Rencontre avec Rori

Après un premier EP au début de l’année 2023, Rori continue de grimper la pente ascendante de sa carrière. Deux singles récents, une première partie de Lana Del Rey à l’été, la jeune musicienne belge impressionne et dévoile un univers unique influencé autant par sa vie que par la culture qu’elle s’est créée. C’est à l’occasion du MaMA Music & Convention qu’on est allé à sa rencontre pour en savoir plus.

La Face B : Salut Rori, comment ça va ?

Rori : Ça va, un peu fatiguée.

LFB : On est MaMA qui est plus un festival de professionnels. Est-ce que c’est quelque chose que tu appréhendes un peu ou pas du tout ?

Rori : Un petit peu parce que les professionnels ont l’habitude de voir des concerts donc ils peuvent être un peu timides dans la réaction. Mais après, ça va bien se passer. Tant que je m’amuse, c’est cool.

LFB : Ton projet est assez jeune mais j’ai l’impression qu’il a déjà eu plusieurs vies, notamment dans l’utilisation du langage. Je me demandais ce que ça avait libéré chez toi le fait de chanter en français ?

Rori : C’est surtout que j’avais plus confiance en moi dans la musique donc je me sentais prête à passer au français. Ça avait du sens parce que je trouvais que je pouvais expérimenter plus qu’en anglais. Je me sentais prête à faire autre chose et trouver une autre manière d’exprimer tout ce que je ressens. Ça a pris du temps mais je suis contente de l’avoir fait finalement.

LFB : Est-ce que tu as l’impression qu’en termes de vocabulaire ou de clarté du message, c’est plus simple pour toi ?

Rori : Ouais, mais après je trouve qu’en français, ça reste un peu plus dur. Les mots ne sont pas aussi ronds qu’en anglais par exemple. Le français est quand même une langue compliquée. C’est dur de trouver des mots qui correspondent en restant moderne, en ne parlant pas comme si j’avais cinquante ans. Des fois, j’écoute des chansons et je me dis que jamais de la vie je ne parlerais comme ça. Ça, c’est l’exercice un peu le plus dur. D’adapter ce que je dis à la manière dont je parle.

LFB : Il y a une sorte de challenge un peu plus « intéressant » de faire chanter le français, surtout sur une musique qui est quand même assez uptempo.

Rori : Ouais, ce n’est pas facile. Ça prend plus de temps. Ça ne se fait pas en une journée, mais je suis contente du résultat.

LFB : Il y a aussi moins de « pudeur » parce que forcément la compréhension de ton message est beaucoup plus importante.

Rori : Oui, ça aussi c’était un gros changement pour moi. Au final, ça m’a plutôt réussi, donc je suis contente d’avoir osé le changement.

LFB : Est-ce que c’est un truc qui t’intéresse l’ambivalence qu’il peut y avoir entre une musique qui est faite pour se relâcher, qui est très catchy, et un propos qui est un peu plus sombre parfois ?

Rori : J’aime bien. Je trouve ça chouette. Je ne l’ai même pas fait en me posant la question. Ça s’est fait naturellement. Je crois que j’ai besoin d’exprimer des choses sombres, d’une manière un peu énergique. Parce que tout ce que je ressens, c’est tellement violent à l’intérieur que la manière dont je dois l’exprimer, ça doit ressortir de la même manière. Je crois que c’est aussi pour ça que je le fais aussi naturellement.

LFB : Comment est-ce qu’on transforme des épisodes traumatiques en chansons ?

Rori : Comment on fait ? On prend une guitare, on essaie de trouver des mélodies. Ça ne fonctionne pas. On réessaie, ça ne fonctionne pas. On réessaie, ça fonctionne un peu mais le lendemain, ça ne fonctionne pas. C’est comme ça tout le temps. Essayer, rater, recommencer, prendre du recul.

LFB : Il n’y a pas un truc parfois dangereux quand tu chantes en concert et qu’il y a des sujets qui sont aussi forts comme ça de revenir dessus ? Selon l’état dans lequel tu es, tu n’as peut-être pas la même manière de vivre la chanson en fait.

Rori : C’est vrai. Mais en vrai, pour l’instant, je n’ai pas encore ressenti ça. Pour l’instant, je me dis que ça va mieux, j’ai fait du chemin. Donc je le vois plus comme ça mais peut-être qu’un jour, ça va m’arriver et que ça va me replonger dans mes torpeurs. Je ne pense pas. Je pense que si je les ai faites, c’est que je sentais que j’avais réussi à les dépasser et que je pouvais en parler. Du coup, tout ce que j’ai pour l’instant comme sentiment, c’est plus un sentiment que je suis de l’autre côté maintenant. Je me sens mieux.

LFB : Est-ce que ça te surprend et t’intéresse de voir à quel point ta musique peut se rattacher au quotidien ou à la vie des gens ?

Rori : Ça, je ne m’y attendais pas. Vraiment. Parce que c’est ma vie personnelle et tu ne te dis pas que d’autres personnes peuvent ressentir la même chose. Au final, tu te rends compte qu’on est tous pareils. Donc c’est assez marrant et tu prends les choses avec plus de distance aussi. C’est vrai que ça me fait plaisir quand je reçois des messages de personnes qui me disent que ça les touche ce que j’ai raconté parce qu’ils ont vécu ou qu’ils sont en train de vivre la même chose. Si je peux leur donner un peu de soutien comme ça avec une petite chanson, je trouve qu’il n’y a pas mieux comme récompense.

LFB : J’ai l’impression qu’au-delà des thématiques qui sont propres à chaque morceau, le gros message qui ressort de ta musique est un peu de dire qu’on n’est pas seuls et que c’est ok aussi d’être soi malgré ce qu’on peut nous dire.

Rori : Exactement. C’est totalement ça parce que j’ai dû me battre contre cette pensée. Je pensais que j’étais foutue parce que je n’étais pas passionnée par l’école, parce que je n’avais pas vraiment d’amis, parce que j’étais solitaire, que j’aimais des trucs que les gens n’aimaient pas nécessairement. Je pensais vraiment que c’était foutu, que je n’allais rien faire de ma vie et que ma vie était finie. Je pensais vraiment ça, depuis très, très jeune. Ça fait plaisir de se dire que si des gens peuvent prendre ça comme message et se dire qu’ils peuvent être eux-mêmes et faire quand même des choses. Je trouve ça trop chouette.

LFB : Tu t’es créé une espèce d’avatar de super-héros j’ai l’impression à travers ta musique.

Rori : On peut dire ça. C’est vrai, totalement. C’est mon petit alter-égo qui fait que j’arrive à faire plus de choses. Mais ça reste quand même moi. C’est ça qui est cool.

LFB : J’ai l’impression qu’il y a une espèce de direction artistique en termes de tenues ou de choses comme ça qui font aussi une vision upgradée de ta personne.

Rori : Ouais, c’est ça. C’est la version plus, plus de moi-même qui a plus confiance en elle, qui est plus courageuse, plus entreprenante. Comme un super-héros, je mets ça, je suis moi mais plus.

LFB : Cette idée de plus, plus, le fait d’utiliser la pop pour le faire, d’utiliser le côté un peu hybride, est-ce que ça t’aide en termes d’ambiance et de choix musicaux ?

Rori : Ouais totalement. J’avais envie de faire une pop hybride comme tu l’as dit, où il y a plusieurs influences et que j’arrive à bouger un peu le curseur. Il y aura des morceaux juste guitare/voix plus tard aussi. C’est ça que j’aime bien dans la pop. Tu peux un peu expérimenter avec ton son. Tant que tu as une chanson, couplet/chorus, on peut s’amuser à expérimenter. C’est ça que je trouve cool dans la pop.

LFB : Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que sur tes morceaux, je trouve qu’il y a une base hyper solide qui est centrée autour de la basse et de la batterie, un truc très rock. Ça ressort vachement.

Rori : Ça fait trop plaisir. Le basse/batterie, c’est le truc qui prend vraiment le plus de temps. C’est le truc qu’on cherche toujours à avoir le plus parfaitement possible. C’est vraiment ça le centre de la chanson, de la production. C’est vraiment ça qui nous tient le plus longtemps dans la prod’.

LFB : C’est vrai qu’à l’écoute, c’est ce que j’ai ressenti. Cette structure hyper importante où tu apportes des nuances mais des nuances avec de la guitare, du synthé, avec l’interprétation de la voix. C’est vrai qu’il y a ce truc très central et qui est très important dans le sens où j’ai l’impression que la musique est faite pour être jouée live avec des vrais instruments.

Rori : Exactement. Tu as tout compris, j’ai l’impression que tu étais là dans la pièce quand on a fait les chansons. Le live est hyper important pour moi. J’avais envie d’avoir ce truc d’image de groupe de rock. Sur des morceaux qui passent à la radio, on ne peut pas vraiment retrouver ça parce que c’est compliqué mais nos morceaux peuvent aller à fond là-dedans. Nous, on essaie d’amener ce petit curseur dans la musique. On n’y va pas aussi fort que dans le live mais ce qui est chouette, c’est que quand les gens découvrent le live, ils ne découvrent pas simplement la chanson. Il y a ce truc en plus où on est un groupe de rock. On est là pour tout défoncer.

LFB : Je ne t’ai jamais vue en live mais en termes d’énergie justement, qu’est-ce que tu as envie d’amener en plus à travers le live ?

Rori : Plus. Là, c’est vraiment guitare/batterie. Ma voix est là. On est là un peu comme des bourrins. On y va pour tout défoncer. J’ai vraiment grandi avec la musique des 90s’, avec tous les groupes donc c’était important de retrouver ce truc central qui est la musique, tu vas voir un concert donc tu en prends plein la gueule.

LFB : C’est intéressant parce qu’il y avait cette tradition un peu belge de groupes de live avec des gens comme Ghinzu ou Soulwax où il y a vraiment cette idée de faire du live une expérience différente.

Rori : Quand je vais voir des concerts et que j’entends que c’est exactement comme sur Spotify, je suis un peu déçue parce que je me dis que c’est là justement où tu peux montrer. Tu invites des musiciens, tu prends des musiciens avec toi, tu peux faire une belle production musicale. Il faut y aller à fond quoi. Pour l’instant, on fait ce qu’on peut. On n’a pas les mêmes budgets que Beyonce.

LFB : Vous êtes combien sur scène ?

Rori : On est trois du coup. Ça va évoluer de plus en plus. Il faut faire les choses en son temps mais ça déboite déjà pas mal. Je suis déjà très contente.

LFB : Il y a encore des bandes ?

Rori : Oui, un peu. On ne peut pas encore tout supprimer malheureusement.

LFB : L’objectif à long terme, c’est full band du coup ?

Rori : Ouais, full band. Ça serait mon rêve, ne plus voir un ordinateur. Ableton, je ne veux plus voir ça.

LFB : C’est ça qui est intéressant quand même, qui n’est pas forcément le cas pour tout le monde et qui se ressent déjà dans la façon dont les morceaux sont faits. Il y a vraiment cette ambition.

Rori : Ouais, d’avoir une proposition live. Ça fait tellement plaisir.

LFB : Je n’ai pas encore vu le live mais quand tu entends les morceaux, tu sens qu’il y a un truc encore plus sauvage qui peut être transféré.

Rori : Trop cool.

LFB : J’ai des questions autour de la musique. J’ai un problème personnel avec l’injonction d’incarner la musique sur les réseaux sociaux. Toi, est-ce que ça te fait un peu peur cette obligation ? J’ai l’impression que tu l’utilises avec un peu d’humour, genre encore un post absolument parfait pour présenter ma musique.

Rori : C’est ça. Je trouve ça complètement horrible. Je déteste les réseaux. Mais il faut accepter qu’on est en 2024 et que ça fait partie du jeu et qu’au final, c’est mon projet mais il y a d’autres gens qui investissent leur temps. Donc je suis d’accord de jouer le jeu. Mais par contre, il y a la limite où je ne vais pas commencer à me faire passer pour quelqu’un d’autre, à être la meuf de super bonne humeur. Je ne peux pas être comme ça. Du coup, ma proposition est peut-être un peu bancale.

LFB : Elle est sincère en fait.

Rori : Oui voilà. Je voulais être sincère avec les gens, parce qu’on me proposait des trucs et je me disais que je ne pouvais pas montrer ça aux gens parce que je ne suis pas comme ça. Je ne vais pas commencer à demander à mon père d’écouter ma musique et de lui demander ce qu’il en pense. Ok, il y a des gens qui le font et ils le font très bien mais moi je ne peux pas le faire. Je ne suis pas comme ça. C’est vrai que ça m’a pris énormément de temps à trouver une manière d’exister là-dessus. Encore aujourd’hui. Ça me saoule, mais je le fais à ma manière. Ce que je suis hyper reconnaissante, c’est que les gens commencent à comprendre qui je suis et ma personnalité. Ils m’acceptent comme ça, donc je trouve que j’ai de la chance.

LFB : Il y a un truc de santé mentale qui est hyper important et qui va bien avec ta musique. Je pense qu’il y a un autre point important, celui de se protéger des réseaux sociaux aussi.

Rori : Je suis bien d’accord. Internet, c’est toute ma vie. C’est un endroit que j’adore. J’ai découvert plein de trucs, j’ai appris plein de trucs là-bas. Mais les mauvais côtés peuvent faire tellement de dégâts que je mets toujours une distance avec ça. Je ne veux pas montrer ma vie privée. Je me montre déjà moi, c’est déjà énorme mais je ne vais pas commencer à partager des photos de ma famille. Je fais quand même hyper gaffe à ce que je fais et j’essaie de faire ça en étant moi-même le plus.

LFB : Je voudrais parler de tes visuels. J’aime beaucoup tes visuels récents. Il y a un clin d’oeil à Akira qui est évident mais j’ai aussi beaucoup pensé à Battle Royale aussi.

Rori : C’était exactement ça la réf. Normalement j’aurais dû avoir du sang et tout, que ça aille beaucoup plus loin mais on m’a dit que peut-être pas tout de suite. Mais dans le prochain qui sort, il y a du sang.

LFB : Dans les tenues et les images que tu rends, il y a vraiment ce truc de Battle Royale. C’est connu mais ça ne l’est pas tant que ça en fait. Qu’est-ce que tu as voulu y chercher ? Même Akira, ce sont des références de trucs un peu dystopiques et d’hyper-violence.

Rori : C’est parce que c’est toute ma culture pop. Elle est là. Je suis là-dedans, je suis très manga, très Japon, très Corée depuis l’enfance. J’avais envie de ramener cet esprit un peu fou. Je ne sais pas, j’ai juste grandi avec ça et pouvoir le transmettre dans mes visuels, c’est trop un énorme kiffe. J’adore pouvoir amener des trucs un peu nouveaux, des choses que je n’ai pas encore vues ici et faire une espèce de pont avec tout ce que j’ai emmagasiné depuis mon enfance. Ça m’éclate.

LFB : La cover de Jalousie en animé avec le sabre, c’est un peu Kill Bill, Battle Royale, …

Rori : Et Perfect Blue aussi.

LFB : Il est bien dark celui-ci aussi.

Rori : Je suis très dark. Je ne tue pas des gens. Dans ma vie, ce que j’ai ressenti, c’était quand même très violent. Ma manière d’exprimer tout ça doit sortir d’une manière aussi violente, parce que ça prend tellement de place et c’est tellement profond et ancré. Ma seule manière de m’exprimer, c’est en faisant des choses gores mais ça fait du bien.

LFB : Ces visuels-là, tu participes à leur création ?

Rori : Ouais, totalement.

LFB : C’est important pour toi de garder le contrôle aussi sur cet aspect-là ?

Rori : Oui, parce que c’est comme la musique. Je pense que si ça ne vient pas de moi, les gens le sentiraient. J’ai l’impression que si tu ne viens pas avec une proposition qui est de toi, ça se ressent et l’authenticité est perdue.

LFB : C’est vrai. Il y a le nouveau titre qui sort là. C’est quoi les plans pour l’avenir ? Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter ?

Rori : Ce qu’on peut me souhaiter, c’est que ça fasse des millions d’écoutes et de vues. Comme ça, on me dit, c’est bon let’s go, tu peux sortir un album. Et partir en tournée sans ordinateurs.

LFB : Quand j’ai vu les dates de la tournée, il y a quand même un truc hyper sain de commencer sur des petites salles. Il y a vraiment cette idée d’aller chercher une progression et d’aller chercher son public partout où il peut être.

Rori : Ouais, c’est ça. Ce qu’on se dit souvent, c’est que c’est cool, ça se fait par étape. Ce n’est pas un truc du jour au lendemain où peut-être que là, je l’aurais trop mal vécu. Je n’aurais pas compris.

LFB : Comme faire la première partie de Lana Del Rey ?

Rori : Si je n’avais pas fait autant de concerts en Belgique, genre des fêtes à la saucisse comme on dit mais quand même des belles scènes et des gros festivals, je n’aurais pas assuré je pense. Je n’aurais pas eu autant d’aplomb que de faire la première partie de Lana Del Rey.

LFB : Est-ce que tu as des choses récentes qui t’ont marquée ?

Rori : Il y a Dandadan qui est sorti. Incroyable, les trois premiers épisodes sont sortis, incroyables. L’animation, c’est fou. Je pensais qu’ils avaient déjà atteint un truc mais là, j’ai l’impression qu’ils ont renouvelé encore leur style. L’opening est incroyable. J’adore.

Crédit Photos : Cédric Oberlin