À l’occasion de la sortie de Disparaître, son deuxième album, nous avons eu l’occasion de rencontrer Yolande Bashing. L’opportunité de discuter de la création de cet opus, de famille et de politique.
LFB : Bonjour Yolande, comment ça va ?
Yolande Bashing : Ça va super, on vient de sortir un album, c’est cool quand même, il n’y a pas d’autres occasions pour aller mieux je crois. Si, peut-être, sortir deux albums, ou trois, après je ne sais pas si le bonheur est proportionnel au nombre de trucs que tu produis. C’est une piste de réflexion.
LFB : Quels sont les premiers retours et le sentiment général suite à la sortie de Disparaître ?
YB : Les premiers retours des gens qui écoutent et qui découvrent, on reçoit pas mal de messages sur les réseaux pour dire que c’est cool, que les gens sont contents d’avoir découvert, que ça leur procure du plaisir et que cette musique leur fait du bien et c’est réciproque. Avoir ces retours là c’est encourageant et c’est galvanisant. Ça rassure, l’acte créatif c’est compliqué. Sortir un album c’est beaucoup de travail en amont, et quand tu le sors tu te poses des milliards de questions et là les gens nous donnent des réponses, ils sont au rendez-vous et que ce par message ou en concert. Je parle aussi pour Aurélien (Gaïnetdinoff) qui m’accompagne en concert, on est vraiment très heureux de ça.
LFB : Ces retours, ça valide les efforts fournis ?
YB : Un peu, mais il faut jamais perdre à l’esprit qu’il faut se faire confiance, ne pas avoir trop d’attentes envers les gens qui écoutent. Ça peut être piège, c’est super valorisant d’avoir des bons retours mais il faut que ça reste un objet personnel, ne pas tomber dans l’écueil de faire ce que les gens attendent. On me demande toujours de jouer Les Vivants en concert, tu comprends ce que les gens veulent mais c’est pas forcément ce que je veux tout le temps. Il faut garder la tête froide, rester humble et continuer à créer. C’est marrant comme une chanson s’impose des fois, même à toi. Je sais pas d’où elle sort, et ça devient LE tube de Yolande Bashing, et je pense que ça va me suivre longtemps à mon échelle bien sûr. Moi je l’aime bien cette chanson, elle appartient à un moment de ma vie et je suis toujours très content de la jouer, de faire marrer les gens et les faire se soulever.
LFB : Quand on prend l’album, le premier single est sorti il y a presque trois ans, est-ce que c’était prévu comme ça ?
YB : Non, le Covid est passé par là, on devait sortir un EP au moment de Delhi. On avait déjà enregistré et mixé Delhi, Le Chat, Solitude et La Cité qui étaient prêtes. Il y a eu le Covid, tout un tas de chose, et pendant cette période se sont composées Disparaître, l’Élephant, Le temps qui nous manque, Tu te répètes et CQSFDM. On voulait sortir deux EPs, pour parler de l’avant et de l’après et finalement on s’est dit que c’était moins coûteux, moins fatiguant parce que défendre deux objets c’est deux fois le travail, donc on s’est dit que faire un album c’était bien. C’était aussi pour passer à la suite. J’ai envie que ce soit une fulgurance avant de passer à autre chose, donner aux gens et travailler sur le reste.
LFB : Est-ce que tu peux nous dire deux mots sur ce que vous préparez ?
YB : Alors c’est de la musique. Beaucoup plus punk et sec, beaucoup moins pop. Plus de textes, mais c’est vraiment en préparation.
LFB : Tu as mentionné Aurélien tout à l’heure, comment vous travaillez ?
YB : Ça a pas mal évolué au fil du temps, parce qu’il m’a rejoint il y a 2/3 ans pour l’album Yolande et l’Amour, pour la chanson Abcès où il a enregistré la basse. Et puis au fil du temps on s’est dit « en fait il faut que tu viennes, que tu sois là dans les concerts ». J’avais envie d’une basse pour contrecarrer le côté un peu mécanique des machines, ajouter de l’organicité et me dédouaner de plein de trucs techniques que j’avais pas envie de faire. J’avais envie d’être front singer et d’être vachement plus avec le public.
Dans le travail ça a beaucoup évolué, au début il venait pour arranger les choses une fois que j’avais avancé dans les maquettes et de plus en plus il est vraiment partie prenante de l’écriture des chansons même si c’est toujours moi qui arrive avec une idée de base mais il prend de plus en plus de place. D’ailleurs il faut se méfier parce qu’au fur et à mesure ça devient de la pop ou du rock ta musique alors que toi tu voulais faire de la techno. Du coup c’est riche et il fait partie intégrante de Yolande Bashing même si c’est toujours mon personnage, d’un point de vue créatif il est vraiment en soutien et pour écrire.
LFB : Comment tu compares ce deuxième album au premier ?
YB : Je pense qu’ils ont vraiment beaucoup de différence. Dans le fond Yolande et l’amour c’est grossièrement un album personnel, j’évoque ma famille, mes amis, mon rapport au cercle réduit et à mon intérieur. Disparaître c’est plutôt un album qui parle de la marge et de tout ce qu’il y a autour de Yolande, qui est peut-être plus politique. Il va évoquer ce qu’il peut voir à la télé, des histoires d’autres personnes, il a vocation à être plus écrit, moins indé, presque mainstream. Sur la forme Yolande et l’amour c’était le premier vrai objet, il avait quelque chose de plus direct, « vas-y c’est quoi faire un album ? J’ai acheté des nouveaux synthés que j’avais vraiment envie de tester ». Et là avec Disparaître je voyais où je voulais aller, ce que je voulais raconter, il y avait moins de part à l’improvisation. Ça rejoint la question de la place d’Aurélien parce qu’il a fallu mettre en place un langage et verbaliser ça, c’est beaucoup moins un geste et beaucoup plus réfléchi.
LFB : Pourtant dans la plupart des morceaux il y a la question de la solitude, non ?
YB : Je me laisse vachement influencer par ce que je vis, et peut-être que la question du confinement est ressortie. Même si j’étais pas tout seul, il y a quand même un truc de ne pas être dans l’émulation de la vie, qui ramène à une extrême solitude, sans faire du misérabilisme. Après je trouve ça super que tout le monde interprète les morceaux comme il le souhaite, je trouve ça super. Par exemple Disparaître, c’est une chanson vachement plus politique qu’elle n’en a l’air, c’est pas du tout une chanson d’amour. Elle est un peu dans un autre endroit que je n’arrive pas trop à définir.
LFB : C’est important pour toi d’avoir un caractère politique dans ta musique ?
YB : Non, c’est pas volontaire. Je pense que l’art est politique parce que c’est un acte qui à mon sens est hors du diktat capitaliste. C’est là pour panser tout le mal qu’on se fait avec le système dans lequel on vit. Il vient plutôt comme un médicament, pour moi en tant qu’artiste, j’y mets mes angoisses, mes peurs, ce que j’aime aussi. Mais du coup ça peut transpirer le politique parce que je parle de ce que je vois mais c’est pas une volonté en soi. Comme ça naît d’une réflexion et d’un certain regard sur l’actualité ou le monde, ça le devient par la force des choses.
LFB : Tant qu’on est dans l’interprétation des morceaux, est-ce que tu peux nous parler de l’Eléphant ?
YB : Cette chanson, elle parle de la dualité qu’on peut ressentir entre l’animal humain qu’on est, et ce qu’on nous demande d’être et de faire, d’être productif, beau, drôle. Toutes ces injonctions, pour moi c’est des carreaux qu’on t’envoie dans le coeur et personne ne devrait nous dire comment exister. Il y a aussi la question de la peur de vieillir qui rejoint ça. En vieillissant, je sais pas si on devient plus con mais on se conforme vachement plus à toutes ces injonctions. Ma fille, elle a deux ans, en termes d’injonction elle n’en a rien à faire. Quand t’es ado t’es en rébellion face à tout ça et puis en vieillissant, il y a quelque chose qui fait que tu te conformes ça. Mais c’est aussi pour mieux communiquer avec les gens des fois, parce qu’on a besoin d’être reconnu par les autres, pour ne pas être marginalisé et cette chanson parle de tout ça. J’avais envie de faire une chanson violente, avec des refrains violents. Ça parle aussi de l’enfance, en rapport avec la comptine ‘Un éléphant qui se balançait’, je voulais un refrain que les enfants puissent chanter mais au final, un peu comme tous mes refrains qui auraient pu être composés par Henri Dès que je salue, si un jour il veut faire un featuring.
LFB : Dans ce que tu exprimes, il y un fort attachement au paysage Lillois, c’est quelque chose que tu revendiques ?
YB : Ce qui est rigolo, c’est que je ne viens pas du tout de Lille, je viens de la Mayenne, d’un village qui s’appelle Thuboeuf, de 260 habitants. Je suis très attaché à mes racines, à la campagne et à ce calme. Je l’associe à plein de choses qui me font du bien, moins de fêtes, plus de vie saine, plus simple, à ne pas acheter quinze milliards de trucs. Je suis arrivé à Lille il y a dix ans, et j’ai découvert les gens, des Lillois, des gens d’autre part. Et à Lille, il y a un truc assez dingue où on t’adopte, on apprend à te connaître, on n’a pas peur de la différence. Et tout cet écrin qui est ultra bienveillant donne envie de remercier cette ville, de dire que je me sens Lillois. Cette ville je l’aime profondément, je m’y suis installé, j’y ai fondé un famille. Peut-être que je la quitterai un jour mais j’ai envie de lui rendre hommage. Je ne suis pas non plus fervent du LOSC mais j’ai envie de parler de cette ville, comme elle est unique et comme les gens en sont uniques.
LFB : D’ailleurs tu fais partie de Bruit Blanc, qu’est-ce que ça t’apporte ?
YB : C’est rassurant de faire partie d’une famille, on en a tous besoin d’une à tous les niveaux. On a besoin du soutien que ça peut apporter, des outils de compréhension du monde et d’être élevé par une famille. Sans Bruit Blanc, il n’y aurait pas Yolande Bashing, c’est évident, et puis c’est des gens que j’aime, qui donnent leur temps et on a créé des liens avec les différents artistes. Notamment Damien (Demains Rapides), qui était chez Bruit Blanc, on s’est rencontrés là et on est en train d’écrire des chansons ensemble pour faire. un projet ensemble. Leïla comme Romain (NDLR: les deux fondateurs de Bruit Blanc), avant d’être des gens avec qui je travaille, c’est avant tout des amis et des gens sur qui je peux compter. Il y a plein de raisons pour dire que Bruit Blanc est une famille, même si ça reste un label, mais qui est indépendant et qui a envie de défendre vraiment les artistes qu’il aime. Et une famille qui te laisse grandir comme tu veux, qui s’adapte. Moi j’ai besoin de cette liberté.
LFB : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter désormais ?
YB : Que mes familles aillent bien et de continuer longtemps à faire de la musique.
LFB : Est-ce que tu as des coups de coeur à partager ?
YB : Un truc qui m’apaise vachement en ce moment c’est Okay Kaya. Je trouve ça super, j’écoute aussi beaucoup Kendrick Lamar et plein de trucs différents. En série j’ai regardé plein de trucs pourris. Mais alors le meilleur concert de mon année pour l’instant c’est celui de Demain Rapides, une tuerie.