Rencontre avec Violet Indigo

Violet Indigo est une artiste comme on les aime. DJ, productrice, chanteuse, Laïla a décidé de ne pas choisir. Navigant autant dans la soul, la musique électronique et le hip hop, elle propose un univers aussi inclusif que personnel. Alors qu’elle dévoile aujourd’hui son nouveau titre, Toxic, l’occasion était idéale pour partager avec vous notre rencontre.

La Face B : Salut Laïla, comment ça va ?

Violet Indigo : Ça va très bien ! Je suis dans le jus et je commence à comprendre l’intensité qu’on me décrivait de cette semaine mais c’est très sympa. Je suis toujours contente d’être ici donc c’est l’essentiel.

La Face B : Tu as vécu comment ton concert justement ?

Violet Indigo : Je l’ai très bien vécu. J’ai beaucoup de stress pré-concert en fait. Je suis une personne assez anxieuse du coup j’ai un peu mal vécu le pré-concert physiquement, mentalement… Mais j’ai réussi à me mettre dans ma bulle juste avant. Et sincèrement, une fois que je suis sur scène c’est l’autoroute. Je fonce, j’essaie de faire le maximum que je peux pour capter les gens et surtout, voir que les gens sont réceptifs ça me donne encore plus envie de donner, donc je l’ai très bien vécu.

La Face B : Tu as grandi à Paris, tu étais en région parisienne avant et maintenant t’es à Rouen, je me demandais si le fait d’être dans une région ou en tout cas dans une ville qui cloisonnait sur les genres musicaux et sur des espèces de scènes qui ne se mélangent pas forcément ça avait eu un impact sur ta vision de ta musique…

Violet Indigo : Carrément ! A Paris, j’étais dans un milieu plutôt électronique et surtout il y a un moment où tu rentres dans une bulle et tu commences à croiser les mêmes personnes et tu te rends compte que tu es dans une zone de confort qui n’est plus forcément si stimulante .. et grâce à Grégy, en allant à Rouen, j’ai plus compris ce que c’était que d’avoir une communauté sociale. Ce qui est assez fou c’est que tout le monde traîne au 3 pièces et qu’on se retrouve, on partage des moments, et que même si la scène est plutôt rock, on se retrouve les uns les autres dans nos musiques et dans nos parcours. Ça m’a vraiment aidé à prendre confiance dans le projet, de voir qu’un milieu qui n’est pas forcément ma “cible” peut autant l’apprécier et le comprendre. Paris a pas mal de côtés négatifs pour émerger du lot, tandis qu’à une échelle plus petite ça m’a permis de me sentir plus entourée et j’en suis très reconnaissante.

La Face B : J’aime beaucoup ta musique parce que j’ai l’impression qu’il y a une somme d’influences et de styles complètement différents, mais tout découle de manière hyper fluide et hyper naturelle, je me demandais comment t’en étais arrivée à cette façon de mélanger des sonorités électroniques avec du jazz, avec du hip-hop et qu’en fait ça semble évident puisqu’il ne l’est pas forcément…

Violet Indigo : Ma posture par rapport à ça c’est que tout est lié. Il n’y a pas de hip-hop sans jazz, pas de musique électronique sans hip hop… Et ce qui m’a aidée à faire les connexions c’est le DJing. Je mixais du hip-hop de base. J’ai découvert la club music, la bass music, même l’EDM… Ma seule référence électronique avant c’était Aphex Twin. Pour moi, les liens ont toujours été là. Surtout il faut le dire, toute la musique actuelle découle des personnes racisées, queers et qu’il est un peu là le lien aussi. La musique que je consomme, c’est de la musique noire, du rnb, du jazz, du hip-hop… Avec le DJing ce qui est très cool c’est que tu peux physiquement superposer des couches sonores et voir que ça colle. Par exemple, le simple fait d’avoir des vocaux sur des musiques électroniques, ça me rapproche du rap et j’aime bien des styles comme la ghetto tech où les éléments vocaux sont assez importants. Mettre ces connexions en avant c’est aussi un peu éduquer une certaine audience.

La Face B : Il y a un côté presque politique dans ce que tu fais, même en dehors du côté DJ, dans cette façon de mélanger et d’assumer tout un tas de choses dans tes textes et dans ta personne, de mettre ça en avant… On parlait de fluidité tout à l’heure, c’est des choses qui sont assez évidentes et on a l’impression dans la façon dont tu vois la musique et la scène c’est aussi ouvrir les gens, affilier à des choses qu’ils iraient pas chercher forcément ou qu’ils connaissent pas et qu’ils vont découvrir à travers ta musique…

Violet Indigo : Carrément ! A Paris, les choses sont très cloisonnées, en musique électronique c’est house ou techno, point barre, il y a des événements avec une approche différente mais ce n’est pas la majorité. Ce que j’aime bien faire dans des mixs, c’est prendre des tubes qu’on connait tous genre Rihanna, Beyoncé et les remixer sur place, J’attrape le public avec un morceau qu’il connaît, j’amène une couche plus club qui est logique en soi mais qui ouvre les oreilles des gens. Pour toi, qu’est-ce qui est politique dans cette démarche ?

La Face B : Tu parlais de personnes racisées, de personnes queer… Ce n’est pas fait de manière frontale mais c’est fait avec bienveillance et justement avec la possibilité d’ouvrir les gens et de leur dire « Regardez voilà ce qu’on propose ! Plongez vous dedans et de toute façon vous verrez que d’une manière ou d’une autre vous vous y retrouverez »

Violet Indigo : Je pense que ma génération c’est une génération internet, on a eu accès à énormément de choses et c’est pas logique qu’on défende une musique avec une seule facette. Parce qu’on n’en a pas qu’une. On a beaucoup de facettes, beaucoup de goûts qui nous ont forgé, et ça se voit dans le choix des Inouïs cette année. Il y a beaucoup de choses, c’est éclectique. Entre les différents projets et au sein même des projets, des sonorités auxquelles on ne s’attendrait pas. On va montrer que tout peut se mélanger, tout en ayant sa place, c’est ça le propos de ma génération. 

La Face B : C’est marrant parce que quand j’étais plus jeune, je n’étais pas figé sur un style de musique en particulier, j’étais très seul parce que si t’écoutais du rap, fallait que tu ailles avec des gens qui écoutent du rap, si t’écoutais du métal etc… Donc quand t’écoutais de tout, c’était compliqué. C’est ça que je trouve intéressant…

Violet Indigo : C’est un peu un atout que j’ai dans mon projet, comme je passe par beaucoup de choses, de styles, ça peut être grand public tout en restant pop (sourire). Il y a des refrains, des mélodies qui rentrent dans la tête. Si déjà les gens arrivent à s’identifier musicalement c’est cool… Après il faut comprendre ce que je dis, comprendre l’anglais c’est un peu à deux niveaux. C’est pour ça aussi que j’espère défendre mon projet partout et pas qu’en France. La France est un peu cloisonnée dans sa façon de faire. Que ça soit politiquement, sur l’éducation, on est très traditionalistes. Je constate que le reste du monde va plus loin et que nous, en matière de musique, on reste toujours figés sur nos repères ancestraux…

La Face B : Tu parlais de DJing… Comment il t’influences sur la création de ton live, dans les enchaînements et la façon de créer ton live en tant que chanteuse justement ?

Violet Indigo : Je pense que savoir mixer de la musique c’est connaître plus de données. Par exemple, un truc simple mais grâce au DJing je peux reconnaître un BPM. Ça va être beaucoup plus facile pour moi de dire “ça, ça va aller avec ça” parce qu’y a le même BPM, les mêmes rythmiques ou justement qu’il y a plus de place dans un morceau et donc je peux rajouter des choses. Le DJing c’est le liant entre mes tracks et ça donne une construction très particulière à mes sets. Et surtout je voulais vraiment apporter une démarche moins traditionnelle. Pas seulement avoir des backing tracks, arrêter chaque morceau l’un après l’autre, dire quelques mots… Je pense que les transitions dépendent aussi de ce que je joue avant, comment je crée le contraste, ça ouvre la discussion !

La Face B : Tu étais dans un groupe avant et c’est cette évolution-là qui t’a poussée à faire du seule sur scène ?

Violet Indigo : Je n’ai plus de groupe parce que défendre un projet qui n’est pas encore connu et avoir des musiciens intermittents ce n’est pas possible. Il fallait beaucoup d’organisation pour planifier une tournée pour un projet en développement, j’ai vite compris qu’il fallait s’y prendre autrement. J’avais une approche très jazz de mes morceaux, mais finalement, j’ai aussi vite compris que je voulais pas me cantonner à ça non plus. J’avais juste envie de ne pas mettre d’étiquettes sur ma musique et en mettre une grosse comme ça, ce n’était pas moi. Donc, je me suis ré-appropriée mes propres morceaux. Et surtout, j’aime bien dire « Moins de gens, moins de problèmes », j’aime beaucoup la notion de contrôle sur ce que je fais dans mon projet et pouvoir être seule sur scène pour l’instant ça me laisse libre des choix, de faire ce que je veux et ça marche (rires).

LFB : L’EP que tu as sorti l’année dernière qui s’appelle Last Call, est-ce que tu l’as appelé comme ça parce que c’était un dernier appel à ton adolescence, une espèce de transition ?

Violet Indigo : Carrément. Même si c’est mon premier pas, il y avait une volonté de sortir ces morceaux pour que ça soit fait et que je puisse passer à autre chose. A la base, je voulais l’appeler Last call for a first try : dernier appel pour cette ancienne moi qui a découvert D’Angelo et qui était en mode « oh c’est trop bien j’ai envie de faire de la musique comme ça ! », et qui maintenant veut s’émanciper et s’ouvrir à des champs plus larges. 

LFB : Puis même dans les thématiques, c’est des thématiques de transition adolescente-adulte, de premiers amours … Quand on écoute ton premier EP et qu’on voit ton nouveau titre, je me le suis pris dans la tête, parce qu’y a un gap musical qui est très radical et justement qui est très lié dans ce dont on parlait tout à l’heure. Il y a une vraie spontanéité dans ce choix de se dire, ce n’est pas parce que sur Violet Indigo j’ai sorti un premier EP de jazz hip-hop que je ne peux pas faire une chanson qui est plus proche de l’hyper pop et de la musique électronique juste après quoi…

Violet Indigo : C’est un morceau qui me tient vraiment à cœur. Je ne pensais jamais écrire un morceau comme ça. De base, en fait, je l’ai écrit pour le court-métrage d’un ami qui m’a dit « j’ai besoin d’un morceau un peu tube ». J’ai fait une maquette qui est dans le court-métrage et comme je l’ai faite écouter à des amis qui la trouvaient quand même pas mal, j’ai fait appel à un producteur qui s’appelle Dimitri. C’est un pianiste de jazz de ouf et il est beat maker, il fait des tubes pour sa femme qui est une star sri-lankaise. Il était aussi dans un label de rap français. Je voulais pousser un peu plus le rythme reggaeton sur le refrain et lui il a vraiment capté comment contraster ça. Je vivais ma première relation queer et j’ai juste écrit les trucs les plus bateau au monde parce qu’on m’a dit de faire un truc bateau. Mais ce qui était vraiment la cerise sur le gâteau c’est que Paul Morvant a mixé le projet et avec Grégy on avait une volonté de ramener cette touche vraiment hyper pop. On voulait un peu transformer la voix, prendre des choix radicaux dans le mix qui pour moi aussi ouvre des trucs qu’il y aura dans le deuxième EP. J’aime bien appeler ça mon tube NRJ parce que pour moi, il peut carrément passer sur NRJ quoi !

La Face B : Même si c’est très radical dans le changement musical, c’est logique dans l’évolution au niveau des thématiques. Tu passes d’une forme de questionnement à une forme d’affirmation…

Violet Indigo : C’est cool de s’affirmer à un moment. Je me suis affirmée sur les premiers morceaux mais là c’est sûr que je pose les choses sur la table (rires)

La Face B : Ça annonce quoi ? Les nouveaux morceaux sont plus dans cette veine-là  ?

Violet Indigo : Les nouveaux morceaux sont tous très différents. Toxic qui reste dans la vibe neo soul, que j’adore. Un qui est un peu plus breaké, qui est un peu déstructuré, un morceau où il y a un drop jungle à la fin et un autre morceau qui est archi pop. Tous les morceaux que j’ai fait dans mon live ! Tu les connais… Tu m’as vue une fois mais… On a une idée et on y va à fond pour chaque morceau en termes d’histoire et de son. Mais on va aussi plus digger dans des niches électroniques et s’affirmer dans les écritures pop.

La Face B : Tu dévoiles justement Toxic aujourd’hui : peux tu nous en parler ainsi que de son clip ?

Je suis trop contente de ressortir de la musique !! J’ai fait ce morceau avec Caramilk qui apparaît au volant de la voiture dans le clip, c’est un morceau qui m’a pris du temps à écrire parce que je voulais mettre plus d’effort dans les paroles et les lignes de voix. Déjà la prod à tout ce qu’il faut, rien en trop, ça me rappelle la (fausse) simplicité des morceaux de Pharrell. Puis j’adore ce mot “toxique” qu’on balance à tort et à travers en ce moment. Je crois qu’au final j’en fait une grosse blague parce que je m’accuse moi même et tout le monde en même temps. C’est ma meilleure amie qui m’a dit “ce qui est toxique chez toi c’est que tu le sais”. Ca m’est resté en tête et, en écrivant les paroles j’ai pensé à mon comportement, tout les trucs chiants que je fais et dont je suis consciente, mais aussi tous les gens qui sont dans des relations “toxiques” et qui n’arrivent pas à en sortir. Il y a un enjeu malsain entre savoir qu’on est toxique et aimer ça chez quelqu’un.Le clip a été produit par Looking For Harry, la boîte de Grégy et Joseph, les deux réals, et ils voulaient tout à fait jouer avec ce côté un peu chipie, style un rétro 90s-2000s. On a enchaîné le tournage d’un autre clip le même weekend pour le single suivant (ça arrive !), c’était intense mais l’équipe était top, stylisme impeccable (coucou Nina Le Diabat) et rendu trop bien. Je me sens un peu star j’avoue.

La Face B : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour le futur ? Tu penses qu’avec les Inouïs ça va t’ouvrir des choses ?

Violet Indigo : Je le souhaite… Déjà j’ai rencontré des super agents belges de la boîte Super Karma et j’ai très hâte de travailler avec elles. Ce qui est important pour moi c’est de jouer à l’étranger parce que mon projet il est pas français. J’ai envie de voir si les gens sont aussi réceptifs que ce que j’ai pu déjà vivre. Jouer à l’étranger, faire des featurings, sortir un album pour qu’on puisse rentrer dans mon univers immersif. J’aime bien dire la domination mondiale (rires).

J’ai envie de savoir qui sont les humains qui vont me toucher. Je pense que les gens avec qui je vais travailler plus tard sont les gens qui vont être le plus réceptifs à ce que je fais artistiquement. Après c’est cool s’ils ont une nouvelle façon de faire, une nouvelle approche de l’industrie parce que j’ai l’impression que faire les choix que tout le monde fait c’est pas nécessairement les bons. J’ai compris qu’aujourd’hui il n’y avait plus beaucoup de règles en ce qui consistait à partager sa musique et faire entendre son nom.  C’est juste important pour moi d’avoir quelqu’un qui comprend mes références et aussi les idées de jusqu’où je peux aller. 

La Face B : Des coups de cœur récents que t’as envie de partager avec nous ?

Violet Indigo : Carrément. Mon premier coup de cœur c’est Théa avec qui je suis en coloc au PDB, elle fait de l’emocore, c’est très cru en fait, c’est brut mais les morceaux sont carrément là, les volontés d’aller autre part dans les sonorités, y a des morceaux rock, y a des morceaux drum and bass… C’est vraiment cool. Il y a aussi Eat My Butterfly qui est une artiste réunionnaise, qui apporte beaucoup cette touche à la fois traditionnelle et électronique et humainement c’est une formidable personne. Avec tous les Inouïs c’est vraiment cool de partager nos expériences sans se faire juger et surtout se questionner sur là où on en est, parler de notre vécu… On n’a pas une vision très objective. Angie qui représente la Bretagne, qui fait du R’n’B archi moderne, elle a un sens de l’humour incroyable, c’est une personne extrêmement drôle, c’est vraiment un plaisir de créer des liens si forts en l’espace de 2/3 jours et que dès que le festival a commencé, on essaie d’être partout. J’ai surtout hâte de revoir les Inouïs en concert autre part quand nos projets auront eu le temps d’éclore…

Crédit Photos : Cédric Oberlin