Thérèse : « J’utilise l’art pour transformer ma colère en quelque chose de positif »

Grande gagnante du confinement puisqu’il lui a inspiré la création de son génial projet solo, Thérèse s’est posée avec nous pour parler de musique mais pas que. Rendez-vous le 1er juillet au FGO Barbara pour écouter ses chansons après avoir lu ses mots.

Thérèse
Photos : Lily Rault

La Face B : Comment tu vas?

Thérèse : Ça va bien – je crois ! La tournée commence enfin, premier live à Paris le premier juillet… Je suis aussi stressée qu’heureuse de retrouver les copains et rencontrer mon public !

LFB : Pour celles et ceux qui ne te connaitraient pas encore, comment tu te définirais?

Thérèse : Aujourd’hui, puisque ça change tout le temps, je suis musicienne sur ce projet Thérèse qui a débuté en juillet 2020. Je suis aussi styliste à côté, pour des artistes mais pas uniquement. Je commence à diversifier mes projets : travailler avec des écoles de mode/de com et à y donner des cours parfois ou intervenir dans des ateliers dans le milieu musical pour parler de l’image de l’artiste. Je travaille aussi avec des chefs d’entreprise qui ont envie de se relooker, je sors du domaine musical mais je trouve ça intéressant de voir ce qu’il se passe ailleurs. À côté de ça, « modèle » s’est ajouté au CV : je me considère pas vraiment comme modèle mais je prête de plus en plus mon visage pour certaines marques. Je fais hyper attention à ce que je choisis et j’essaie de soutenir des marques dont je soutiens les valeurs et la démarche. On m’a collé une étiquette de militante que je veux bien adopter mais je dirais plutôt que je suis engagée dans la société. J’interviens sur des tables rondes, dans des écoles, dans les médias sur pleins de sujets différents mais qui ont toujours un même but : parler de la liberté et d’universalisme. Comme les sujets d’actualité sont très centrés autour du féminisme et de l’antiracisme, on m’interroge beaucoup. Mais je pourrais parler de plein d’autres choses comme l’éducation ou la sexualité, tant que ça a un rapport avec la liberté ça m’intéresse.

LFB : Qu’est-ce qui a été le déclic pour passer d’un projet en duo (La Vague) à un projet solo? 

Thérèse : Le confinement! (rires) Effectivement j’ai œuvré dans La Vague pendant environ 3 ans et c’était cool. Je regrette pas une miette, on s’est bien éclaté.e.s avec Jon et avec le reste de l’équipe à l’époque. Mais pendant le premier confinement, je me suis rendue compte que j’étais pas exactement à ma place. Je pense que cette grosse crise sanitaire a vraiment posé la question de la mort : on savait pas grand chose sur cette maladie et je me suis dit « Imagine je crève demain, est-ce que j’aurais fait et dit ce que j’avais envie de faire et dire? ». Je me suis rendue compte que la réponse était ni oui ni non, mais un peu à moitié. Et cette réponse ne m’allait pas : la vie est trop courte et il y a pas de temps à perdre. Je me suis mise à écrire des chansons sans trop savoir ce que j’allais en faire.  Je crois que j’avais un grand besoin de sortir des choses et tout ce qui me traversait. Je me suis mise à Ableton et j’y ai pris vachement de plaisir. Ça faisait 1 an et demi que le logiciel était installé sur mon ordinateur mais j’étais un peu en mode syndrome de l’imposteur. J’avais peur de me mettre à Ableton, que ce soit nul et que je me rende compte que je suis pas musicienne ou légitime. En fait non, j’ai kiffé! J’ai présenté ça à Adam Carpels, un producteur lillois que j’avais rencontré quelques mois auparavant car j’aimais bien sa musique et qu’on discutait beaucoup. Je lui ai fait écouter et il m’a dit qu’il y avait grave un truc. Il m’a proposé qu’on bosse ensemble et de finir mes prods. Je savais pas trop… Au début j’ai dit non et après j’ai dit oui (rires). On a essayé et on a adoré bosser ensemble. À la fin du mois de mai, j’ai présenté ce qu’on avait fait à Alex de mon ancien label en toute amitié pour avoir son avis. Il a aimé et il m’a lancé un petit défi : sortir un premier titre en juillet. Je lui ai demandé s’il avait des sous pour aller en studio (rires) et c’est comme ça que ça s’est lancé. Les planètes se sont alignées, j’ai appelé Alexandre Zuliani avec qui je bossais sur La Vague : il est réal-arrangeur-mixeur et la rencontre avec Adam s’est super bien passée. Il était trop chaud donc on est rentré.e.s en studio tous.tes les 3 et dans un premier temps on a pondu T.O.X.I.C.

LFB : Quand on regarde la chronologie du projet, c’est allé super vite…

Thérèse : C’est allé très vite… 3 clips, un EP, des radios, des télés, le prix Ricard, ma première couv’ de magazine pour Causette et tellement d’autres choses ! J’ai encore du mal à réaliser ! Quand on est allés chez Culturebox avec Adam, on s’est dit qu’un an auparavant j’avais pas encore commencé à écrire mes chansons quoi. Ça fait bizarre, mais c’est cool! Je me dis juste que je dois être au bon endroit, je m’y sens en tous cas. 

LFB : Je pense que tu l’es aussi car tu as l’air d’être épanouie là-dedans et de faire du bien aux gens. T.O.X.I.C, un morceau complètement dans ce cheminement- là, c’est le premier qui t’est venu? 

Thérèse : Oui et non. J’ai commencé à écrire Chinoise ? il y a deux ans mais elle était uniquement en anglais et je l’ai laissée de côté. Je crois que T.O.X.I.C a quand même été le pivot vers ce projet solo. J’ai commencé à gratouiller les paroles sans savoir du tout ce que j’allais en faire en novembre 2019. Cette année-là, j’étais dans une démarche de re-déconstruction et de re-reconstruction sur certaines parties de moi. Si j’ai sorti T.O.X.I.C en premier, c’était pour me dire à moi-même « Tu marques ce tournant, tu le matérialises ». J’avais envie de me débarrasser de toutes les injonctions sociales, en groupe, en couple, mais surtout les injonctions qu’on se fait à soi-même. J’ai redéfini ma notion de l’artiste, j’ai essayé de me défaire des complexes que je pouvais avoir sur tel ou tel truc technique, des critères physiques, et je me suis dit qu’un.e artiste que j’aime est quelqu’un qui me propose sa vision du monde que je trouve intéressante. C’est tout ce que j’essaie de faire aujourd’hui. On peut pas être complètement exempt.e de ça, mais j’essaie de me comparer aux autres le moins possible. Plus j’arrive à faire ça, et plus je m’apaise. Je propose ce que je propose et tous.tes les artistes se complètent : on est différent.e.s et c’est plutôt une bonne chose. 

LFB : Il faut intégrer qu’il y a de la place pour tout le monde.

Thérèse : C’est ça, ta sensibilité va peut-être pas toucher les mêmes personnes qu’un.e autre artiste, mais elle va toucher d’autres gens. Notre système capitaliste et notre industrie musicale renforce cette idée qu’il y a pas de place pour tout le monde. Les grosses majors sont là pour se faire de la thune et des choses bankables. Mais elles font leur taf! C’est à nous en tant qu’artistes d’être au clair avec la carrière qu’on a envie d’avoir. Est-ce que tu as envie de vendre des millions en faisant de la musique commerciale, ce qui est tout à ton honneur, ou est-ce que tu préfères faire de la musique moins commerciale mais être plus aligné.e avec ton public qui sera peut-être moins gros mais qui te suivra pour ce que tu es?

LFB : Ton premier EP Rêvalité a un titre qui interpelle : on y retrouve la notion de rêve, réalité et de rivalité notamment. Qu’est-ce que ce titre évoque pour toi? 

Thérèse : Je voulais un titre qui arrive à rassembler tous les titres de l’EP. Je me suis rendue compte que mes chansons étaient assez temporellement marquées par ce qui nous est arrivé cette dernière année. Tout ce que tu entends dans le titre est exactement ce que j’entends aussi. Je suis hyper heureuse que les gens arrivent à se l’approprier. J’ai vachement l’impression de vivre entre le rêve et la réalité : mon monde, c’est ça. Je suis très pragmatique et je construis à partir du tangible, mais je vais aussi vers un monde que j’idéalise. J’ai l’impression d’être constamment un pont entre deux mondes : la banlieue et Paris, l’Orient et l’Occident, le masculin et le féminin… Le rêve et la réalité sont deux autres opposés que j’ai envie de lier. Pendant le premier confinement, mon Rêve-alité était tout ce que je suis en train de faire aujourd’hui. 

LFB : L’EP est assez centré sur l’introspection, c’est important pour toi de t’ouvrir pour atteindre les autres plutôt que d’être dans du storytelling?  

Thérèse : C’est marrant parce qu’il y a deux raisons principales à ça : la première, c’est que je me suis rendue compte que je crée du lien avec les gens en m’ouvrant à eux. Comme on est tous.tes des miroirs les un.e.s des autres, si tu t’ouvres, les gens s’ouvrent aussi. C’est ce lien qui m’intéresse, quand les gens sont vrais et « nus », comme dans mon clip Skin Hunger qui est d’ailleurs shadow-banned par YouTube (rires). La deuxième, c’est que je souhaite défendre cette idée de liberté à travers le processus d’individuation dont parle beaucoup Jung dans ses écrits. Il raconte globalement que ce monde irait moins mal si chacun.e s’occupait un peu plus de son cul. C’est l’abandon du soin de soi qui permet les horreurs qu’on connait et qui laisse notre côté « ombre » prendre le dessus sur notre lumière. Je crois à l’équilibre, et je pense qu’il faut le trouver. Je me suis rendue compte de l’universalité du propos, au sens où on cultive tous.tes nos différences et notre individualité, mais puisqu’on est tous.tes uniques on est tous.tes pareil.le.s. Faire naître l’universalité à travers des expériences personnelles, ça m’intéresse. Ça veut pas dire que sur un prochain projet, je vais pas juste raconter des histoires fictives ou qui appartiennent à d’autres gens. Il y a d’ailleurs dans cet EP, des choses que je m’approprie dans le discours mais que j’ai vu à travers d’autres. Dans Apocalipstick, je m’identifie pas tellement à la personne qui parle : je dis « je » parce que je veux accuser personne (rires). Je veux juste demander aux gens de réfléchir et voir s’ils se mettent à la place de la personne qui parle. 

LFB : J’ai l’impression qu’on se construit vachement de petits bouts empruntés aux gens qui nous entourent. Quand tu vis quelque chose avec quelqu’un, que ce soit bon au mauvais, forcément ça va t’apporter quelque chose.

Thérèse : Que ce soit en amour ou en amitié, avec son.sa boss, le.a voisin.e du dessus, on passe notre temps à s’échanger des pièces. Nous on est une enveloppe, c’est tout. On change beaucoup d’une année à une autre. Apocalipstick, ça aurait pu être moi il y a dix ans, aujourd’hui j’ai l’impression de plus complètement être dans ce truc mais je vois beaucoup de gens être dans ces interrogations. 

LFB : Tout à l’heure tu parlais de faire le pont entre plein de choses, et je trouve que cette image va bien avec les sonorités qu’on retrouve dans l’EP. C’est une volonté où ça te vient naturellement?

Thérèse : Les deux. J’ai toujours été un mélange de plein de choses que ce soit au niveau vestimentaire, de ma culture… Je parle plein de langues, j’ai évolué dans pleins de milieux différents, c’est tout simplement ce que je suis. C’est une démarche instinctive mais aussi active car j’ai envie de le défendre. Je pourrais être ce que je suis et avoir envie d’une pop beaucoup plus « normée » mais c’est pas le cas. La chance que j’ai, c’est qu’Adam le comprend vraiment. Il a toujours samplé des choses du monde entier et on s’est super bien entendu là-dessus. On est allé.e.s un petit peu plus loin que ce qu’il utilise d’habitude car j’avais envie d’avoir des instruments organiques dans l’EP. On a fait appel à un musicien japonais qui habite en France et qui joue essentiellement des instruments afghans. Il s’appelle Kengo Saito. Dans l’EP, tous les instruments asiatiques que tu entends sortent parfois d’Ableton mais il y a énormément de trucs vraiment joués par Kengo. Il y a des tablas, de la sitar, du rubab. On a des rythmes en breakbeat, des trucs plus pop ou R&B… J’ai pas de frontières donc ma musique en a pas trop non plus, j’ai mis ce que j’aimais dedans (rires) 

LFB : Tu es polyglotte et ça s’entend dans l’EP : comment intègres-tu toutes ces langues? Est-ce plus facile d’aborder certains sujets dans une langue en particulier, peut-être par pudeur? 

Thérèse : Ma langue de prédiction pour écrire, c’est l’anglais à la base, parce que j’ai baigné dedans et que c’est une langue que je maîtrise bien. Ça me vient assez naturellement en anglais même si en ce moment j’écris beaucoup en français. Dans l’EP, Chinoise ? était à la base en anglais, et la seule stratégie a été de la passer en français sur le conseil d’Alex de mon label La Couveuse et d’Adam pour que le message passe. Je me suis dit qu’ils avaient raison et j’ai essayé de la traduire. Apocalipstick a aussi été écrite en anglais au début, puis je me suis dit que je voulais vraiment que les gens la comprennent. Ce sont plus des chansons « à texte » même si les autres abordent également des sujets complexes.  Le chinois a plus un rôle musical au niveau des sonorités : on place pas la voix de la même manière. Je voulais aussi voir si les gens pouvaient écouter un truc qu’ils.elles ne comprennent pas. Est-ce qu’ils.elles ouvrent une porte? Avec Chinoise ? je me rends compte que oui, on verra sur Differently. Quand je commence une chanson j’y vais à l’instinct, c’est des bouts de mots qui me viennent.

LFB : Chinoise ? a touché beaucoup de gens même en dehors du milieu musical : vu le sujet, elle a été relayée par beaucoup de médias qui parlent pas forcément de musique. Comment tu vis les retours?

Thérèse : Je m’attendais pas du tout à ça. Je suis agréablement surprise parce que j’ai toujours voulu faire de la musique un instrument politique. La pop-culture peut avoir une portée immense et on est dans une ère où l’état a abandonné toute politique culturelle. On donne des subventions, on sait même pas à qui on les donne, on engraisse des grosses boîtes mais on s’en fout du propos qu’ils.elles véhiculent. On est dans un pays où on s’est longtemps battu.e.s pour l’exception culturelle, pour défendre un art étatique et des idées et on est un peu dans une sorte d’abandon en ce moment. Par ricochet, pleins d’artistes ont abandonné ça aussi. On a souvent fustigé celles et ceux qui ont pris des positions politiques en les traitant de Che Guevara ou je sais pas quoi alors que c’est pas que ça. Ne rien dire, c’est aussi une position politique et c’est acquiescer ce qu’il se passe. Pour moi, les artistes ont aussi leur part à jouer dans cette société et on est aussi peut-être payé.e.s pour questionner le monde au delà du fait de kiffer sur scène et de tourner des clips, ce qui est aussi génial. L’entertainment a pris le pas sur l’artistique et j’ai rien contre l’entertainment : la preuve, je fais de la pop et mes icônes sont des gens plutôt grand public. Ce qui m’intéresse, c’est l’entertainment qui dit quelque chose. Rihanna dit quelque chose dans ses positions et avec tout ce qu’elle entreprend : le féminisme, l’inclusivité avec Savage par exemple. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté de poser pour la marque et être ambassadrice… Tu peux faire des chansons à la cool mais avoir un propos derrière. Les projets musicaux sont globaux. Je trouve ça bien de remettre du sens et du politique au sens noble du terme là-dedans, d’utiliser la musique comme un vecteur d’idées. C’est ce que je m’efforce de faire et je suis contente que ce soit bien reçu. 

LFB : Ton engagement est plutôt positif : tu arrives à transformer ta colère en quelque chose de bienveillant qui invite à se battre ensemble et pas contre les autres. 

Thérèse : Je suis méga, ultra sensible. Je me mets en colère très vite, je pleure très vite, je ris très vite… Mais je me suis rendue compte que quand j’exprimais ma colère sans l’avoir digérée, ça se passait pas bien. La personne en face s’en prenait plein la gueule pour des raisons relativement injustifiées, moi je disais n’importe quoi… Finalement, je me décrédibilisais car j’étais trop sous le coup de l’émotion. Je ne dis pas qu’il ne faut pas ressentir les choses, mais aujourd’hui on fait souvent l’économie de la réflexion. Le chemin, c’est corps, cœur, tête, comme je le chante dans Private Party. Et il faut pas oublier la tête! L’art est génial car il permet de prendre du recul et il offre une distanciation de l’émotion que tu as vécue. Je suis relativement modérée et j’aime pas quand ça se tape sur la gueule, mais si ton objectif est d’avoir des followers, il faut susciter les passions. Tu fais appel à l’instinct animal de la personne donc elle va adhérer aveuglément et beaucoup plus facilement. En revanche, quand t’es dans un discours un peu plus posé, ça demande de l’effort aux gens. Tu peux pas adhérer au discours du premier coup car ça nécessite de la réflexion. Ça prend plus de temps, mais je suis dans ce combat parce qu’il est plus effectif dans la société. Tant pis pour les mille emojis feu que j’aurais en moins sous une photo. Tout ce que je veux, c’est que les gens sachent pas s’ils vont liker ou pas car ils savent pas s’ils sont d’accord ou non, mais que sous la douche, en faisant la vaisselle ou avec un.e pote ils y repensent et que ça change quelque chose dans la vraie vie.

LFB : La colère, c’est quelque chose encore un peu tabou finalement.

Thérèse : On nous apprend pas à la détecter et on est dans une culture assez culpabilisatrice, issue notamment du catholicisme. J’ai rien du catholicisme au niveau familial, mais j’ai quand même grandi en France donc j’en suis imprégnée. On passe notre temps à s’autoflageller et on nous apprend jamais à dire « non ». Le « non », c’est juste manifester une limite ou un truc qui peut nous paraître injuste et nous mettre en colère. J’ai appris extrêmement tard à dire à quelqu’un que j’étais en colère. Je savais pas le dire et je savais même pas le reconnaître. Soit j’étais de mauvaise foi, soit je pétais un câble, soit je lançais un truc, mais je savais pas dire « ce que tu viens de me dire ou faire, ça m’a mise en colère ». Rien que le fait de le dire, ça redescend. J’avais fait une vidéo sur ce sujet sur ma chaîne YouTube pendant le confinement car je m’étais rendue compte de pleins de choses par rapport à cette émotion et qu’on pouvait en faire une alliée formidable. Avant je m’auto-critiquais beaucoup sur ça, je me trouvais trop colérique et ça me semblait pas bon, mais finalement je la dirigeais juste pas au bon endroit et j’en faisais pas ce qu’il fallait. Aujourd’hui, c’est ma meilleure pote. J’utilise l’art pour la transformer et en faire quelque chose de positif. Que tu le veuilles ou non, la colère elle est là. On s’abîme beaucoup avec ça. 

LFB : Tu mets souvent des artistes féminines en avant, notamment via des playlists. Tu peux nous parler de femmes qui t’inspirent?

Thérèse : La première personne qui m’inspire, c’est ma mère. Je trouve qu’elle a eu une vie bien rude et qu’elle arrive aujourd’hui à garder une âme d’enfant à la soixantaine et je trouve ça hyper beau. Elle a perdu sa mère jeune, elle a dû élever ses 8 frères et sœurs et son père dans un des pays les plus pauvres du monde, elle s’est cassée à cause de la guerre, elle s’est retrouvée à Hong-Kong sans parler la langue, elle s’est sentie mal donc elle a décidé de venir à Paris sans parler la langue non plus, elle a tout construit ici. Elle nous a offert une vie géniale, elle a tout sacrifié pour qu’on manque de rien. Mon père a voulu faire du commerce équitable donc il a été 6 mois par an à la maison pendant 15 ans, elle a donc du bosser 6 jour sur 7 tout en faisant notre éducation. Franchement, je suis sur le cul. Je trouve qu’elle prend la vie avec une philosophie assez extraordinaire. C’est un petit bout de femme, elle fait 1m48, mais elle a le mental d’un régiment. Sinon j’en parle tout le temps mais il y a M.I.A pour toutes les raisons que tu connais. Quelque part, elle fait le pont elle aussi entre ses origines et l’Angleterre, la mode et la musique… Elle est très militante aussi. Y’a Niki de Saint Phalle que je trouve absolument géniale, Elle a commencé en tant que mannequin et elle s’est rendue compte qu’elle était pas qu’un joli corps et qu’elle avait des choses à dire et elle les a dites haut et fort. Il y a aussi Louise Bourgeois ou Yayoi Kusama, d’autres artistes plasticiennes avec beaucoup d’audace. Il y a Rihanna dont on a déjà parlé car je trouve qu’elle sait très bien avoir un pied dehors et un pied dedans, c’est à dire se servir du capitalisme pour véhiculer des idées. Je trouve que c’est intéressant comme démarche. Je pourrais en citer d’autre, mais c’est déjà pas mal!

LFB : On retrouve un remix de T.O.X.I.C par KasbaH sur ton EP, tu aimerais te tourner vers la collaboration ou le collectif pour des prochains titres? 

Thérèse : Grave. Je suis ouverte à toute expérience, que ce soit croiser des univers musicaux ou croiser des arts. Il y a pas longtemps on m’a proposé d’être la voix d’une exposition qui devrait avoir lieu au Jeu de Paume en septembre si tout va bien. C’est la photographe Elsa Leydier, avec qui j’ai déjà collaboré, qui m’a proposé ce projet assez militant et éco-féministe. Je sais pas si je peux en dire plus, mais ça sera en réalité augmentée. Je trouve ça génial ce genre de collabs inattendues et super chouettes. J’aimerais beaucoup collaborer avec le monde de la danse aussi car j’adore danser. Le cinéma et la musique à l’image pourquoi pas aussi, j’aime toute forme d’expression. J’ai un feat sur l’album de Lexa Large et il y en a d’autres dans des univers bien différents du mien sur lesquels je suis en train de bosser. Et là récemment, on a fait un duo avec Waxx sur son insta. J’étais heureuse de rechanter du Amy Winehouse ! Je sais que l’industrie me dira que je m’éparpille, mais je m’en fous. Ce que j’ai envie de faire, c’est kiffer. Un album entier où je chante grosso modo la même chanson, ça ne m’intéresse pas. Évidemment, je cherche une cohérence à tout ça, mais j’ai le sentiment que les gens qui me suivent la voient très bien.

LFB : La Thérèse que l’on voit sur scène, très bien habillée et bien maquillée, à quel niveau elle est différente de la Thérèse de tous les jours?

Thérèse : Je dirais que c’est un super-moi. Je me reconnais complètement dedans, mais il y a un peu une idée de magnifier le réel. Après parfois je suis sur-sapée juste pour aller faire des courses (rires) mais en terme de make-up c’est pas du tout la même chose sur les clips ou à la télé que dans la vraie vie. Je me maquille aussi dans la vraie vie mais je sais pas si je ferais une télé totalement non apprêtée par exemple. Sur les réseaux on me voit tout le temps sans et en pyjama, j’ai rien à cacher mais il y a tout simplement le plaisir d’être sapée au max (rires). Il y a quand même une Thérèse de scène, mais je le compense beaucoup avec mon vrai moi. Tout ce que j’ajoute est plus décoratif que correctif, tout ça, ça change pas la Thérèse que je suis !

LFB : Tu nous parles un peu de ton passage sur Culturebox? C’était ton premier passage à la télé?

Thérèse : C’était mon premier live à la télé en tant que chanteuse, mais j’ai fait plein de télés sur des sujets militants. L’année dernière j’étais sur France 5, j’ai été interviewée par Quotidien et Canal+… C’était en tant que chanteuse mais dans un cadre purement militant. Dans un cadre musical, j’ai eu une interview sur Basique mais je ne chantais pas. Du coup, Culturebox c’était différent. Ça m’a fait bizarre, mais l’équipe était tellement sympa et ils ont su nous mettre à l’aise, et mine de rien la scène et les tournages rend la chose moins impressionnante. Me voir à la télé et recevoir les réactions des autres était très étrange. J’ai reçu des messages de félicitations super sincères de gens qui m’ont connue il y a 10 ans en train de faire des reprises de Moriarty en regardant mes pieds : ça fait super plaisir mais ça reste un peu déroutant. Je me rends compte que la télé reste un truc de reconnaissance sociale, une étape, alors que plus grand monde la regarde. Cette expérience était un mélange entre une certaine fierté et un certain questionnement sur le poids du système et comment l’industrie de la musique est construite sur une forme de fantasme. Je ne travaille pas plus que je suis passée à la télé, j’ai pas l’impression d’avoir réussi plus qu’avant y être passée. Il faut pas oublier de soutenir la somme de travail et le cheminement des artistes plus que le fait de cocher des cases comme la télé ou les Victoires de la musique

LFB : Qu’est-ce qu’on te souhaite pour la suite?

Thérèse : Du kiff, de saisir toutes les surprises, musicales ou non, et pour être plus terre-à-terre : du biff pour développer mon projet car on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche (rires). J’ai plein d’idées à pleins de niveaux, j’ai plein de choses à proposer mais j’ai besoin d’argent. J’ai eu l’énorme chance d’avoir le soutien du Nord, notamment de la Cave aux Poètes mais aussi du Flow. J’aimerais vraiment vraiment vraiment les remercier, ça y’est je vais avoir des larmes, car ils m’ont permis de faire des résidences, de monter ce live pendant cette année où il se passait pas grand chose. Ça a donné du sens et ça a donné des perspectives : ça dit aux artistes « on croit en vous, en votre projet et ça va s’améliorer. Dès que ça reprend, on vous fait jouer et retrouver votre public. » C’est un soutien psychologique énorme, car cette dernière année beaucoup d’entre nous se sont demandé à quoi on servait et ce qu’on foutait là. Ces structures accompagnantes ont un rôle déterminant à jouer dans le moral des troupes. C’est dur pour eux aussi et quelque part un cercle vertueux s’installe, ça leur permet de voir des artistes motivé.e.s et déterminé.e.s malgré les circonstances. Je les remercie d’avoir été là dans ces temps aussi difficiles. Les solidarités qui ont pu se créer pendant cette année compliquée sont belles, ça remet de l’humain dans tout ça. Pour ce qui est de toute mon équipe, c’est pareil : l’éditeur, le label pourraient se dire qu’on est juste des artistes en développement, qu’on va rien vendre et qu’il vaut mieux attendre, mais non. Ça a été les premier.e.s à me pousser à sortir quelque chose car ils.elles y croient. L’événement en ligne avant la sortie de l’EP, c’était un peu pour les remercier aussi, pour présenter tous les gens qui bossent avec moi. Dernièrement, WART est entré dans la famille pour nous aider à développer le tour et j’en suis absolument ravie ! Dans les médias on voit juste Thérèse, des belles photos et des beaux clips, plein d’interviews et c’est super, mais maintenant que je commence à avoir un petit peu plus de public, j’ai envie de montrer les gens avec qui je bosse et de les soutenir. Si ça permet à d’autres gens de vouloir travailler avec eux j’en serais que plus heureuse, ça agrandit la famille. Faut qu’on se fasse bosser entre nous parce que sinon on sera jamais essentiel.le.s! On lâche rien, on est là (rires) 

LFB : Tu as des coups de cœur à nous partager? 

Thérèse : Je suis une meuf tellement chiante, en ce moment je regarde des vidéos d’Andrew Huberman (neuro-science) ou des archives de Bourdieu (rires). En les regardant je me rends compte que le monde a pas tellement changé, mais c’est très intéressant. Je recommande de regarder l’épisode sur la télévision, il est sur YouTube. Ah et sinon, je viens de mater Drag Save the Queen parce qu’il y a mon ami Loïc aka La Big Bertha dedans qui parle des drags en France et j’ai bien pleuré. J’adore cet univers ! En coups de cœur musicaux, j’ai découvert des artistes à travers les auditions des InOUÏS car j’y ai été invitée en tant que jury. Je remercie et je salue d’ailleurs l’initiative de Matthieu, le programmateur du Trabendo. C’était un peu l’ironie du sort car je m’étais aussi présentée sans être prise donc c’était une situation un peu bizarre mais extrêmement intéressante. Ça m’a permis de désacraliser et d’humaniser le jury: c’est une bande de gens qui ont leurs goûts, leurs humeurs du jour, leurs intérêts… J’ai donc trouvé 3 projets super intéressants : Jaymie Silk, Flagalova, et coup de cœur scénique pour Mimaa. On s’était rencontrées dans un studio de potes quelques jours avant sans savoir qui l’on était, j’ai bugué en la voyant sur scène! C’est une meuf super badass qui s’excuse pas d’être là et ça fait plaisir. On a d’ailleurs sorti une cover golri de Ricky Martin dans le cadre de sa Feria. Sinon, le morceau que j’écoute en boucle en ce moment, c’est The Limit de Darkside.

Retrouvez un précédent échange avec Thérèse ainsi que notre chronique de Rêvalité et soutenez son clip Skin Hunger actuellement shadow-banned par YouTube.