Il y a quelques mois, accompagnée de mon acolyte photographe, je rendais visite à Henri, chanteur et guitariste du groupe Shoefiti. Accueillies au sein de son studio parisien, nous avions passé des heures à échanger, à débattre et à rire. D’une séance photo décalée à la découverte d’un extincteur, d’une bière trop acide à de nombreuses phrases « off the record », Henri se dévoilait, en toute simplicité. Une interview à base de CityT error, saupoudrée de féminisme et de réseaux sociaux, d’amour envers les Beatles et d’une sacrée dose de second degré.
Shoefiti à la sortie de leur concert à la Boule Noire le 24 juin. Crédit photo: Céline Non
La Face B : CityT error est sorti le 4 février. Dix titres qui empruntent au garage, au psyché vraiment punk ou au shoegaze. Quelles ont été les influences pour composer cet album ? Vous avez déclaré que l’idée était de faire dix chansons en 14 styles différents.
Henri (chanteur et guitariste) : Ça nous faisait marrer de dire ça parce que ce n’est pas tout à fait vrai ni tout à fait faux. Sur nos précédents albums, on a essayé à chaque fois d’avoir des ensembles cohérents. Sur le précédent, on a tourné en trio, et on se demandait si à l’avenir on resterait sur ce setup ou non en studio. J’avais plus envie d’une approche Sparklehorsienne pour CityT error. On a enregistré en plein milieu d’une énième quarantaine. On était à Paris et on ne pouvait pas faire de live ni se détendre autour d’une bière avec les potes. Se retrouver nous a libéré et on ne s’est pas posé de questions. On a juste fait ce qui nous faisait kiffer.
Donc il y a certains titres effectivement qui peuvent être entre deux styles. Le morceau d’ouverture American Girld commence comme du LSD Sound System et se termine comme du Yak. Enfin, c’est ce que j’aime imaginer. Clumsy c’est Elliot Smith et Flaming Lips.
LFB : Vous avez fait une résidence artistique acoustique à Portland. Est-ce que c’était lié à l’album Fill The Silence With Your Desires ?
Shoefiti : Oui. Je suis allé pour la première fois à Portland en 2016. Pendant deux mois j’ai fait des rencontres et pris un peu de recul par rapport à la scène musicale française qui me tapait sur les nerfs. Je voulais voir comment c’était ailleurs. Et comme une grande majorité de mes héros viennent de Portland…
LFB : Qui sont tes héros ?
Shoefiti : Elliott Smith mais aussi Stephen Malkmus, Menomena, Corrina Repp ou Lost Lander pour les groupes moins connus. La scène est vivace, avec un pic autour des années 2000-2010.
A Portland, la première fois j’ai fait des concerts en solo acoustique. Puis je suis revenu et là, j’ai joué en électrique : basse et guitare, tout en chantant. Sur place, j’avais un batteur qui a appris les morceaux et avec qui j’ai fait des dates. On a été sur la côte ouest, où les frères McMenamin’s possèdent une chaîne de bars-hôtel. A l’origine, c’était des immeubles désaffectés, qu’ils ont ensuite retapés. Et chaque établissement possède une salle de concert. Dans un de leurs hôtels, ils ont un speakeasy dans lequel ils proposaient à des artistes de faire des résidences acoustiques d’une semaine.
Je suis retourné à Portland une troisième fois avec Charles (NDLR : bassiste/guitariste de Shoefiti). Barton Carroll, un artiste folk de Seattle nous a introduit et on s’est donc retrouvés programmé là-bas pendant une semaine, avec 2h de set par soir. On a été obligé de revoir tout le catalogue en acoustique, y compris les morceaux ultra garage. Et ça s’est super bien passé. Forcément, ça nous a beaucoup influencés sur ce qu’on voulait faire sur le nouvel album. C’est pour ça qu’il y a cet ADN électrique qu’on a depuis le début, mais aussi ce retour aux chansons folk, avec des harmonies travaillées, des paroles soignées. Et on devait y retourner en novembre 2020…
LFB : Ça ne s’est pas fait ?
Shoefiti: Non… Ils nous avaient contacté pour Thanksgiving 2020. En plus, on allait sortir notre nouvel album et on espérait partir à la conquête des États-Unis (rires). On avait tout planifié : les groupes pour la résidence acoustique puis notre set électrique ensuite. Mais la Covid est arrivée, nos tournées française et américaine ont été annulés et la résidence aussi. Mais j’aimerais bien arriver à organiser des tournées acoustiques et électriques. Je pense qu’on a des choses à proposer dans les deux formats. J’aimerai bien faire aussi une live session un peu classieuse, dans une vieille baraque avec des bougies et un piano…
LFB : Tu as produit, enregistré et mixé cet album. C’est important pour toi de tout gérer ?
Shoefiti: Si au début, je me retrouvais dans cette situation, ce n’était pas spécialement par choix. Le premier album par exemple, c’était à la base un side-project. (Only Mountains Never Meet). Il est sorti en 2012 alors que le groupe existe depuis 2013. On a tout fait à l’envers dans le développement du projet. On ne savait pas vraiment s’y prendre. J’invitais juste mes potes à venir enregistrer, à la volée.
Mais pour le second (Coriolis), on était devenu un groupe alors j’avais envie de m’entourer de potes qui m’ont épaulé sur la production. Mais pour moi, c’était un calvaire parce que je me posais plein de mauvaises questions par rapport au mixage. Donc je ne trouvais que des mauvaises réponses. Il y avait le musicien et l’ingénieur du son qui se battaient dans ma tête. Et le dernier, il avait des choses à prouver. Sur le troisième, j’ai complètement filé les rennes du projet à François Clos, qui était déjà là sur le deuxième.
Pour CityT error, j’avais fait beaucoup de mixage entre temps. Donc j’étais plus détendu par rapport à ce que je suis capable de faire. J’ai enlevé le middle man pour arriver au son que je voulais à la fin mais dès le départ. Au niveau de la musique, je n’ai plus rien à prouver au niveau de mes capacités de mixage. Je dis ça sans prétention. J’avais juste envie qu’on fasse ce qui nous inspirait. Mais la seule chose qui me fait encore bugger, c’est l’enregistrement de mes voix.
Quand tu es tout seul dans le studio, tu n’as personne avec qui faire des allers retours du genre : « ah c’était marrant ça, refais-le« . Normalement quand tu lances une session, t’enchaines les prises : une, puis deux, etc. Là, je fais une prise, je stop, puis je clique, je me remets à tel endroit, etc. Il y a à chaque fois une étape ou deux en plus avant de se remettre dedans.
Alors, pour essayer de remédier à ça, je faisais quelque chose de très débile. (rires) Des fois, tu t’enregistres couplet par couplet, puis le refrain. Tu compartimentes. Et moi là, comme je chantais la chanson en entier, je faisais une sorte de jeu de rôle. C’est-à-dire que quand je ne chantais pas, pour essayer de rester dedans je disais : « et à la batterie Lucas, et à la basse, Charles ! » Je m’imaginais sur scène en train de faire le kéké pour essayer de rester dans une énergie de live. Le temps peut passer lentement quand tu attends ton moment pour chanter avec des écouteurs dans le studio.
LFB : Sur les réseaux sociaux, tu parles beaucoup de la fabrication des albums et tu dévoiles certains aspects des chansons. Il y a notamment un journal de bord qui accompagne l’album. Pourquoi faire ce choix ?
Shoefiti: Pour le journal de bord, c’était totalement calculé et machiavélique. Je sais que la presse musicale est sur-sollicitée et quand tu es un petit groupe, c’est difficile de bien parler de soi. Les gens se trompent, rien que sur le nom du groupe. Shoefiti à la base c’était un art urbain émergeant et je me suis dit : « cool, j’aurais pas à l’expliquer !« . Ça n’a pas du tout émergé et je me suis retrouvé à devoir expliciter. Comme si j’étais dans les années 80 et que je devais expliquer aux gens ce que c’est qu’un graffiti et que le graffiti n’avait pas du tout marché.
Le journal de bord permet aussi à celles et ceux qui ont accroché sur un morceau spécifique de découvrir une anecdote personnelle. Je suis très fier des textes qu’on écrit. Il y a toujours des histoires et quelque chose de précis. Ce ne sont pas de bêtes « Love Song » où on fait rimer « You » avec « Do« . Tant mieux pour ceux qui le font mais moi, ça ne m’intéresse pas forcément. J’ai envie d’aller un peu plus loin.
Au tout début du projet, lorsque j’écrivais un texte, je le soumettais à mes amis musiciens anglais. C’est eux qui me donnaient le feu vert. Comme c’était des gros tueurs, il fallait que je up mon game au max.
Sur le dernier album, je me suis dit qu’on allait être plus cryptique. Il y a des textes qui étaient censés être provisoires comme So Simple par exemple. Mais tout ce qui a découlé de ce morceau-là a été tellement fluide qu’on a décidé de garder cette simplicité, dans la conception et confection de la chanson.
LFB : J’ai l’impression que la notion de jeu et d’accident fait partie de l’essence de Shoefiti. Sur le dernier album, tu joues avec le CityT error, American Girld ou encore sLOGANS où la cap a sauté.
Shoefiti: Surtout quand on a tendance à contrôler les choses comme moi. Quand tu es à l’enregistrement, au mixage, que tu as une sorte de simili complexe de ne pas être un musicien aguerri, tu as tendance à essayer de compenser tes lacunes instrumentales ou musicales par tes compétences techniques d’enregistrement. Donc tu vas multiplier le nombre de prises nécessaires. Et là, il y a une sorte de lâcher prise dans le fait d’enregistrer tous les trois ensemble.
Et s’il y a des accidents, au lieu de les réfréner ou d’essayer de les réparer, on se dit que ça peut être rigolo.
Pour American Girld j’étais hyper enthousiaste à l’idée d’avoir une nouvelle chanson. Je le disais par texto à un pote américain sauf que je me suis planté et qu’au lieu de mettre un « s« , j’ai mis un « d« . Il y a eu plein d’erreurs de ce type, certaines que je suis allé chercher, comme CityT error.
Pour Chocolat Médaille, on n’avait pas vraiment de titre. Ça aurait pu être ce qu’on crie au milieu : « If I competed to be myself / I’d only end second place at best « . Ce qui est trop long à dire et à écrire. Et dans Shoefiti, on a un historique de médaille en chocolat. C’est-à-dire qu’on est jamais à la première place, on est toujours second. Donc j’ai proposé cette idée-là mais en anglais donc « chocolate medal ». Mais avec Lucas (NDLR : batteur) on s’est dit que c’était nul et en plus, impossible à dire. Et aux États-Unis, le concept de médaille en chocolat n’existe pas. Donc on a fait une Google Translate, ce qui a donné Chocolat Médaille.
LFB : La partie graphique semble chez vous toujours reliée à la musique. Sur CityT error, dix artistes se sont appropriés les chansons. Pour l’album Fill the Silence With Your Desires, vous aviez aussi fait un livre audio grand format de 40 pages avec des photos.
Shoefiti: Depuis le début, on soigne vraiment les visuels. En plus à l’époque, Bandcamp venait d’arriver et tu pouvais en mettre une image différente par chanson. J’avais décidé d’abandonner le CD en me disant qu’il existait soit le téléchargement en haute qualité soit le vinyle pour les aficionados qui veulent un bel objet. Donc on s’est toujours efforcé à fournir un univers visuel qui soit cohérent et riche.
Sur le premier album, on avait un artiste et ami anglais qui s’appelle Temujin Doran et qui fait plein de petits dessins. Sur Coriolis, ma compagne Elodie Boutry (qui réalise habituellement des œuvres monumentales) a peint des dessins avec des tâches de gouache à l’eau incontrôlées, alors qu’elle est très cartésienne. Donc c’était une sorte de lâcher prise. Et ça correspondait bien aussi à notre démarche sur cet album. Celle d’être moins dans la maîtrise et plus dans l’explosion. Quelque chose de plus coloré, plus psyché.
Sur le troisième album, on voulait représenter des femmes invisibilisées par des miroirs qu’elles tiennent. Des femmes qui essaient justement de se rendre visible pour prendre la parole et pour exister. Et l’album s’appelle Fill the Silence with Your Desires, donc remplis le silence de tes désirs. Sous-entendu : prend la parole, on te soutient et on est avec toi.
Pour CityT error, un ami américain m’a envoyé une vieille photo de moi des années 90 et je m’étais dit : « bon, ça peut faire une superbe photo de poster de tournée« . Et les gars m’ont dit: « t’es con, ça c’est une pochette« . On s’est alors demandés comment développer cet univers là. Est-ce qu’on demande à chacun de trouver des photos d’eux gamin ? Mais l’album de famille ça a déjà été fait 100 fois..
Ce qui était bien, c’était la composition avec l’enfant qui saute. Alors au lieu d’avoir un artiste qui fait dix visuels, on avait dix artistes qui reprenaient un visuel. Mais avec ce monde de contraintes : qu’il y ait un personnage au centre qui soit en lévitation ou en l’air et qu’on retrouve la volute de la balançoire. Mais tu pouvais me dessiner une licorne entre Mars et Jupiter, j’étais content ! Je trouvais ça hyper chouette d’avoir des artistes avec des modes d’expressions différents : de la sérigraphie, du collage, du stylo Bic, du dessin méditatif, etc.
LFB :Je voudrais qu’on revienne sur l’album Only Mountains Never Meet, qui a fêté ses 10 ans en juin. C’est une compilation de morceaux de tes groupes précédents, joués par tes potes. Pendant quasiment un mois, tu as donné la parole sur les réseaux sociaux à des potes qui venaient parler de leur morceau. C’était super émouvant.
Shoefiti: A l’époque, la genèse du projet était très simple. Avec mes différents groupes d’avant, on répétait toutes les semaines. On devait jouer 100 fois le même morceau. Donc à un moment, tu te lasses et forcément tu le modifies. Mais sans savoir que tu es en train de le saboter.
Donc l’idée, c’était de prendre tous ces morceaux que j’avais mis de côté, qui s’étaient fait recaler dans mes différents groupes et dans lesquels moi, je croyais, puis de les enregistrer. Sauf que si je peux faire de la batterie, je n’ai pas pour autant une sensibilité de batteur. Donc j’envoyais les démos à mes copains et ils me disaient ce qui les inspiraient ou non. Puis ils venaient, en ayant travaillé le morceau, ou non. Puis on enregistrait à la volée. A la base, il n’y avait pas projet de groupe, c’était juste comme ça. Ce que tu perdais en maturité, tu le gagnais en fraîcheur et moi, je trouvais ça exaltant. C’était récréatif, sans pression.
LFB : Tu l’as joué en live l’album ?
Shoefiti: Ouais.
Shoefiti à la Boule Noire le 24 juin. Crédit photos: Céline Non
LFB : Mais tu faisais comment alors ?
Shoefiti: C’est ça qui était intéressant. Virtuellement, sur l’album il y a des morceaux où on pouvait être six ou sept. C’était assez terrible parce qu’au moment du mixage, je devais faire pas mal de choix et ça se déchirait en moi. A l’époque, je manquais encore d’expérience pour faire les bons.
Mais quand on s’est retrouvés pour les jouer, on était quatre: Raphaël à la guitare, Pierre-Louis à la batterie (tous deux étaient dans Vostok, le groupe d’avant) et Charles à la basse. Et moi à la base, je suis bassiste. Laisser la lumière au frontman m’allait très bien. Mais il a vraiment fallu que j’apprenne à jouer de la guitare, à chanter en live et à prendre la lumière. Ça a été dur les premières années. Et on s’est bien planté. Je disais de la merde entre les chansons et j’essayais de chanter comme Robert Plant alors que c’était absurde.
Mais il y a eu une bascule. Ces morceaux-là, très sophistiqués, sont devenus un peu plus directs, un peu plus aléatoire, avec plus d’aspérités. Les groupes que j’adorais à l’époque étaient aussi dans cette veine là, ce qui a un peu dirigé le deuxième album. Et on a simplifié l’enregistrement et les arrangements pour ne pas avoir plus de trois guitares. Ce sont des contraintes. Élodie, ma copine, en parle très bien parce qu’elle fonctionne avec. Et comme dit un architecte : » Il n’y a rien de pire que de construire une maison dans le désert ». Tu as tellement de trucs possibles qu’au final tu ne sais pas quoi faire. Alors que quand tu as une contrainte, tu vas te demander quoi faire créativement pour la contourner. Les contraintes t’obligent à faire des choix.
LFB : L’album s’ouvre avec American Girld. Il y est question de la représentation erronée de la femme au sein d’une société capitaliste. Et plus particulièrement la société nord-américaine. Tu peux nous en dire plus ?
Shoefiti: C’est une société où l’industrie culturelle mainstream est prédominante. On est fortement influencés par Hollywood, les artistes mainstream, les influenceurs ou influenceuses, le porno, les magazines, l’américaine « Way Of Life« . Tous ces trucs qui finissent par se déverser dans notre inconscient collectif. On chope des modes de vie ou des modes vestimentaires, des manières d’agir. Je trouvais que ça avait une influence trop importante et que ça générait trop de complexes et de frustrations.
Il y a une sorte d’impérialisme culturel avec des effets qui se créent. Les femmes se comparent par exemple à Kylie Jenner et à ce qu’elle poste sur les réseaux sociaux et ça crée des complexes parce qu’elles ne répondent pas aux normes de beauté promues par cette industrie là.
Et ce qui est horrible, c’est que les personnes qui sont à la tête de ces industries sont souvent des hommes blancs dominants. Quand tu te balades à Los Angeles, que tu tombes sur des panneaux publicitaires immenses qui vantent les mérites de la chirurgie esthétique et que tu es exposé à ça tous les jours, je pense qu’il y a moyen de péter un câble. Et à un moment, ça se banalise.
Bien sûr, je ne suis pas irréprochable. Je dis et fais des conneries, j’utilise des anglicismes et je chante en anglais mais le « Way Of Life » devient calqué et stéréotypé.
Notre ami Tchaz Locke a réalisé un superbe clip à base d’archives, en récoltant des pubs sexistes des années 50/60. On voulait générer un débat et que ceux que ça intéresse puissent venir nous en parler après les concerts. Mais ça reste entre guillemets de la poésie. Et traiter d’un sujet aussi délicat en trois minutes sans être complètement explicite, peut être compliqué. Il y a beaucoup de portes pour entrer dans cette chanson. Nous, on a choisi celle-ci parce que c’est celle qui correspond le plus à nos valeurs.
LFB : Tu parles de valeurs. Est-ce que tu te définirais comme quelqu’un d’engagé ? Et est-ce que c’est quelque chose qui se retrouve dans ta musique ?
Shoefiti: Wow ! Je ne saurais pas franchement définir l’engagement, mais oui je pense l’être dans une certaine mesure. Et ça se traduit un peu dans la musique ou les paroles effectivement. Personne n’a envie de se retrouver face à quelqu’un qui est moralisateur donc je ne veux pas avoir ce rôle-là, d’autant plus que je suis loin d’être moi-même irréprochable. Mais on peut essayer de tendre vers un idéal et y sensibiliser les gens. Sur Fill the Silence With Your Desires, on a créé un livre au format vinyle pour court-circuiter les délais bien trop longs et les coûts élevés de l’objet. Et la majorité des morceaux de l’album, fortement influencés par mes lectures, parlaient de thèmes féministes ou de droits des femmes.
Mais ce que je n’ai jamais voulu faire, c’est me présenter comme un groupe féministe. D’une part, on est que des hommes, ce serait super maladroit, et d’autre part, je ne veux pas que ce soit un argument marketing. Si tu découvres le groupe et que tu kiffes, que tu commences à t’intéresser aux paroles, que tu te rends compte qu’il y a des sujets qui peuvent t’aider à réfléchir ou t’aider à aller plus loin, tant mieux. Mais moi, je ne peux pas me présenter de la sorte. Je ne suis pas activiste. Il y a des valeurs que je défends, mais je ne me sens pas légitime de sortir l’étendard et éventuellement de prendre la place de quelqu’un qui aurait quelque chose de plus intéressant à dire.
Dernièrement il y a plein de trucs cools qui se passent et que je ne peux que soutenir, que ce soit More Women On Stage And Backstage, Go Girls, Musictoo. Au concert des Psychotic Monks à La Maroquinerie, il y avait aussi Slow Contraception pour sensibiliser à la contraception masculine. Quand tu vois ce que la Cour Suprême peut faire auprès des femmes sur la question de l’avortement… Je suis scandalisé qu’il y ait des gros connards comme nous qui changent les règles pour des femmes. Donc c’est à nous aussi de mettre les couilles sur la table ou de se remonter les couilles pour pas que les femmes aient à subir des IVG.
Chez Shoefiti, il y a souvent dans les chansons un rapport à la ville, parce que c’est quand même là où la société capitaliste est le plus visible et des fois de manière ostensible. Et j’aime en parler avec sLOGANS notamment ou sur d’anciens morceaux où j’évoque cette vie, cette société qui te rend maboule, qui à la fois te nourrit et te donne plein d’espoir par rapport aux possibilités, mais qui finit aussi juste par te digérer et te rejeter, pour qu’on finisse tous névrosés et en burn out.
Dans Chocolat Médaille, il y a un moment où je dis : « les possibilités de rien sont infinies. » Tout est là. Les possibilités sont infinies et maintenant pour moi, c’est les possibilités de RIEN sont infinies. Je sais que c’est du vent, du rêve. Et ça finit par t’épuiser. Mais il y a un truc séduisant là dedans… La société de consommation a beaucoup de plaisir immédiat à t’offrir mais sur le long terme, la santé mentale peut vraiment se dégrader. Tous les soirs on est sur Instagram, à regarder derrière notre écran une vidéo, puis une autre. Et dix minutes après, une demi-heure après, on y est toujours. Alors que c’est sans cesse la même chose.
LFB : Pendant le confinement, vous avez fait une live session de différents morceaux, chacun chez vous. A chaque fois, vous vous servez de la contrainte pour créer autre chose.
Shoefiti: Je t’avoue que l’avalanche de stream chez les gens, la frénésie, ça ne m’a pas du tout touché. « Bonjour, je suis sur Instagram live avec le micro de mon téléphone et je vais saccager une chanson que tu ne connais pas et que tu n’es pas sûr d’aimer » (rires de la photographe).
See You in L.A nous a proposé de faire ça pour le live stream Stay Rock Stay Home. C’était des fausses sessions puisque tu enregistrais chez toi. On s’est dit qu’on allait proposer un truc différent. Sur Cold Jacket, je fais de la air batterie et Lucas se retrouve à faire de la guitare et du lipsync. C’est complètement fake. C’est une sorte de pied de nez justement, à tous ces trucs là. J’avais envie de péter le format mais d’une manière mignonne. Sans blâmer les gens ou pointer du doigt. Il y a une certaine forme d’humour que j’aime instiller, même sur des sujets graves. Des artistes que j’adore, comme Stephen Malkmus de Pavement ou James Murphy de LCD Sound System arrivent toujours à instiller un truc caustique, sarcastique ou un peu absurde qui est vraiment poilant. Si je peux tendre vers ça, tant mieux.
LFB : Tu es sans cesse en train de parler de musique et d’expérimenter. Comment t’es venu cette passion musicale ?
Shoefiti: Mon premier souvenir de musique remonte à mes trois ans et c’était les Beatles. Mes parents m’ont emmené au Griffith Observatory sur les collines de Los Angeles. Il y a un planétarium avec un dôme, tu t’allonges dedans, ça simule la nuit, et tu vois les étoiles. Bon, à trois ans, évidemment tu t’endors.
Mais quand je me suis réveillé, c’était la simulation de l’aube et on entendait Here Comes The Sun des Beatles. Tout le monde se levait et partait alors que moi, j’étais absolument touché au plus profond de mon être par ce que ce que j’étais en train d’entendre. A cet instant, c’est pour moi la plus belle musique du monde et je ne décolle pas. Mes parents ne comprenaient pas, je leur disais que je voulais rester, que la musique était incroyable et que ce que j’étais en train de vivre était magnifique. Depuis, je pense qu’il y a un truc sur ma carte mère qui est complètement raccroché à ça.
J’ai toujours écouté des groupes. J’étais en Californie au moment où il y a eu le boom de MTV et le grunge est arrivé et ça m’a marqué à jamais. Quand j’étais au collège, j’étais le ringard qui écoutait des groupes de vieux et qui n’achetait pas des singles mais des albums.
J’ai donc toujours eu ce truc où j’avais l’impression d’être un peu à contre courant. Et il a fallu que je tombe amoureux d’une nana qui prenait des cours de piano pour que je m’y remette. Ça ne s’est pas du tout fait avec elle, mais j’ai gardé les cours de piano de jazz improvisation. C’était sans solfège, donc c’était génial. Tu arrivais avec un CD et tu devais trouver la tonalité et la grille d’accord. Ce jazzman ne m’a pas appris que le piano, il m’a appris la musique : comment faire un accord, une gamme, etc. Tout ce que j’ai appris au piano, j’ai pu le transposer dans un premier temps à la basse, puis à la guitare
Puis, j’ai commencé à jouer avec des gens. Et quand tu as un groupe, vous vous voyez toutes les semaines et comme tu ne veux pas être le loser de la bande, tu charbonnes. De fil en aiguille, j’ai eu mon premier groupe et j’ai dit à mes parents que je voulais devenir musicien. Ils m’ont toujours soutenu et comme j’avais des compétences scientifiques, ils m’ont conseillé de devenir ingénieur du son. Donc j’étais le gars dans le groupe qui a commencé à s’intéresser aux sons. Ça faisait un moment que je sentais qu’il y avait un truc.
Quand tu écoutes les Pink Floyd ou les albums des années 90 comme OK Computer ou Mellon Collie And The Infinite Sadness des Smashing Pumpkins, tu vois qu’il y a une prod derrière qui était hyper intéressante. Alors petit à petit, j’ai commencé à faire ça à côté. Et puis c’est devenu mon métier et j’ai continué à faire de la musique…
Shoefiti à la Boule Noire le 24 juin. Crédit photos: Céline Non
LFB : J’ai lu dans une interview passée que le morceau Undertaker ne te convenait pas vraiment et que pour toi la seule solution était alors de le jouer en live suffisamment de fois pour le confronter au public et lui laisser le dernier mot. Après l’avoir enregistré, est-ce que tu penses toujours la même chose ?
Shoefiti: Quand je fais des sessions de démo, je me donne 2 h pour faire le morceau. Encore une contrainte. Donc il n’y a pas le temps de lésiner et tant mieux parce qu’il n’y a rien de pire qu’une démo qui est trop bien faite. Ça me permet donc de faire un squelette et de le faire écouter au groupe pour qu’il manipule le truc à foison ou pas. Undertaker, American Girld ou Rust ont beaucoup changé au contact du groupe alors que Clumsy pas vraiment par exemple.
Undertaker donc, c’est un morceau que j’avais honte de montrer au groupe parce que je ne le trouvais pas bon. Et même en le reprenant entièrement, j’avais toujours cette sensation de malaise. J’ai quand même fait écouter le mix final à mes potes et ils l’ont trouvé dans l’air du temps et ont grave accroché. Je me suis dis : « Ok, donc ça se trouve ce morceau, il est bien ». Quand on doute sur un morceau comme Undertaker, il faut le jouer à répétition et le confronter au public. Et c’est lui qui aura le dernier mot.
C’est un titre particulièrement compliqué à jouer car c’est un tempo rapide, les parties guitares c’est un peu Frankenstein et au niveau du chant, je me pète la voix dessus. Donc ceux qui aiment ce morceau vont se demander pourquoi on le joue en live s’il est moins bien qu’en studio. Alors qu’on devait le faire en concert, j’ai vu Th Da Freak récemment aux Cuizines à Chelles. Et il m’a fait changer d’avis. Sur l’album Coyote, il a un morceau que j’adore, No Future, qu’il a enregistré avec un vocodeur. Et malgré le temps passé dessus en résidence, il m’a avoué que le rendu live n’était finalement pas à la hauteur et qu’ils avaient préféré le mettre de côté, que ça ne servait à rien de forcer et qu’ils galèrent à le jouer. Ça m’a aidé à relativiser par rapport à Undertaker.
Shoefiti à la sortie de leur concert à la Boule Noire le 24 juin. Crédit photo: Céline Non
LFB : Quelle est votre actualité ?
Shoefiti: On est en concert ce vendredi Chez Josette à Charleville-Mezières et samedi 9 septembre à Montreuil à l’Armony (c’est gratuit !). Le samedi 16 septembre on joue au festival Geveuse en Fête à Villiers sous Mortagne. Début novembre on jouera à Capbreton (le 3) et Toulouse (le 4). On essaie de choper d’autres dates sur le chemin en y allant ou sur le retour donc n’hésitez pas à nous contacter si vous voulez nous faire jouer ! Une tournée début mars qui passerait par l’Espagne est aussi en préparation. On espère que ça va aboutir : ça fait des mois qu’on est dessus.
On a aussi des lives d’American Girld, Rust et sLOGANS qui sont sorties avant l’été et une idée de clip complètement arcade pour Cold Jacket, un projet en gestation permanente (rires). Dans l’idéal, j’aurais kiffé faire un clip pour sLOGANS. J’avais un truc ultra précis en tête mais je n’ai pas l’argent. (NDRL: clip raconté en détails par Henri mais on vous spoile pas désolé).
LFB : Est-ce qu’il y a une œuvre, que ce soit un film, une série ou un tableau, qui te bouleverse, te fascine et que tu as en tête régulièrement ? Ta Madeleine de Proust.
Shoefiti: Carrément. Il y a une chanson d’Elliott Smith, Can’t Make A Sound, où si je me mets en face des enceintes, que je m’imbibe de tout ce qu’il me raconte et de la musicalité, je fonds en larmes. J’ai aussi des morceaux de chez Low qui ont influencé CityT error comme Especially Me ou Majesty/Magic, qui me mettent par terre.
A une époque, j’étais en dépression, ici, dans cet appartement. Je terminais mon mémoire et j’avais des horaires de merde. J’étais un animal nocturne, je me levais à 15h/16 h, donc je n’avais pas de lumière et j’avais aussi des problèmes émotionnels. J’étais dans un état de stress où j’avais du mal à faire la part des choses alors je lançais ces morceaux-là, je me mettais en PLS sur mon tapis et je pleurais. Et ça, ça restera toujours.
Puis forcément, il y a des chansons un peu surannées, des dialogues avec mon frère. Quand gamins on regardait Nickelodeon ou qu’on écoutait des parodies musicales, ou peut-être le premier morceau que j’ai entendu aux États-Unis dans une voiture : c’était Bobby McFerrin, Don’t Worry Be Happy.
Henri de Shoefiti dans son studio. Crédit photo: Céline Non
LFB : Est-ce que tu veux rajouter quelque chose ?
Shoefiti: C’est marrant parce que j’ai réfléchi à cette question, dans le genre : « Quelle est la question qu’on aimerait qu’on pose ou que tu poserais à un autre artiste ? « Et j’avais trouvé une réponse parfaite. Mais je l’ai oublié (rires).
Mais non tu as déjà amorcé ça. Souvent, c’est le côté visuel de nos albums qui est mis de côté. Quand tu lis des chroniques, les gens ne s’attardent pas sur les visuels, sur la manière de se représenter ou sur la manière de créer un univers autour d’un album. Là, par exemple, j’ai 3 planches de bandes DYMO. Pendant l’élaboration de l’artwork, j’ai passé des heures à tout poinçonner, à les cramer, les mordre.
Mais depuis tout à l’heure ce qui me gêne un peu, en coulisse de mon cerveau, c’est de me dire que je suis un mec en train de discuter avec deux nanas (NDRL : la photographe et la journaliste) et qu’il n’y a que moi qui parle. Ce n’est pas une réelle conversation ou discussion. Et l’idée, c’était plutôt de dire est-ce qu’il y a quelque chose dans cet album qui t’a interpellé et qui n’est pas forcément explicité dans les différents supports que tu as vu ?
LFB : Moi c’est City Terror qui m’a beaucoup touché. Je crois qu’on en avait parlé à un moment et tu m’avais dit que c’était sans doute le côté orageux qui me plaisait. Déjà, ce mot me plaît beaucoup. Et je le dis tout le temps mais je ne suis pas musicienne, la technique me dépasse assez rapidement. Il y a des effets au début de City Terror qui m’émeuvent. Ta voix est sur le fil. J’pense que je suis plus touchée par l’aspect nuancé de Shoefiti. J’aime beaucoup American Girld, c’est pas la question, mais je préfère les morceaux qui débutent en douceur pour ensuite partir, comme City Terror. Pour l’interview, j’ai aussi re écouté tous vos albums et surtout Fill the Silence With Your Desires. Je le trouvais peut-être un peu plus dark..
Shoefiti: Oui, il est un peu plus froid. Pour City Terror, c’est drôle parce que comme pour Fill The Silence, on a un morceau qui porte le nom de l’album mais les gens le zappent quand même. Sur le précédent, c’était une de nos chansons favorites à jouer. On trouvait qu’elle représentait hyper bien l’essence du groupe en live. Pour notre nouvel album, CityT error donc, lorsqu’on recevait des retours, pareil, personne ne parlait de ce morceau-là. Et moi, je sais que ce qu’on a réussi à faire en studio avec ce titre, c’était un tour de force. Les premières versions étaient un peu boiteuses, le refrain un peu trop répétitif. Mais je savais qu’il y avait un truc particulier au fond de cette chanson là. On s’est échiné tous les trois à développer quelque chose dont on est très fier.
Le morceau commence effectivement avec un tapis sonore. Ça, c’est un truc vraiment Shoefiti, que j’ai beaucoup utilisé sur Only Mountains Never Meet, où tu as deux faces qui commencent pareil avec des samples. C’est des morceaux très simples. Guitare/voix ou piano/voix, mais avec une sorte de feu follet ultra complexe derrière de larsen ou juste des tapotements sur le manche. Et après tu poses ton morceau là-dessus.
J’ai toujours trouvé ça hyper beau quand c’était fait sur certaines chansons genre Underneath The Weeping Willow de Grandaddy. Il joue juste une note sauf qu’il l’a joué 20 fois et qu’il la répartit sur toute la stéréo. Tu as l’impression de voir des notes tomber comme des gouttes d’eau. Sur City Terror, tu as toute une arborescence de pistes, genre de Ebow, de guitare sitar que j’ai emprunté au guitariste de Sheitan & The Pussy Magnets. On avait une auto harpe d’ailleurs, qui n’était pas accordé dans la bonne tonalité de ce morceau donc il a fallu que je la joue détuné et que numériquement, je la retune.
LFB : Là concrètement, j’ai du mal à visualiser ce que tu me dis. En photographie par exemple, j’adore découvrir les planches-contacts, les choix des artistes, la partie généralement dissimulée. De la même manière, j’aimerais bien voir l’envers du décor, que tu m’expliques et que ça devienne un instant pédagogique.
Shoefiti: C’est pour ça que je trouvais ça cool de t’inviter ici, au studio. Là typiquement, j’ai envie de sortir la session City Terror et te faire écouter des trucs piste par piste parce qu’il y a une myriade de drones qui commencent la chanson. Ce qui est très rigolo c’est qu’une fois que j’ai fini les drones de l’intro, j’étais en mode : « putain on dirait la musique du jeu vidéo The Last of the Us ». En plus avec la grosse caisse ultra réverbérée et la caisse claire samplée sans vie, ça donne un côté un peu anxiogène où tu as l’impression d’être compressé. Comme quand tu es dans le métro et qu’il y a trop de monde, quand tu as les choses dans ta face.
LFB : Dans ta face b….
Shoefiti: Et puis en fait, il y a une bascule qui se fait au milieu du morceau, où l’orage qu’on amène sur les refrains est très inspiré de Low. Il y a des sortes de sidechain qui aspire les guitares et qui réduisent de volume chaque fois qu’il y a un kick. Et même quand il n’y a pas de kick ça pompe et le fait qu’il y ait une absence de rythme et ça en crée un justement. Puis, le troisième refrain, tout cet orage disparaît pour devenir quelque chose de plus joli, de plus soyeux, de plus étincelant. La batterie redevient une vraie batterie normale.
Je sais que certains choix peuvent paraître gratuits mais nous, quand on fait ça, c’est qu’on vous raconte une histoire derrière. On a envie de dire : « il y a un espoir, même si là actuellement tu es pris dans ce truc-là, tu peux en sortir« . On faisait aussi beaucoup ça sur l’album Coriolis. Tu avais toute une journée qui se passait dans la chanson, du crépuscule jusqu’à l’aube et musicalement, on s’est retrouvés ainsi. Mais sur CityT error, on a vraiment bossé toute cette ambiance-là. Et je serais ravi de te montrer un peu les rouages.
Mais la démo la plus rigolote, c’est Clumsy. A la base, c’était en mode pop punk à la Yuck ou Fidlar. Mais lorsque je l’ai fait écouter aux gars et à mes proches, ils étaient tous du même avis : « on dirait du Blink 182 ! » Lucas, joue aussi dans Normcore, un groupe bien pop-punk, donc forcément il kiffait. Charles, lui, il a dit un truc génial pour faire comprendre qu’il n’aimait pas : « J’crois que l’outro est pas mal« . Puis le confinement est arrivé et je me suis dis qu’il fallait juste que je trouve une maison à ce morceau. Je comptais donner la version pop punk à Normcore et moi, en faire une à contre pied totale, en mode Elliot Smith. Donc au lieu de taper sur la batterie à fond, y aller tout doucement.
Je l’ai chanté à 2 h du matin, collé au micro, en chuchotant. Un pote a trouvé ça super parce qu’il ne m’avait jamais entendu chanter comme ça. J’aurais adoré qu’il existe les deux versions de Clumsy, sur deux albums différents.
Atlas (NDLR : de Fill The Silence With Your Desires), que tu apprécies, comme So Simple ou City Terror, ce sont vraiment des morceaux qui me tiennent à cœur. Je sais que ce n’est pas le fer de lance mais j’y ai mis beaucoup d’âme. Donc quand quelqu’un me dit qu’il aime beaucoup ces titres je suis en mode : « ah, pas comme les autres, tiens c’est intéressant. Alors pourquoi ? « Certains potes passent ces chansons ou ne s’en rappellent pas alors que je sais qu’on a fait un travail de dentelle. Quand tu regardes la session, t’as mal au crâne…
Shoefiti à la Boule Noire le 24 juin. Crédit photos: Céline Non
LFB : J’ai lu sur Instagram qu’en gros, on écoute quasiment toujours le même type de musique. Notre oreille est habituée à un certain type de tempo et de son. Et si ce n’est pas une chose que tu écoutes généralement, tu vas oublier.
Shoefiti: Bien sûr. Quand le cerveau arrive à recomposer une mélodie, il t’envoie de la dopamine et tu es récompensé. Donc les pop song, c’est hyper satisfaisant. Sauf qu’au bout d’un moment, tu peux t’y acclimater et il faudrait alors essayer de contourner la chose. Et des fois, justement, ton cerveau croit qu’il va pouvoir prévoir le truc, mais en fait, non, c’est un peu différent. Du coup, ça attire ton attention. Et puis après tu donnes une autre résolution, etc.
LFB : C’est exactement ça.
Shoefiti: C’est un savant dosage. Je ne sais pas si nous on l’a avec Shoefiti, mais je sais que c’est quelque chose sur lequel on travaille au moment des live, c’est-à-dire comment créer un moment de tension et le tenir pour arriver à une résolution. C’est pas forcément gratuit et on sait qu’on t’emmène vers un truc un peu désagréable. Mais au moins quand la résolution arrive, tu kiffes d’autant plus. Ça, c’est un vieux truc de jazz des années 60-70, où ils disaient « le it, le it ! » . Ils créaient des moments de tensions, qu’ils résolvaient, et plus ça arrivait, plus les gars étaient acclimatés à ce moment de tension. Donc ils poussaient le truc de plus en plus loin, c’est pour ça que t’as eu le be-bop, puis le hard-bop et le free jazz. Les gars étaient insatisfaits en permanence.