Une clé vers l’univers sensible de Yndi

Quoi de mieux, par un temps de grand froid, que de rencontrer Yndi. Cette jeune artiste nous a conté l’histoire de Memoria, son dernier album, avec douceur, sincérité, et beaucoup d’humilité. On se passionne pour toutes ses références, les images multiples et le voyage onirique qu’elle nous invite à traverser. 

La Face B : Je suis contente de te rencontrer. D’abord, comment vas-tu ? Comment tu te sens ? 

Yndi : Ça va. On sort l’album vendredi, et on va faire une petite release party dans un disquaire, vraiment quelque chose de très simple. Jeudi soir, avec les musiciens, on va jouer quelques morceaux, avec les gens qui ont travaillé dessus.

LFB : Et c’est dans quel disquaire ? 

Yndi : Chez ARK, dans le 11ème. Donc ce sera un peu convivial, là on répète en ce moment. Parce qu’on a quand même enregistré cet été, donc on est un peu rouillé. On se souvient pas exactement. *Rires.  

LFB : C’est un album qui s’appelle Memoria. Et tu travaillais dessus depuis longtemps ?

Yndi : Alors, Memoria … tout est relatif. C’est-à-dire que mon premier album, j’ai quand même passé presque 5 ans dessus. Et Memoria, j’ai passé un peu plus d’un an, un an et demi. Du coup, c’est… Je sais pas pour les autres, mais pour moi, c’était plutôt rapide. En tout cas, je l’ai vécu comme ça. Et puis, c’est surtout un album que j’ai un peu composé à partir d’une chanson. Enfin, un instrument, un arrangement que j’avais déjà en tête. Une formation que j’avais déjà en tête. Ensuite j’ai l’impression d’avoir fonctionné en déclinaisons. Toutes les autres chansons se sont nourries un peu de Memoria.

LFB : L’éponyme ? 

Yndi : L’éponyme, exactement. Dès le départ je voulais travailler avec la harpe, la contrebasse, la flûte, etc. Et ce morceau de Memoria qui était un peu le centre, l’origine de l’album. En fait c’est assez drôle, mais en gros je me suis beaucoup inspirée aussi du film Memoria, c’était cool. C’est en sortant de la salle, j’ai eu l’impression de, comment dire, ça a été un catalyseur. J’avais déjà des désirs, des idées vagues. J’ai l’impression que le fait de voir ce film, ça a un petit peu tout solidifié. Ça m’a permis d’avoir une base un peu solide pour travailler après. 

LFB : Je ne l’ai pas vu. Mais j’avais lu que tu t’étais inspirée de ce film qui est sorti en 2021.

Yndi : Tu n’as pas besoin de voir le film, juste ça a été le déclic. En fait, c’est surtout le personnage principal, il a une manière un peu d’occuper l’espace. C’est un personnage, qui est assez passif. Tout le long du film, il est plus traversé par plein de choses. Mais finalement, ce n’est pas vraiment un personnage qui va vraiment agir sur les choses. Pour nous en tant que spectateur, c’est un peu comme une sorte d’antenne. Le personnage est comme une sorte d’antenne. 

Le son est très important aussi dans ce film. Justement parce qu’on entend un peu à travers ce personnage d’une manière subjective assez étrange, cette attitude face au monde qui m’a intéressée aussi du point de vue de l’écriture. Où j’avais un peu envie de trouver un sujet, mais ce n’était pas très clair pour moi. Après ce film, je me suis dit que je pourrais faire des sortes de textes où le sujet était un peu en retrait. Avoir juste des choses qui vivent, qui existent comme ça, et sans vraiment de “je”. Sans un humain, ou sans avoir une sorte d’alter ego, ou une conscience humaine dans tout ça. 

C’est un peu le film qui m’a donné ces clés là. Et après, je me le suis un peu réapproprié. J’ai fait un peu mon truc. Je voulais un peu plus m’approcher de la photographie ou de la peinture, ou de la nature morte. 

LFB : Quelque chose de plus contemplatif. 

Yndi : Exactement, de plus contemplatif. Les chansons tournent souvent autour des émotions, d’un personnage très clair, d’un centre très clair. Et ça ne m’intéresse pas trop comme façon d’écrire. Mais j’aime quand même les chansons. Donc j’essaie toujours de trouver une manière à moi d’écrire des chansons, qui soit un style un peu neuf et personnel. 

LFB : Sous ton nom Yndi, et plus Dream Koala, tu avais sorti un premier album en 2021, qui s’appelle Noir Brésil. Je me demandais si ça t’a aussi permis de retourner plus vers tes origines brésiliennes. Est-ce que Memoria, il vient un peu dans la continuité de Noir Brésil ?

Yndi : C’est compliqué, mais je pense que oui. Il vient dans la continuité mais un peu en contradiction aussi. Oui, parce que je sais que Noir Brésil, c’est un album sur lequel j’ai passé beaucoup de temps. Qui a été une sorte de travail en sédimentation, un peu en couches, avoir quelque chose d’un peu plus épais et d’un peu plus lourd en fait. Et là, j’avais envie de plus retourner à quelque chose qui soit plus proche de l’aquarelle ou de l’ébauche. D’avoir quelque chose de plus vif. 

LFB : Et moins maîtrisé, ou plus spontané ? 

Yndi : Moins maîtrisé d’une manière mais surtout, j’avais aussi une autre donnée. J’avais envie de passer aussi moins de temps sur mon ordinateur tout simplement. J’avais une façon de travailler qui était beaucoup avec les couches d’enregistrement que je retravaillais, etc, un travail sur le son qui était plus moderne. Là j’avais envie de me retrouver avec des musiciens et faire deux, trois prises et voilà. Sur cet album j’ai vraiment beaucoup plus considéré le son de chaque instrument. Et puis, chaque instrument, c’est tout de suite une sorte de contrainte. Chaque instrument a un peu ses limites. Ça m’a forcée à avoir une autre attitude aussi, et un travail avec les musiciens qui était de nature très différente.

Donc, c’est dans la continuité. Pour moi, l’œuvre d’un artiste ne peut être jugée qu’à sa mort. C’est un peu un truc où on ne peut que voir à la fin de sa vie. Non, mais c’est vrai. Parce que tu peux faire un album qui prend sens qu’au sixième album. Et on se dit “ah, en fait, c’est ça que voulait dire le premier”. 

LFB : Mais il lui a fallu tout ça pour arriver jusque-là. 

Yndi : C’est ça. Pour moi, c’est un cheminement. Donc je considère que limite toute ma vie, c’est un peu le même album. Je vois pas trop les choses “c’est une période et une autre puis une autre”. Même si esthétiquement, évidemment, il y a des modifications.

LFB : Je me demandais si.. Tu joues d’un instrument aussi ? Ou plusieurs d’ailleurs ? 

Yndi : Oui, je joue de la guitare, de la basse et un tout petit peu de piano. Mais c’est principalement la guitare, mon instrument. D’où le fait d’avoir envie d’écrire pour d’autres. En plus, ce qui est aussi génial dans cette façon de travailler là, c’est que j’ai pu travailler avec des musiciens qui sont vraiment super et qui maîtrisent parfaitement leurs instruments. Il y a quelque chose d’assez incroyable de pouvoir écrire une ligne et d’appeler quelqu’un spécifiquement parce qu’on connaît sa passion de jouer. 

LFB : Et c’était des gens avec qui tu n’avais jamais travaillé avant ? 

Yndi : Certains, non. Et d’autres, c’est des très chers amis.  D’ailleurs, souvent, c’est né.. Par exemple, la harpe, est-ce que c’est le fait de connaître Camille et d’être son amie qui m’a donné envie d’écrire pour la harpe, ou est-ce que c’est un peu l’inverse ? Il y a quelque chose qui se lie, qui se mélange avec la vie.

À la base, je viens beaucoup plus de la musique électronique et du coup un rapport aux instruments qui est vraiment différent. Et là, c’était un peu une découverte. C’est bizarre parce que c’est une manière très classique de travailler, beaucoup plus traditionnelle, mais pour moi, c’était tout neuf. Ça m’a donné envie aussi de continuer, d’essayer aussi d’expérimenter un peu plus. Peut-être trouver une sorte de synthèse entre les deux, peut-être pour plus tard, un troisième album. 

LFB : Trop bien. Et donc, tu as travaillé avec six musiciens, c’est ça ? 

Yndi : Oui, j’ai joué du coup, aussi. Mais oui, il y avait Edmundo aux percussions, Camille qui est à la harpe, Margot à la flûte, Giordano qui est à la clarinette et Thomas à la contrebasse.

LFB : Donc, il y a un percussionniste dans les musiciens. Tu as toujours cette influence brésilienne qui teinte ta musique. Toi, tu es née et tu vis à Paris, c’est ça ? 

Yndi : Moi, je suis totalement née ici, j’ai grandi ici. Et c’est vraiment mes parents. En fait, toute ma famille est brésilienne. C’est juste, pour une raison qui m’échappe aussi, mes parents ont décidé de s’arrêter à Paris. Du coup, il y a quelque chose d’un peu aléatoire là-dedans. La musique brésilienne, je suis vraiment née dedans. Et puis en plus, même si ça n’avait pas été mes origines, je pense que ça m’aurait intéressée. Parce que je trouve que c’est une musique qui est très riche et qui est aussi une synthèse d’énormément de choses, par l’histoire du pays et par l’attachement du pays à la musique tout simplement.

Dans mon premier album, il y avait beaucoup un travail sur les percussions. Sur le deuxième album, c’est beaucoup plus en retrait. Mais je dirais que dans les harmonies, je trouve qu’il y a quand même une influence qui reste de certains compositeurs brésiliens des années 60, voire des années 70. J’apprécie énormément. En même temps, j’ai essayé aussi, avec la langue française, d’apporter une certaine souplesse. Parce que le portugais et le français sont des langues, qui ont des racines communes, mais qui sont très différentes. Surtout le portugais du Brésil. C’est encore autre chose que le portugais du Portugal. 

LFB : Pourtant, je trouve ça plus proche, en tout cas plus facile à comprendre.

Yndi : Oui, le portugais du Portugal, c’est vrai qu’il a un côté… Je ne sais pas, il y a un truc qui m’évoque un peu presque, pas le russe, mais un truc très nordique. La prononciation est très différente, un peu plus stricte. Là où c’est vrai que le portugais brésilien, il déborde dans tous les sens. Il a ce truc un peu plus chantant, un peu plus ondulant.

Donc quand j’écris en français, cet album-là, je ne l’écris qu’en français, qui était un peu un défi, parce que c’est une langue qui n’est pas évidente à faire sonner. J’essaie toujours de l’assouplir et de trouver une manière de la rendre un peu plus brésilienne. Ce n’est peut-être pas du tout ce que les gens ressentent ou entendent, mais je sais que quand j’écris un texte, j’essaie toujours de chercher à trouver quels sont les liens entre les mots, les manières de les faire presque sonner comme une autre langue. Ce qui rend les textes pas très clairs. En tout cas, souvent, entre la lecture du texte et la chanson, il y a une sorte d’écart. J’aime bien quand on découvre un texte, qu’on l’aime bien, qu’on l’a entendu, et en fait on découvre les mots à la lecture. Il y a quelque chose un peu dans les liaisons et dans la musique qui fait que tout se fond et ça fait presque une autre langue.

LFB : Oui. Ou alors je trouve que, moi je l’ai ressenti comme ça, que tu utilises un peu la voix comme un instrument en soi. Des fois elle passe au premier plan, parfois au second, et donc on s’accroche un peu à des mots comme des poèmes, mais sans comprendre. 

Yndi : Oui, c’est ça. C’est très important pour moi de passer par.. C’est des chansons, mais je lis quand même un peu plus de poésie que de littérature, que de romans. Dans la poésie, il y a une sorte de travail aussi entre le son et le sens, et la frontière un peu floue qu’il y a entre tout ça. C’est une chose qui m’inspire énormément. Et puis bon, quand on fait de la musique, le texte est une musique à part entière, donc il faut que les deux fonctionnent ensemble. 

LFB : Ça me fait penser, par rapport à ce dont on parlait au début, Memoria et la référence au film.. Est-ce que dans tes textes, au fond, tu ne te mets pas forcément en avant ? Enfin, ton écriture et tes mots, c’est plus des poèmes, oui, contemplatifs, mais pas auto-centrés.

Yndi : Oui oui totalement. Et puis honnêtement, j’ai vraiment une vie pas très intéressante. *Rires. Je pense qu’il y a plein de gens dont on entend les récits, et qui sont très intéressants, et je prends beaucoup de plaisir à les écouter, mais je pense que personne n’aurait plaisir à entendre ma vie qui n’est pas très fascinante. Enfin, ça m’intéresse moins. C’est vrai que je trouve que la création contemporaine est très centrée autour de l’individu. Et c’est vrai que je ne sais pas trop ce que j’ai à proposer.

Même si je pense que, même avec des choses très simples de la vie, il y a moyen de faire des choses très intéressantes. Je pense que ça demande énormément de talent, beaucoup plus de talent que pour ce que je fais. Du coup, c’est aussi pour ça que je laisse à Proust ce qui est à Proust, et puis j’essaie de me faire mon chemin. Oui, je pense qu’il y a aussi une volonté de se retirer. Et après, c’est faux, parce que … Je veux dire, ma voix est présente sur tout l’album, donc il y a un peu une sorte de contraste entre une forme de présence et en même temps un effacement du sujet. J’avoue que j’aime bien aussi jouer avec ça. Comme tu disais, avec la voix qui revient, qui repart. 

LFB : Une double représentation. 

Yndi : Exactement. 

LFB : Dans les mots, ce dont tu parles, c’est un peu une ôde à la nature, aux éléments. Je me demandais quelle place tenait la spiritualité et le sacré dans ton travail ?

Yndi : C’est vraiment une très bonne question. J’ai grandi dans une famille très croyante. D’une part très croyante, de l’autre pas forcément religieuse, mais en tout cas avec toujours un sens du sacré. Et moi, je pense que la musique, mon rapport à l’art est ce qui se rapproche le plus d’un rapport à la religion. Sinon, je ne suis pas vraiment une personne très croyante. Même si ça m’intéresse énormément.
Je pense qu’il y a dans l’expérience esthétique, il y a quelque chose qui est totalement lié à ça. Il y a une sorte de transcendance qu’on retrouve dans l’art. Et c’est une manière aussi, dans nos vies contemporaines, qui sont souvent en ville, où on n’a pas forcément beaucoup de temps. Moi, j’ai cet énorme privilège de pouvoir faire de l’art, mais on n’a pas non plus beaucoup de temps pour découvrir ce qu’il se passe à l’intérieur de notre esprit, nos rêves, etc.

LFB : C’est un peu comme une expérience introspective.

Yndi : Oui c’est ça, et beaucoup des arts, et pour moi la musique par excellence, c’est vraiment l’art qui permet de découvrir à l’intérieur de soi une sorte de richesse totalement insoupçonnée, où des fois, on entend quelque chose et on se rend compte qu’en fait, on a plein de choses en nous. On se dit “ah oui, ok, je ne savais pas”. C’est comme ouvrir une porte. J’essaie de faire une musique qui soit un peu propice à cette attitude, à ce phénomène-là, et de pouvoir permettre aux gens de découvrir en eux-mêmes de nouveaux endroits. 

C’est une expérience qui est proche du sommeil, en fait. Je suis très inspirée, toujours assez fascinée par la question du sommeil, qui est vraiment une sorte de mort contrôlée, un peu étrange, qui fait partie de notre quotidien. C’est vraiment un entre-deux monde. Dans toutes les cultures, il y a toujours plein d’histoires, de légendes, de mythes sur le sommeil, sur les rêves. Et du coup, je pense que j’essaie toujours aussi de faire ma musique, avec un lien très proche avec le sommeil, même au niveau du rythme. C’est un rythme qui est assez lent, qui n’a pas vraiment de pic. Comment dire ? C’est pas un fleuve tumultueux.
Je pense que le sommeil est vraiment un terrain qui, d’ailleurs, est en train de disparaître de plus en plus. Les gens dorment littéralement de moins en moins. Je pense qu’on est dans un futur, où, peut-être qu’on dormira quasiment plus.

LFB : Et toi, tu prends un peu le contre-pied.

Yndi : Je pense que oui, j’avoue qu’il y a un espace de liberté aussi. Et même si c’est un peu péjoratif de s’endormir devant une œuvre, moi j’avoue que si je le prends plus haut, ça me ferait plaisir. Tu vois, les gens, même si c’est pour dormir, c’est que ça a fonctionné, d’une manière. *Rires. Dans ce lien, en tout cas, entre ce que tu disais de sacré et de mythique, je pense qu’il y a un lien aussi avec le sommeil, quelque part dans ce triangle-là. 

LFB : Oui, je comprends. Et il y a aussi, tu as beaucoup de références. Tu t’inspires de livres, de poésies. C’est une petite aparté par rapport au sommeil. Il y a un morceau dans l’album qui s’appelle Rêverie. Pour le coup, il n’y a pas trop de paroles, et j’ai beaucoup aimé. Je trouve que ça répond vraiment à ça.

Yndi : Oui, là, simplement, on a inventé des syllabes comme ça, avec Camille. On s’est dit “ah ça sonne bien, mais ça veut rien dire du tout”, c’est totalement juste des onomatopées quoi. Il y a deux morceaux comme ça sur l’album, enfin lui il n’a pas de texte du tout, et le dernier morceau qui s’appelle Ciel, c’est à la base un peu une sorte de yaourt, où j’avais des mélodies et je me suis un peu enregistrée, en produisant des trucs qui ne voulaient rien dire. Finalement j’ai écrit un premier texte, qui se rapprochait un peu des syllabes que j’avais trouvées en yaourt, qui n’était pas très intelligible, et ensuite j’ai réécrit un deuxième texte, qui était trop intelligible.

La version sur l’album, c’est la première version, qui du coup n’a quasiment pas de verbe, enfin je veux dire c’est des sortes de phrases un peu non-verbales. Un peu énigmatique je pense, qui se trouve fonctionne mieux avec la musique. 

LFB : On n’a pas besoin de tout comprendre. 

Yndi : Oui voilà, après je sais que j’ai tendance à me faire des labyrinthes, et à me dire, étrangement tout est très signifiant, pour moi il y a vraiment un sens à chaque mot dans l’album et son ordre. Mais finalement c’est très flouté, et tout le monde peut un peu se dire ce qu’il veut. Je pense que c’est Mallarmé qui utilisait cette expression où il disait qu’il “creusait le verbe”. Lui il était complètement fou, il y a des poèmes sur lesquels il a travaillé pendant 10 ans, 15 ans, et du coup on a des versions différentes sur 15 ans du même poème. On voit les premières versions, il y a une forme de limpidité en fait, et on sent qu’au fil des années, comme c’est flouté, il a rendu les choses plus abstraites, jusqu’à retenir une sorte d’essence de la première version, avec des suggestions, des sensations, des choses. 

J’aime bien cette sensation d’aller vraiment plus loin dans les mots et dans les sons, jusqu’à arriver à un texte qui est presque comme une énigme, mais en fait il faut passer du temps pour l’apprivoiser, l’entendre. Finalement il y a une autre expérience qui se dégage. Une expérience à la langue qui est un peu rare, c’est vrai qu’en général on parle, on dit des choses rapidement et on veut tout de suite comprendre. J’aime bien qu’il y ait des espaces où on peut se laisser des marges un peu floues, un peu d’indécision. En tout cas cet album-là, c’est un peu le chemin que j’ai choisi. 

LFB : Il y avait aussi, je trouve, comme tu joues beaucoup avec les silences, il y a cette notion de prendre le temps. 

Yndi : Oui, ça me parle beaucoup, je l’ai réécouté un petit peu parce qu’on avait fait une session d’écoute, et j’étais en mode “là c’est tellement bavard, enfin il y a trop de trucs”. Finalement pas tant que ça, mais c’est vrai qu’au fil du temps … C’est super cliché de dire ça, mais je pense que plus on fait de la musique, plus on se rend compte qu’en fait, moins de choses il y a, et plus il y a de silence, les choses ont plus de place, et plus d’espace pour pouvoir révéler leur timbre, leur complexité, etc.

Mais c’est vraiment dur d’arriver à ce stade-là, on veut un peu tout mettre, toutes nos idées. J’ai passé beaucoup de temps sur cet album à juste enlever des choses, j’ai jeté je pense 6 morceaux, il y en a 9, mais en fait on en avait beaucoup plus. Il y en a plein que j’ai vraiment fait au dernier moment, j’étais venue avec un peu plein de trucs. On est arrivé en résidence pour répéter, on a joué plein de choses et le fait de discuter, de passer du temps ensemble, de s’écouter jouer et tout, ça m’a fait enlever la moitié des choses et refaire d’autres choses, parce que ça ne fonctionnait pas.

C’est un peu abstrait, mais des fois je pense qu’il y a un truc dans les œuvres qui est un peu étrange, où il y a un moment où c’est un peu l’artiste qui lance les mouvements, mais parfois ça ne fonctionne pas. C’est comme si un morceau en exigeait un autre, et ça devient une sorte d’organisme qui décide à la place. Je pense que ce n’est pas propre à la musique. Je pense que dans la peinture ou dans le cinéma, on va se confronter à ça, et des fois on a envie d’imposer nos idées ou des choses, et finalement ça ne fonctionne pas, il faut un peu céder. 

LFB : C’est difficile de faire l’inverse, d’enlever plutôt que de mettre, ajouter des couches.

Yndi : Oui, en vrai c’est un peu de l’orgueil aussi, parce qu’on se dit “ah cette idée je sais qu’elle est bien, je sais que ça va être bien, il faut que ce soit là”, alors que des fois c’est au détriment du tout et de l’œuvre en général, du coup il faut savoir un peu s’effacer. 

LFB : Donc vous avez tout enregistré lors d’une résidence cet été ? Comment ça s’est passé en termes de création ? 

Yndi : J’ai beaucoup composé déjà un peu en amont, et ensuite moi je ne sais absolument pas écrire de partitions. Je suis vraiment la pire personne en solfège sur cette terre, et donc j’ai juste des sortes d’ébauches. Tous les musiciens qui travaillent, travaillent d’oreille, donc c’est plus facile de communiquer. J’avais des idées, je m’enregistrais un peu en chantant, et après on se voit, on débrief, on essaie, et puis on a fait ça pendant une semaine et quelques. Ensuite un mois après on est allé en studio, on a enregistré le résultat.

Ça s’est fait un peu en trois temps, mais j’ai quand même besoin d’un temps de solitude avant de partager avec les musiciens. Les premiers mois de création, c’est toujours des moments très très sensibles, où la moindre chose peut totalement transformer le processus. Je fais toujours un peu attention aux gens que je vois, aux films que je regarde. Quand je suis en train de commencer à faire quelque chose, j’ai besoin d’être un peu dans une sorte de cocon. Je suis un peu parano sur le tout, et puis après une fois que je sais que j’ai une base qui me va, je peux faire écouter, et puis prendre les critiques et les avis. 

LFB : Par exemple j’avais lu que sur le premier morceau, qui s’appelle Sycorax, tu t’es inspirée d’un personnage dans un livre de Shakespeare. Est-ce qu’il y a d’autres morceaux, est-ce que c’est quelque chose que tu as l’habitude de faire ? 

Yndi : Sycorax, c’est vraiment littéralement le nom du morceau. Ce qui est sûr c’est que, je crois que j’ai un lien assez fort, une forme d’intersectionnalité avec la peinture, le cinéma … Il y a un réalisateur que j’aime beaucoup, qui s’appelle Jacques Rivet, qui disait “la seule critique possible d’un film, c’est de faire un film”. J’aime beaucoup cette idée de faire une œuvre pour répondre à d’autres, pour moi du coup c’est la musique. Moi je suis énormément inspirée par toute la musique du début du XXe, que ce soit Debussy ou Ravel. Il y a plein de choses chez eux que je reprends, mais à un niveau vraiment, pas du tout aussi élevé que le leur. Je veux dire, même musicalement, il y a beaucoup d’empreintes toujours, et dans les textes aussi.

Je m’amuse beaucoup à cacher des choses, et même en dehors de cacher, juste à trouver, à reprendre à d’autres, soit des personnages, ou même l’évocation d’un personnage. Sycorax, j’ai appelé le morceau Sycorax, j’aurais pu ne pas le faire, mais pour moi c’était plus une évocation du personnage. C’était plus une suggestion du personnage, même dans le texte. C’est un personnage qui en fait est absent dans la pièce, et c’est aussi pour ça que je l’ai repris, parce qu’il y a un lien je pense, avec ma façon d’écrire dans cet album. 

C’est un personnage qui est extrêmement présent dans La Tempête. Je ne sais pas si tu vois la pièce, toute la magie, tout le bâton magique de Prospero, c’est celui de Sycorax à la base, lui il lui a volé, mais elle n’est pas là, parce qu’elle est morte un siècle avant. C’est un personnage sur lequel beaucoup de chercheurs, de théoriciens, même des coloniaux, ont écrit. C’est une figure qui a vraiment intéressé la pensée contemporaine. Ou Fata morgana par exemple, c’est la fée Morgane aussi, dans le cycle arthurien. Il y a plein de personnages comme ça, ou de choses aussi, dont je m’inspire régulièrement, ou des tableaux. Pour les clips qu’on a fait, la peinture de Cézanne m’a énormément inspirée, beaucoup nourrie aussi, dans l’écriture. 

LFB : C’est vrai, je voulais finir sur ça. Il y a la mélodie, les paroles, mais aussi les visuels, l’image, qui a l’air hyper important, dans ton travail.

Yndi : Oui, beaucoup, c’est vrai que j’ai toujours des, comment dire, des rêves de réalisatrice. J’ai toujours voulu un peu, faire du cinéma plus ou moins, faire de la vidéo etc, et du coup, les albums sont un peu des prétextes, pour trouver un budget, pour faire des vidéos. 

LFB : Et pour toi, l’un fonctionne avec l’autre ? 

Yndi : Alors, ça dépend. Là, oui, parce que je voulais, comment dire, je sais qu’apparemment, aujourd’hui, les clips ne servent un peu à rien. Apparemment les gens en regardent moins qu’avant. Je ne sais pas si c’est vrai, mais apparemment, vu que tout fonctionne sur les réseaux et sur les listes.

LFB : Pourtant, moi, j’ai l’impression de voir énormément de travail qui est fait sur les clips. 

Yndi : Moi, je regarde aussi. Oui, là je voulais absolument les faire, déjà, parce que je voulais vraiment qu’il reste une trace des musiciens qui jouent le morceau. 

LFB : Oui, c’est vrai, et ils sont dans Fata morgana

Yndi : Oui, ils sont dans tous les clips, c’est vraiment littéralement plus que moi. Quand on enregistrait, je les regardais et je trouvais ça vraiment juste, la manière de jouer, enfin, les gestes, toutes ces choses-là. Je trouvais ça super beau. Et je me suis dit, “ah, il faudrait faire des clips, mais je ne sais pas, est-ce que je me mets en scène », bref, j’ai eu dix milles idées, je me suis dit, pourquoi pas juste filmer les musiciens.

Il y a vraiment ce travail des réalisateurs, Jean-Marie Straube et Danièle Huillet, qui m’inspire énormément parce qu’ils ont un rapport au cadre qui est vraiment très, très, très attentif, aux moindres détails. S’il y a une fleur qui est à gauche, on ne va pas couper, on va l’intégrer dans le cadre. Et puis il y a une attention vraiment folle à l’image. J’ai voulu un peu, par amour, par amitié, en fait, pour eux, j’avais envie qu’il reste une trace de ça. Parce qu’on ne va pas faire de concert.

LFB : D’accord. Ah oui, il n’y a pas de concert de prévu avec cet album ?

Yndi : Non, et ce que je sais, c’est qu’il n’y aura pas de tournée. Alors je me suis dit “voilà, ça me ferait plaisir”. On aura 70 ans et on regardera ça, on se dira “tu te souviens, c’était ce moment-là de nos vies”. 

LFB : C’est super intéressant. Et puis, il y a un côté.. Avec cet album, tu proposes un peu un voyage onirique et coloré. Il y a quelque chose de lent et en même temps, d’assez chaud, aussi dans les images que tu as tournées à côté de Aix-en-Provence. C’est ça ? 

Yndi : Oui, c’est ça.

LFB : C’est un peu des petits tableaux, mis bout à bout. 

Yndi : Oui, c’est des tableaux totalement. C’est vraiment des suites de tableaux. Il y a genre, six plans à tout casser par clip. C’est vraiment très, très minimal. Je tenais à ce qu’on tourne en pellicule quand même, donc on a réussi à l’argentique. Mais sinon, c’était très minimal comme tournage. C’était vraiment un trépied et une caméra, les musiciens et lumière naturelle. On a pris le temps de bien cadrer et attendre le bon moment. 

On a réussi à avoir un moment où le soleil passe et il y a un nuage qui arrive. Tout ça, je suis assez preneuse de tous ces petits accidents, ces petits événements. Même si je sais que les gens ne vont sûrement pas regarder tous les détails. Moi je sais qu’il y a un truc un peu comme dans les cathédrales. Personne ne verra ces trucs-là, mais on sait que les bâtisseurs ont souvent plein de petits détails, même derrière les statues. 

LFB : En tout cas, tu invites les gens qui vont écouter ton album à regarder les clips. 

Yndi : Oui, j’espère. J’espère que le maximum de gens vont les voir parce que je crois que c’est.. Même si il y a une liberté individuelle avec l’écoute, je trouve qu’il y a quelque chose de, comme tu dis, il y a une sorte de symbiose entre les deux. Et j’ai écrit une partie de l’album dans le sud aussi. Ce que j’aime beaucoup aussi dans cette région, c’est que c’est un paysage qui n’est pas.. Il faut un peu apprendre à l’aimer. C’est pas très verdoyant, c’est des cailloux, c’est répétitif. De très petites plantes, de très petites fleurs, c’est aride. C’est pas un paysage qui se donne immédiatement je trouve. 

Il y a une philosophe qui parlait du sud. Elle disait que c’était des plantes qui sont basses. Des plantes qui restent vraiment au ras du sol mais qui s’élèvent avec les odeurs. Parce qu’en fait, c’est très parfumé comme paysage. J’aime beaucoup cette idée. Il est finalement très riche en souvenirs. N’importe qui qui a grandi dans le sud ou quelqu’un nous dira les souvenirs de l’odeur, de la garrigue.

LFB : Oui, je suis d’accord. Et j’ai beaucoup aimé le fait que, aussi, en fait, à part si on vient de là-bas, ça peut être un paysage un peu imaginaire, où on puisse se projeter où on veut. 

Yndi : Oui, surtout sur le deuxième, sur Fata morgana, on a trouvé des angles où il y a quelque chose d’un peu étrange. On ne sait pas trop où on est quoi. En plus, c’était une vieille réserve, donc j’avais aussi le pouvoir de jouer dedans. Il y en a un troisième, aussi, qui va sortir, qui est un peu plus verdoyant, un peu plus solaire. On a eu plus de soleil ce jour-là. 

LFB : Qui a été aussi tourné au même endroit ? 

Yndi : Oui, en fait, les trois clips sont plus ou moins au même endroit. C’est juste qu’on a trouvé un endroit, où il y a, à quelques mètres, des végétaux très différents et des paysages assez différents.

LFB : C’est un vrai projet collectif avec les musiciens. 

Yndi : Oui, oui, totalement. Et puis en plus, ça leur a fait plaisir, je pense. On a fait un petit voyage et c’était marrant. C’était un peu une manière de fermer l’enregistrement. 

C’est un album sur lequel j’ai vraiment pris beaucoup de plaisir. J’ai vraiment eu une sensation de liberté. Enfin, étrangement, le fait d’avoir plus de contraintes avec les musiciens, avec le fait de ne pas produire sur l’ordi après, de ne pas faire beaucoup de post-prod. Etrangement, je me suis sentie beaucoup plus libre qu’avec tout ce qui est possible. C’est vrai qu’une fois qu’on ouvre la porte de tous les logiciels, de toutes les possibilités de travail sur le son, de modifications, etc., c’est vrai que c’est une sorte de puit sans fond. On peut se sentir totalement démuni face à tout ce qui est possible de faire, et alors que là, c’est bizarre je me suis sentie vraiment plus libre.

LFB : Donc tu le referais, le fait de travailler comme ça, ça serait quelque chose qui t’intéresse ? 

Yndi : Oui, c’est sûr, parce que là, je suis en train d’écrire un EP que j’enregistre en février, que instrumental. Il n’y a pas de textes cette fois-ci. Je suis totalement dans la continuité de ce travail-là. 

LFB : Avec les mêmes musiciens ?

Yndi : Avec les mêmes musiciens, sauf la contrebasse, ce sera une autre contrebassiste qui joue plus à l’archet. J’ai une autre amie qui va jouer. Au lieu de la clarinette, ce sera un basson.

LFB : Alors tu es un peu entre deux projets.

Yndi : Oui, je suis entre deux. J’aime bien, je ne peux pas, si je suis sur une seule chose, je panique. J’ai besoin de faire plusieurs choses en même temps. Je crois que tout le monde. Et puis parfois, les choses se nourrissent les unes et des autres aussi. Moi ça m’aide de pouvoir laisser un truc de côté, travailler sur quelque chose, revenir, laisser ça. C’est un peu ma façon de travailler, un peu bordélique des fois. 

LFB : Mais petit à petit, ça se construit. 

Yndi : C’est ça, exactement, en parallèle. Il y a un moment où tu mets plein de petits trucs, et au bout d’un an deux ans, tu sens que tout a un peu grandi. Tu te dis, ”attends, là, ça peut fonctionner, ça aussi, ça aussi”. 

LFB : Ou on peut récupérer ce truc-là, qui était resté de côté.

Yndi : Totalement. Là, c’est ce qui se passe pour celui-ci. Il y a des choses que j’ai jetées sur Memoria que j’ai un peu transformées et qui vont être sur le prochain.

LFB : Sur l’EP. 

Yndi : Oui, sur l’EP; qui s’appelle Combat d’amour en songe. J’adore ce nom, il n’est tristement pas de moi. J’aurais adoré avoir trouvé ce nom. Mais non, c’est une traduction d’un vieux texte de la Renaissance, et que j’adore. Je le trouve super évocateur. 

LFB : C’est super beau. On suivra la sortie de ce projet. 

Yndi : Oui, j’espère que ça te plaira. 

LFB : Oui. En tout cas, merci pour l’interview.

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