Véritable tonton de l’électro, Vitalic assoit définitivement son statut de pionner de la musique électronique française avec sa tournée des 20 ans, mais aussi la sortie de Dissidaence, un projet en deux volumes qui renoue avec ses inspirations techno… On revient sur ce projet et sa vie de DJ-producteur avec lui !

LFB : Tu as récemment fêté les 20 ans de ton projet Vitalic, comment tu le ressens ?
Vitalic : C’est une sorte de paradoxe, il s’est passé un milliard de trucs en 20 ans, je ne peux pas me rappeler de tout, parfois je croise des gens qui me parlent de telle date ou telle date mais je ne me souviens plus… Et en même temps c’est passé très vite, c’est relatif, ça dépend vraiment des yeux du moment. Parfois je me dis que c’est la moitié de ma vie, parfois je me dis que c’est passé d’une traite.
LFB : Tu ne t’es jamais vraiment arrêté de tourner ni de produire, c’est comme ça qu’on perd la notion du temps ?
Vitalic : J’ai souvent des souvenirs enfouis qui remontent de temps en temps, récemment je me suis souvenu de deux dates au Portugal que j’avais oublié… Ça s’enchaîne tellement vite, le confinement a été ma première vraie pause. Pendant les six premiers mois de cette période, je n’ai pas fait du tout de musique, j’ai essayé, ça ne marchait pas.
LFB : Il s’est passé quoi pour toi pendant cette période ?
Vitalic : Je suis redescendu dans le Gard où j’ai une petite maison. On a fait un petite communauté, on sortait de temps en temps pour faire les courses mais sinon on vivait dans cette forêt, chacun travaillait pour son truc, j’étais le seul musicien. Le soir, on faisait la teuf, on refaisait le Vendredix, le samedi c’était Rosa Bonheur… On a fait Pâques, Noël…. J’ai fait des trucs que j’avais jamais fait, lasurer des poutres (rires). Quelque chose de fou aussi, que j’avais pas vécu depuis longtemps, c’était de voir le printemps arriver !
LFB : À quel point tu penses que cette période a eu un impact sur ton nouveau projet Dissidaence ?
Vitalic : Je ne sais pas si ça a eu un impact sur le son en lui-même, parce que c’est plus ou moins ce que je prévoyais de faire. Le projet parle des tensions, de la montée de la violence, de l’isolement, de la frustration… C’était déjà ce que je ressentais avant le confinement, comme avec les gilets jaunes par exemple, quelque chose de très tendu de manière générale.
LFB : Est-ce que le fait d’avoir ressorti un de tes anciens alias, Dima, qui était beaucoup plus minimaliste que Vitalic, t’as aidé à prendre conscience qu’il y avait un besoin de retour à ce style de musique plus sombre ?
Vitalic : Avec Dima, j’ai surtout ressenti qu’il y avait un besoin de retour à la techno. En France en ce moment il y a deux styles qui se dégagent : un son techno très dur, qui penche même vers le gabber… Et en même temps il y a du Polo et Pan, Bon Entendeur, Myd, quelque chose de très « été »… Et au milieu il y a rien (rires). Enfin, il y a moi et mes nombreux virages album après album. En ce moment, même si c’est la mode du disco, j’ai plus du tout envie d’en faire.
LFB : Tu penses avoir fait le tour du sujet après ton album Voyager ?
Vitalic : Oui complètement, même si ma disco n’était pas non plus ce qu’on entend aujourd’hui, c’était très cosmique, très plombée. Après Voyager, j’ai enchaîné sur un projet commun avec Rebeka Warrior, Kompromat. J’avais besoin d’un retour à quelque chose de plus rock, plus punk.
LFB : Et pourtant sur Dissidaence, on t’a vu collaborer avec Kiddy Smile, une des têtes d’affiche de ce renouveau de la scène house en France, tu peux nous en dire plus sur cette collaboration ?
Vitalic : Il y a pas eu de plan autour de ça. J’avais cette instru très acide et j’avais envie d’une voix. Kiddy Smile est venu au studio avec un texte, je lui ai dit « Essaye en hurlant » et à la première prise on a senti que c’était bon.
LFB : Tu parlais de ton côté rock à l’instant, tu as souvent revendiqué cet aspect de ta musique, en quoi tu penses que ta production est fondamentalement rock ?
Vitalic : Ma musique a quelque chose qui gratte. Il y a de la techno qui peut être très violente sans être rock, des choses qui cartonnent par exemple comme Shlømo, I Hate Models… Tout ça c’est très dur, très saturé mais sans être rock.

LFB : Pour parler un peu plus de Kompromat, ton duo avec Rebeka Warrior, quelle était l’envie derrière ce projet ?
Vitalic : L’envie, c’était de revenir à quelque chose de plus minimal, moins produit. On voulait être très brutal et poétique à la fois, mystique même. Mais il n’y avait pas de vrai plan marketing derrière ça, ça s’est fait instinctivement, on en parlé un soir autour d’un plateau d’huîtres et d’une bouteille de vin blanc (rires). On nous a souvent dit en interview que la communication était rudement bien ficelée, alors que nous on se contentait de mettre un pied devant l’autre !
LFB : L’instinct a totalement guidé votre projet finalement !
Vitalic : C’est ça, pour le premier single, en faisant la prod, j’ai dit à Rebeka : « J’entends de l’allemand », elle m’a dit « Ok j’essaye », et Niemand est sorti, tout simplement. Au début c’était juste pour un morceau.
LFB : À quel moment, lorsqu’on collabore avec un/une autre artiste, on se dit « Allons plus loin, montons un groupe » ? Comment le shift se fait ?
Vitalic : Au deuxième morceau. Il y a quelque chose qui se passe à ce moment-là. On s’est d’abord dit « Faisons un EP de quatre morceaux », puis au bout du quatrième on s’est rendu compte qu’il y avait trop de choses à dire.
LFB : On peut prédire un futur à Kompromat ?
Vitalic : Oui totalement, à la fin de nos tournées, en septembre-octobre, on s’y remettra.
LFB : Ce contraste brutalité/poésie dont tu parlais, c’est quelque chose que vous cherchez beaucoup tous les deux dans vos carrières respectives finalement ?
Vitalic : C’est vrai, Rebeka le fait très bien. Mon morceau le plus écouté, Poison Lips, est totalement dans cette esthétique en étant mélodique, mais avec des paroles super trash. Il y a des groupes aussi comme Odezenne que j’aime beaucoup pour ce contraste, ils ont fait un super morceau avec Rebeka d’ailleurs.
LFB : C’est intéressant que tu parles de ça, Odezenne se rapproche plus de la scène hip-hop, voir pop. Toi qui a vu passer beaucoup de choses tout au long de ta carrière, comment tu perçois toutes ces frontières qui se brouillent entre les genres ?
Vitalic : Les frontières sont plus floues, c’est vrai. Il y a quand même des chapelles, ce n’est pas non plus le bordel comme au début des années 2000 où dans un set de 2ManyDJs, tu pouvais entendre du Vanessa Paradis, du AC/DC et une track de techno après. Mais c’est cool de pouvoir entendre des choses très variées quand on sort en club.
LFB : Tu vas encore en club toi, personnellement ?
Vitalic : J’y vais oui, mais quand j’ai du temps les clubs sont fermés, comme par hasard (rires). J’écoute aussi ce qu’il se fait là où je joue le week-end. De manière générale aller en concert ou club, j’aime beaucoup. J’ai besoin de ressentir de la musique et des sensations pour être inspiré, même si je peux m’inspirer de plein d’autres choses non musicales.
LFB : Parlons de tes 20 ans de carrière fêtés à Bercy, comment te sentais-tu ? Stressé ? Impatient ?
Vitalic : C’était un mélange de tout, j’étais même un peu soûlé tellement ça a été reporté. Beaucoup de fierté aussi, on a vraiment fait du bon boulot… Bref, un mélange ! On est allé là-bas sans jamais avoir joué le show, d’où le stress. Notre première partie de tournée avait été annulée, donc notre première date était Bercy. On a eu aucun problème majeur heureusement, que des petites galères techniques !
LFB : T’aurais un souvenir marquant, durant toute ta carrière, d’une galère de ce genre lors d’un de tes shows ?
Vitalic : J’ai un ami de Grenoble qui s’appelle Redah et qui me suit depuis le tout début. Il vient souvent sur mes dates en Italie, Suisse, Allemagne… Il m’a rappelé qu’en 2002 ou 2003, quelque chose comme ça, à Erfurt, rien n’a marché. C’était une catastrophe, ça m’est aussi arrivé à Sydney en Australie. À cause d’un câble MIDI, tout déconne : la scéno, le son… Tu ressors de scène et tu te dis « Bon bah j’ai fait du rien en gros ! ».
LFB : Qu’est-ce que tu préfères d’ailleurs ? DJing ou live ?
Vitalic : Je ne fais plus du tout de DJing, que du live. Je fais occasionnellement des DJ sets comme par exemple le 6 avril dernier où j’ai joué à la Gaîté Lyrique avec The Hacker, Pedro Winter et toute une équipe pour récolter des fonds pour l’Ukraine. Mais sinon ce n’est pas trop mon truc…
LFB : J’ai quand même un super bon souvenir des Nuits Secrètes en 2018 où, après ton show qui clôturait le dernier jour du festival, tu avais convié tous les bénévoles à venir danser devant ton tourbus, tu passais du son, c’était fou !
Vitalic : Et à cause de nous les tourbus n’ont plus le droit de se garer derrière la scène (rires). C’était top ! On adore organiser nos petites soirées pendant les tournées. Cette année encore j’y retourne d’ailleurs. J’y vais en van pour changer, je fais mon campeur, comme Daniel Guichard dans les années 80 !
LFB : Quelle est la suite pour toi maintenant que ton activité a repris ?
Vitalic : Je vais probablement tourner jusque septembre de l’année prochaine, réactiver Kompromat comme on en a parlé… Je termine aussi des musiques de film qui m’ont pris beaucoup de temps, dont une avec Rebeka justement. J’ai quelques collaborations qui arrivent, avec Pablo Bozzi, I Hate Models…
LFB : Merci pour ton temps Vitalic, on se voit sur la tournée !