Si le nom de Trente ne vous dit rien, tant mieux ! Vous allez avoir l’occasion de découvrir un artiste singulier, tout en finesse et sensibilité. Derrière Trente se tapit Hugo Pillard que vous avez peut-être déjà rencontré comme batteur pour Tomasi ou à la réalisation de clips pour des artistes tels que Pomme, Tim Dup, Videoclub, Terrenoire (liste non exhaustive). Après plusieurs EP disséminés depuis 2015, il nous livre un premier album – #1 Carnets – qui se présente comme une plongée dans son intimité. 12 titres, 12 pensées, 12 ressentiments et derrière beaucoup d’espoir.
Avec un premier titre court sous forme d’intro – sensément intitulé #1 car il n’a pas vraiment besoin de nom, il ne fait qu’ouvrir l’album – Trente nous dévoile les teintes que prendra son album. Structuré par des vibes opposées – ou plutôt complémentaires – qui donneront naissance à des chansons tristes, heureuses et très souvent les deux en même temps. Une introduction qui prend l’apparence d’un calme d’avant (ou d’après) la tempête, comme les moments de notre vie en général.
« Tout est trop fort en décibels »
Trente compulse les pages de ses Carnets comme il manipulerait fébrilement les touches play, pause, rewind et forward d’une platine cassette. Successions de moments musicaux frappeurs ou mélodieux – qui font rimer belle avec décibels – mettant en scène l’atermoiement des sentiments que l’on éprouve lorsque, sensibles, nous regardons en direction du passé.
Il peut être alors salutaire de lâcher prise en, par exemple, se mettant simplement à danser sans trop réfléchir à l’image que l’on pense renvoyer. Juste être qui on est. Mais alors notre nature peut nous rattraper. Tout comme la structure en palindrome que forme son titre, la chanson Mon Nom se vit en se conjuguant et en s’opposant. Un coup de foudre peut alors engendrer une angoisse impulsionnelle. « Tu connais pas mon nom / Et j’ai déjà peur de te perdre »
Une hantise dévoilant un sentiment sincère, tel qu’il nous apparaît porté par la chanson suivante 6 7 8. Sous l’apparence de pensées pour soi-même, il exprime – en six, sept ou huit vers – un engagement pur, sans sous-entendu.
De fragilité, il en est également question dans (Tous Malades 2023). Une ballade qui pourrait surfer sur le syndrome post-crise sanitaire ou plus structurellement l’enfermement dans les névroses générées par la société qui ont toujours bonne presse dans les médias. C’est une prise de conscience que l’on est tous plus ou moins malades – d’une façon ou d’une autre – et qu’il ne faut pas craindre de vivre avec.
Mais il ne faut peut-être pas trop en abuser non plus !
Car, antithèse des chansons pour faire la fête, du lundi au dimanche montre les effets négatifs des excès des soirées et nuits blanches qui s’enchaînent en suivant un cercle vicieux. Chanson gueule de bois même par sa structure qui s’étire en tournoyant sur elle-même. Chanson réaliste des lendemains qui déchantent. Hips, on accompagne, la bouche un peu pâteuse, Trente pour le refrain « Ooh / Bourré du lundi au dimanche ».
Dans la lignée de la chanson précédente, cette impression de décalage peut finir par donner naissance à une sensation d’abandon, même lorsque Sentiments repris en chœur rime avec « évidement ».
« Sans oublier / Que c’est beau la fête »
Mais la conscience de ce décalage peut également créer – du fait de la singularité – des échelles de valeurs distinctes (mais qui n’en sont pas moins dignes d’intérêt) comme celles portées par la fête. « Sans oublier / Que c’est beau la fête ». Chanson Peter Pan pour ceux qui ne veulent pas grandir à tout prix. La fête se pose telle qu’elle est, une ballade toute douce pour ceux qui croient aux bienfaits des relations humaines simples qui se construisent sans artifice.
Sans artifice, mais non sans défaut. C’est là que commence l’acceptation de l’autre. Mais, souvent c’est dans les défauts que se cachent les singularités qui construisent notre moi. « Je me déshabille, sous ma peau y a que du vide, je te jure / Et tu vas encore me dire que c’est faux / Que toi tu les adores, mes défauts ». À l’instar de Paris que l’on aime telle qu’elle est, malgré ses défauts ou peut-être du fait de ses défauts. Le timbre de la voix du début du morceau évolue tout comme l’ambiance sonore. Comme si l’on pouvait enfin parler à soi-même et se l’avouer. Cette dualité finit par transformer en une acceptation de ce que l’on est avec toutes nos imperfections.
Mais l’amour n’est pas simple. Ocytos parle de la dépendance affective, de la difficulté de rompre avec quelqu’un. La chanson parle de toute cette période d’overthink qui en découle. La musique suit les vagues émotionnelles, monte en puissance avant de retomber brutalement comme lors d’une descente émotive. Elle s’arrête puis reprend, mais la ligne musicale n’est plus aussi douce, des bruits sourds et erratiques viennent l’entraver la mélodie qui nous berçait jusqu’alors. Une guitare saturée accompagne ce torrent d’affect qui déferle vers nous avec son effet cathartique. Puis de nouveau tout retombe. Une mélodie apaisée revient formée simplement par quelques notes de guitare. La voix se dédouble et les amants se répondent à l’unisson. Octytos condense en huit minutes intenses toutes les étapes d’une rupture, de l’annonce au déni, de la colère aveugle à l’acceptation même empreinte de mélancolie et de regrets.
Reste l’amitié forte et indéfectible, telle celle qui l’unit à Tomasi ou à Fils Cara qui permet avec solidarité et bienveillance mutuelle d’éclaircir les idées noires qui peuvent s’immiscer imperceptiblement. Le sujet porté par Roi(s) des fous est lourd, il évoque avec pudeur les pensées suicidaires qui peuvent nous emprisonner qu’elles proviennent de réactions d’orgueil ou de haine de soi-même.
« De toutes les visions la plus jolie / C’est de voir ma mère heureuse après la pluie »
Puissante et douce à la fois, Après la pluie apporte une touche apaisante à la fin de l’album. Celle de la sortie d’une période sombre, d’une page que l’on peut enfin tourner. La mélodie mélancolique au début de la chanson se colore au fur et à mesure de teintes plus sereines et souriantes. « De toutes les visions la plus jolie / C’est de voir ma mère heureuse après la pluie ». Réapprendre à profiter de la vie, le faire à travers notre regard et celui de ceux que l’on aime. Retrouver la joie de vivre et la spontanéité qui déclenche le rire de cet enfant qui conclut le morceau et qui innocemment en un esclaffement referme le carnet que l’on a feuilleté.
Retrouver en images Trente lors de la release party de #1 Carnets au Pop-Up du Label :
(PORTFOLIO) Trente release party #1 Carnets au Pop-Up du Label