On les attendait depuis longtemps : la formation shoegaze DIIV vient de terminer sa tournée européenne, enchaîne les festivals et s’apprête à fouler enfin le sol parisien à Rock en Seine ce vendredi – après avoir unanimement ravi la Route du Rock la semaine passée. Nous avions échangé avec l’ensemble du groupe (Zachary Cole Smith, Andrew Bailey, Colin Caulfield et Ben Newman) à l’occasion de leur passage au Grand Mix à Tourcoing en mai dernier, une date qui marquait le début de cette tournée européenne singulière. Le moment pour nous de faire le point sur leur processus de travail, leur album à venir, mais surtout sur la symbolique de ce premier album devenu culte, Oshin, sorti il y a 10 ans.
La Face B : Déjà comment allez-vous ? Qu’est ce que ça vous fait de tourner en France actuellement ? Vous avez fait votre première date à Bruxelles hier soir, les retrouvailles entre DIIV et le public se sont bien passées ?
Andrew : C’était très intense mais le concert s’est très bien passé !
Zach Cole : On est assez fatigués quand même (rires) la première date est toujours folle. Le public était génial, honnêtement un des meilleurs publics qu’on ait eu, c’était assez fou. Tout le monde semblait très gentil et heureux, ça applaudissait beaucoup. Il y a eu un moment où ça a basculé et le public est devenu beaucoup beaucoup plus expressif !
Ben : Ils ont applaudi pendant vraiment très longtemps.
Andrew : Il y a eu un moment où je me tenais comme une sorte de Michael Jackson pendant quelques instants (rires) et ça a dû applaudir pendant une bonne minute, c’était jamais arrivé avant !
Colin : J’ai la sensation qu’en tant que musicien on se bat souvent pour avoir bien l’attention du public, et chacun a sa manière de réagir et d’interagir, mais on avait vraiment leur attention ici pendant tout le concert, comme ils ont payé leur place pour venir nous voir de toute manière (rires). Il y avait des gens super sympas qui venaient d’un peu partout en Europe, c’était cool.
Zach Cole : Ça faisait plus sens quand on a joué cette date spéciale à New-York pour les 10 ans du premier album – Oshin – et des gens venaient de partout aux USA.
Andrew : Des fois, les gens voyagent pour le travail ou voir leur famille ou quelque chose du genre, et en profitent pour venir nous voir visiblement (rires).
Zach Cole : Ou des fois tu voyages juste et tu te dis « Ok où est-ce que je vais aller ensuite ». La seule raison pour laquelle je me suis retrouvé en lune de miel en Belgique c’est parce qu’Alex G jouait là-bas. Il jouait à Londres avant et on s’est dit qu’on allait le voir, et après on a suivi le mouvement pour aller voir le concert suivant en Belgique.
La Face B : Vous sortez cette édition spéciale de Oshin et la tournée rend en grande partie hommage à cet album, qu’est ce que ça vous fait de vous dire que ce disque a déjà 10 ans ?
Zach Cole : On a l’impression que ça fait beaucoup plus longtemps à vrai dire (rires). On a vécu tout un tas de vies en tant que groupe, ça a pris une grande place dans ce qu’on est. On a tellement évolué depuis, j’ai bien dû vérifier trois fois que l’album était sorti il y a 10 ans et je me disais « oh ça fait 10 ans pendant la pandémie », on dit 10 ans maintenant, mais ça fait plus longtemps au fond. Quand je me remets même 5 ans en arrière, ça me semble être il y a 10 ans déjà…
Andrew : Oui je m’en souviens à peine (rires)
La Face B : Comment avez-vous pensé cette tournée, comme il n’y a pas de nouvelles musiques particulièrement – ou du moins on ne le sait pas encore – avec d’un côté cette célébration d’Oshin, et de l’autre vos deux autres albums Is The Is Are (2016) et Deceiver (2019), qui abordent des esthétiques bien différentes ? Je me demandais si vous vous sentiez toujours raccord avec l’ensemble de ces composition,s et comment vous cherchiez à transmettre ces différentes énergies en live ?
Zach Cole : Pendant un moment, je me suis vraiment senti déconnecté des morceaux plus anciens. Maintenant qu’on travaille sur de la nouvelle musique, on se questionne et on échange beaucoup plus sur la légitimité mais aussi sur l’histoire du groupe. Quel type de musique on fait, dans quoi est-ce que l’on s’adapte et comment on s’inclut au mieux dans notre histoire. Donc finalement, c’est plutôt cool d’en arriver là et de jouer tous ces morceaux différents les uns après les autres. Quand tu tournes juste pour un album, tu es très focus sur les nouveaux morceaux et les anciens viennent juste ici et là.
Colin : Le dernier disque donnait la sensation que le groupe recommençait à zéro et c’était vraiment nécessaire pour nous d’en venir à cette nouveauté. Avant, sur la précédente tournée, on jouait essentiellement Deceiver et un ou deux morceaux des autres albums. Là, on est dans un autre état d’esprit, où l’on a bien Oshin en tête, c’est plus facile de l’inclure, de le penser et de le jouer dans ce tout. Le dernier album était plus fort et puissant d’une certaine façon, mais de fait ça reste similaire à ce que l’on a toujours fait, ça sonne pareil finalement sur plusieurs points.
Andrew : Et c’est vraiment bien je trouve, je me dis que l’on mérite de faire ça et de procéder de cette façon en revenant sur notre travail passé.
La Face B : Vous êtes restés très connectés pendant la pandémie, et je me demandais, même si c’est toi Zach qui est à l’origine de DIIV, comment s’entretient votre dynamique de groupe aujourd’hui ?
Colin : Cole a en effet écrit le premier disque, et progressivement c’est devenu beaucoup plus collaboratif entre nous. Sur Is The Is Are, Bailey (Andrew) et moi on n’a rien écrit, mais on était toujours là pendant les arrangements et la construction du disque. Et Deceiver a été un nouveau step collaboratif pour nous tous, c’est quelque chose qui se fait de façon très graduelle et naturelle finalement.
Ben : Il y a une dynamique particulière où l’on travaille maintenant à la fois séparément et ensemble, où l’on s’envoie des enregistrements les uns aux autres, où l’on est dans l’échange, avec le nouveau disque on fonctionne comme ça.
Zach Cole : C’est beaucoup d’expérimentation globalement, on essaye des choses on se dit « ah ok c’est intéressant » et après on essaye de nouvelles choses, on avance et on grandit toujours avec ça pas à pas. Et avec la pandémie on était séparés et on devait apprendre à travailler indépendamment.
Colin : Aussi, DIIV possède cette qualité mystérieuse qu’on a tous, celle d’arrive à tenir le coup autour du collectif. C’est plus important aujourd’hui que la musique sonne comme quelque chose où chacun a participé, plutôt que l’essence d’une seule personne qui a tout écrit. C’est ce truc collaboratif qui nous permet d’atteindre la tangibilité de ce qu’est le groupe, plus ou moins.
La Face B : Donc vous travaillez / vous avez travaillé sur un nouvel album tous ensemble… Vous avez déjà prévu sa sortie ?
Zach Cole : Ce n’est pas tout à fait défini, on espère plus ou moins sortir ça d’ici l’automne !
La Face B : Et est-ce que vous commencez déjà à jouer de nouveaux morceaux sur scène, ou est-il encore trop tôt pour ça, et vous préférez vous concentrer sur Oshin et les deux autres albums pour cette tournée si particulière ?
Ben : Pas encore à vrai dire, on a mis beaucoup d’énergie dans cette tournée autour d’Oshin donc ce n’est pas à l’ordre du jour, mais c’est quelque chose qui viendra par la suite.
Zach Cole : On a quand même quelques fois joué – notamment à Los Angeles – des versions des morceaux pas tout à fait aboutis. On l’a fait à plusieurs reprises en tournée, un peu pour voir ce qui marchait ou ce qui ne marchait pas sur scène. C’est quelque chose de particulier, c’est moins pour travailler le côté live qu’une alternative au fait d’avoir le groupe en studio ; ça nous permet de construire la musique, de procéder comme ça.
Colin : Et il y a quelque chose de particulier avec ces nouvelles musiques, elles nous semblent pas forcément importantes pour le moment mais elles ont un sens pour nous, d’un point de vue émotionnel. Et pour cette raison, ce serait comme une injustice vis-à-vis de ces morceaux de les jouer et de les présenter dans une version qui n’est pas aboutie. Mais c’est paradoxal, car on aime ce truc de jouer de nouveaux morceaux devant des foules pour ressentir l’énergie, voir comment ça se passe, c’est quelque chose que l’on veut faire, mais pas encore ici.
La Face B : Depuis combien de temps préparez vous cette sortie ? Est-ce un disque qui s’est construit sur le temps long ou sur une période précise et particulière ?
Colin : Je dirai que ça a été pendant toute la pandémie.
Andrew : Ça a été beaucoup d’allers-retours sur ce que l’on souhaitait et voulait faire en fait.
Zach Cole : Il y avait cette énergie où m’on se disait « c’est comme ça que le disque va être, ça va ressembler à tel groupe, faire ressentir telle chose etc. » et puis trois semaines passent et rien ne ressemble à ce à quoi on pensait. (rires) On a été méticuleux, Deceiver était presque un album de genre, on essayait de fitter avec des groupes en particulier, un environnement musical en particulier, tout en faisant notre propre truc. Mais ce nouvel album semble tellement plus différent dans l’approche qu’on en a eu. On développe une musique et si on est tous enthousiastes vis-à-vis de celle-ci, ça détermine la direction que prend l’album, plutôt que de chercher à faire rentrer des éléments en particulier dedans. Est-ce que cela fait sens ? (rires)
La Face B : Surement ! Je me souviens que l’année passée vous avez chacun fait des playlists sur Spotify qui m’avaient pas mal intéressée. Je me demandais si aujourd’hui vous aviez des artistes que vous écoutez en tournée ou que vous avez découvert récemment que vous souhaitiez nous partager ?
Ben : J’écoute ce mec, Container, il fait un travail vraiment intéressant sur la musique électronique et la dance music !
Zach Cole : Ce que l’on voulait vraiment mettre en avant avec ces playlists, c’est montrer à quel point, dans notre processus collectif, on est tous attiré par des choses très différentes. On apprécie beaucoup ça, écouter différent·es artistes et découvrir, parler et écouter de la musique. Ces playlists sont là pour montrer qu’on est quatre individus très différents finalement derrière DIIV. Je ne sais pas si j’aurais quelque chose à partager en particulier de mon côté !
Andrew : Pour moi ce serait une rappeuse, un rappeuse old school qui était passée totalement à côté de mon radar. Elle s’appelle Mother Superia, c’est très très cool, même si c’est difficile de pouvoir l’écouter et de trouver sa musique.
Colin : Je donnerai mon shout out à julie, c’est un groupe basé à Los Angeles qui sonne beaucoup comme Sonic Youth ou My Bloody Valentin,e mais ils font leur propre truc.
Zach Cole : Notre ami Parker Sprout vient aussi de sortir un disque et c’est vraiment cool – il fait de la musique depuis 10 ans.
L’édition spéciale des 10 ans d’Oshin est disponible sur le Bandcamp du groupe.