On s’est retrouvé un samedi matin au beau milieu du stade du DFCO. Il faisait froid, les rayons du soleil filtraient à travers les baies vitrées, offrant une vue sur la pelouse et les gradins vides. On s’est laissé bercer par cette quiétude jusqu’à ce que quelques notes de piano viennent réveiller nos émotions. Victor Solf est venu présenter Aftermath, son premier EP, dans le cadre du Festival GéNéRiQ à Dijon. Un entretien sensible et bouleversant à l’aube de sa carrière solo.
La Face B : Salut Victor ! Je suis super contente de pouvoir t’interviewer, je te suis depuis l’époque de The Popopopops.
Victor Solf : Ah c’est trop cool !
LFB : Comment ça va ?
VS : Ça va super ! Levé tôt parce qu’on joue très tôt. On joue à midi là tout à l’heure dans le cadre du Festival GéNériQ. C’est un festival que j’aime beaucoup, que j’ai eu l’occasion de faire avec Her et qui est aussi un peu lié aux Eurockéennes de Belfort, avec une partie de l’orga qui est la même et tout. Donc je suis très content de pouvoir faire ça. C’est une formule un peu particulière, que je ne pense pas refaire beaucoup, parce que là je vais juste être uniquement piano/voix. Ça va être une façon de présenter une partie de mon travail sur cet EP et sur mon projet solo. Mais ça va être cool !
LFB : J’ai adoré ton EP, c’est important de le dire. J’ai eu une lecture de cet EP, tu vas me dire si je me trompe. J’ai eu l’impression que tu commençais par Hero, qui est une forme d’affirmation de ton projet, notamment avec des citations comme «Yes I’m her, but I’m him» qui est une éclosion de toi, en tant que Victor Solf. En suite, Stonehouse vient délivrer une démonstration de ton style. Traffic Lights est très dure, très puissante et explique aussi le titre de l’EP. Et The Salt of The Earth est douce-amère mais très optimiste, et qui s’ouvre sur la suite avec beaucoup d’espoir. J’ai vu un peu ton cheminement pour aboutir à cet EP. Qu’en penses-tu ?
VS : Oui c’est ça, c’est sûr ! En fait, c’est un EP très personnel. J’ai vraiment voulu m’affirmer de ce côté-là, chercher beaucoup plus l’intimité, l’émotion plutôt que de chercher la perfection d’avoir un très gros son. C’était vraiment pas ça que je voulais parce que c’est sous mon nom en fait maintenant, je me cache plus derrière un pseudonyme. Ce qui m’a beaucoup intéressé dans cet EP à faire c’est d’évoquer les réactions que j’ai eues par rapport à des épreuves dans ma vie, et à quel point ça m’a demandé de me battre pour continuer à avoir de l’espoir, m’aimer moi-même et continuer à aimer les autres, à être tolérant. C’est vraiment tout ça qui anime l’EP. C’est mes quatre premiers titres, donc c’est une manière aussi de montrer ce que je peux faire.
LFB : Tu parles d’intimité, et justement, tu as composé et enregistré l’EP sur un piano à côté de ta chambre. Pourquoi cette volonté de retrouver un peu de D.I.Y (do it yourself) ?
VS : Ouais c’est ça, je voulais revenir à quelque chose de plus sobre je dirais, de plus simple, plus direct. C’est aussi beaucoup dans mon caractère. J’ai toujours aimé être proche des gens et je me suis dit «quoi de mieux pour être proche des gens que d’enregistrer tout l’EP dans mon appartement ?».
LFB : Je trouve aussi qu’au niveau du visuel, ça dénote vraiment de tes projets précédents qui proposaient une esthétique très travaillée et réfléchie. J’ai l’impression que tu fais les choses comme tu le sens et qu’il n’y a pas vraiment de préméditation d’un ensemble esthétique uniforme, comme dans Her, par exemple, avec l’omniprésence du noir et blanc. Même au niveau de tes photos de promo, il y a beaucoup d’ambiances différentes qui montrent aussi toutes tes influences. J’ai l’impression que c’est moins calculé.
VS : Oui c’est ça, ouais ! Je voulais me libérer aussi du costume, de ce qu’il y avait avant. Changer, quoi. Avoir quelque chose de plus pop, plus lumineux, c’était important pour moi. Après le travail que j’ai fait pour la pochette c’est quelque chose qui m’a pris vraiment du temps car je voulais à la fois que mon côté piano/voix intemporel des années 60 puisse se rejoindre avec le côté très moderne qu’il y a dans ma prod. Et j’ai pris beaucoup de temps pour réfléchir à comment illustrer ça en image. J’ai décidé de bosser avec Richard Dumas qui est un portraitiste vraiment classique qui a autant shooté Kate Moss que le premier album de The Last Shadow Puppets, qu’un des derniers albums d’Alain Bashung… Donc il travaille à l’argentique, et je me suis dit que cet aspect allait vraiment représenter le piano/voix. En suite, je me suis dit que j’allais travailler avec un graphiste ultra moderne, qui est le graphiste de Nekfeu et Lomepal. Je lui ai donné carte blanche, mais en partant de cette photo, comme moi, dans ma création, je suis parti du piano/voix.
LFB : Au niveau de ton processus créatif, est-ce que tu laisses les notes de piano poser les bases de tes chansons pour après venir rajouter le texte, ou est-ce que tu écris les paroles puis les illustre avec la musique ?
VS : De ce côté là je suis assez libre. La contrainte que je me fixe plutôt c’est simplement d’être sur mon piano, avec mon cahier ou mon téléphone pour écrire et c’est tout. Et je passe dans un premier temps beaucoup de temps à faire ça. De temps en temps, ça commence par les paroles, dans un autre temps le piano. Ça c’est quelque chose d’assez nouveau pour moi car par le passé, j’avais toujours un ordinateur à côté de moi. Je fonctionnais beaucoup avec l’ordinateur comme un autre musicien qui lancerait des pistes. C’est agréable de changer de méthode.
LFB : Je trouve qu’il y a un travail particulier sur la voix. Je sais que tu as donné des cours de chant et que c’est quelque chose d’important pour toi. Sur cet EP, j’ai eu l’impression que la voix était presque un instrument, ce qui dénote des prods actuelles, par exemple avec PNL où la voix est en premier plan de manière flagrante. Là il y a une belle fusion entre l’instru et ta voix.
VS : C’est gentil ! C’est vrai que la voix pour moi c’est ce qui a de plus important dans ma musique et dans les paroles.
LFB : Tu parlais tout à l’heure de tes influences, notamment les années 60. Ça vient de tes parents ou c’est toi qui t’es construit autour de ça ?
VS : C’est moi qui me suis vraiment construit comme ça. Le blues, la soul et le gospel m’ont donné envie de devenir musicien et m’ont appris à voir le piano différemment et voir ma voix différemment. À chaque fois que je compose comme ça, c’est presque une manière pour moi de rendre hommage à cette musique que j’aime vraiment énormément. Là encore récemment j’ai redécouvert un titre de Nina Simone qui s’appelle Everything Must Change, et c’est incroyable. C’est une musique qui me bouleverse, autant dans la réflexion sur les harmonies, les accords que sur l’interprétation, que sur les textes. Je pense que je vais continuer encore longtemps à travailler autour de ça.
LFB : J’aime beaucoup Ella Fitzgerald, et je trouve qu’il y a quelque chose que vous partagez tous les deux, c’est le fait que vos chansons m’insufflent autant de tristesse, de mélancolie, que de joie, de paix. C’est un EP à la fois très lumineux, et à la fois très difficile notamment par les thèmes abordés.
VS : Ouais ouais, c’est vrai ! C’est exactement ça.
LFB : On te compare souvent à Kanye West, t’en penses quoi ?
VS : Je suis un énorme fan de Kanye West donc je suis pas sûr d’être à la hauteur de la comparaison ! Mais c’est vrai que c’est souvent ce que moi j’aime dire. J’aime pas considérer que ma musique rentre dans une case. J’aime bien mélanger des styles un peu inattendus et avec ce projet solo je me suis dit que j’essaierai vraiment d’allier autant le piano de Max Richter, de Ravel, de Bach, avec le songwritting des années 60, donc Nina Simone, Ottis Redding, Marvin Gaye et en essayant de le moderniser, de me le ré-approprier avec des productions actuelles beaucoup plus électroniques. C’est pour ça que je pense beaucoup à Kanye West. Le dernier album est très bien mais moi je pense beaucoup à The Life of Pablo. C’est vraiment pour moi une grande influence.
LFB : Aftermath a plusieurs traductions en français – autant les conséquences, que les séquelles ou les répercussions. C’est quoi pour toi la symbolique ?
VS : La symbolique pour moi c’est vraiment la reconstruction et la réaction face à des épreuves. C’est vraiment un thème universel car on est tous amené, chacun dans nos vies, à vivre des épreuves que ce soit personnelles ou professionnelles. Ce que je trouve intéressant, c’est de voir ce qu’on en fait. Est-ce que ça va nous changer ? Changer le regard qu’on a sur les autres ? Arrêter d’avoir confiance en les autres ? Est-ce qu’on va commencer à vouloir se protéger ? À avoir peur ? Et en fait, je me suis rendu compte que c’était très difficile de continuer à garder un regard positif sur la vie et avoir de l’espoir. C’est vraiment ce que j’essaye de faire. Et je trouve qu’avec l’expérience et les épreuves que j’ai eues à vivre, je me rends compte que c’est assez facile de frapper quelqu’un, de lui cracher dessus. Il y a quelque chose de très facile dans la violence et la haine. Ce qui est vraiment dur, et qui est courageux, la vraie force, c’est de prendre quelqu’un dans les bras, de lui pardonner, d’être tolérant et de continuer à s’aimer soi-même. J’essaye de vivre comme ça et je me suis rendu compte que j’avais beaucoup besoin d’en parler et d’écrire à ce sujet.
LFB : On parle du pardon, est-ce que la religion t’inspire ?
VS : Un petit peu, ouais. J’ai la foi en l’humanité plus que dans une religion. Je pense qu’il y a vraiment du bon dans l’Homme et que ça demande beaucoup d’effort. Continuer à avoir de l’espoir. Il y a du bon dans l’avenir et c’est important de vivre comme ça aussi car on a tellement de chances d’être envie, d’être en bonne santé. Et je trouve que c’est une belle façon de le réaliser et de le faire que de continuer à avoir un regard positif sur nous-même et sur la vie et l’avenir. Et c’est pas facile.
LFB : Effectivement. Et c’est quoi du coup l’avenir pour toi ?
VS : Là j’ai attaqué l’album, j’aimerais bien qu’il sorte d’ici un an mais c’est beaucoup de travail. Je suis dans une phase très chaotique, pour moi c’est important de passer par là. Je suis en train de me redéfinir, et c’est comme ça que j’ai trouvé la formule de l’EP qui me plaisait vraiment beaucoup sur un quatre titres. Ça ne sera pas forcément la même sur un format plus long et je trouve ça important d’arriver avec un discours musical très clair. J’ai commencé à réécrire, à passer les fameux piano/voix sur ordinateur et il y a des trucs très intéressants. Des trucs plus up-tempo, ça me plaît parce que je me suis rendu compte avec le temps que dès que je me mets au piano, j’ai envie d’écrire des balades hyper poignantes, des chansons un peu low-tempo. Et là j’essaye de sortir de ma zone de confort. C’est toujours ma manière de travailler de toutes façons, de prendre des risques et de ne pas tomber dans la facilité.
LFB : Pour l’album, tu penses faire une production maison également ?
VS : Pareil, j’ai des sessions qui se mettent en place à Londres, à Los Angeles. Je vais rencontrer d’autres gens. Je continue beaucoup à travailler chez moi parce que je suis quand même très content de ce que j’ai fait sur cet EP, mais je m’interdis pas qu’il y ait des surprises.
LFB : On a hâte en tout cas. Merci beaucoup pour ce petit échange Victor !
VS : Cool ! Merci à toi !