vois encore. On était en Bretagne avec ma famille. J’avais mon violon avec moi et je sors de la maison pour aller jouer pour les arbres. Ce souvenir m’est revenu parce que j’étais minée par le fait qu’il a des millions d’hectares d’arbres détruits avec les bombardements un peu partout et ce truc là m’est revenu. J’ai toujours eu une relation particulière avec les arbres depuis que je suis toute petite. Je ne sais pas d’où ça vient. J’imagine qu’on me l’a enseigné.

La Face B: C’est le contexte dans lequel tu grandis. Certaines choses sont faites instinctivement

 La Chica: Quand tu as eu autour de toi une nature qui est suffisamment dense, intense qui est capable de prendre l’ascendant sur tout, comme ce qui est le cas au Venezuela ou la nature est tellement puissante et intense, c’est elle qui gagne quoi qu’il arrive. L’eau c’est l’élément qui gagne sur tous les éléments, c’est le plus puissant. C’est mon élément. Je me suis beaucoup lavé dans les rivières qui ont un pouvoir très puissant: se mettre dans le sens du courant et laisser passer l’eau, tu t’imagines que tu es en train de lâcher toutes les choses négatives qui t’habitent et tu les laisses partir avec le courant. Tu ressors de là, tu es plus légère. Si tu veux te régénérer, tu vas dans la mer et elle t’amène cette énergie avec les vagues.

Decouvrez son live Piano Day extraordinaire avec Arte.

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