Avec La Symphonie des éclairs, premier album de Zaho de Sagazan, les foudres de la passion s’abattent sur nous et dispersent leurs ondes électriques sur des horizons lointains. Ces puissantes et détonantes vibrations sont celles d’un cœur curieux et bavard, parfois frileux. Elles ne vous laisseront pas indifférents.
Quelques gouttes émergent, suaves et douces, apaisantes aussi, pareilles à celles qui glissent sur la transparence d’une fenêtre. Propices à la rêverie, elles engagent cette envolée céleste. La pluie prend de l’ampleur, la voix de Zaho de Sagazan s’invite dans l’averse diluvienne. Comme la foudre, sa voix explose et déverse son flux de paroles abstraites, vampiriques. Un autre monde se déploie sous nos yeux clos, réaction d’un corps habité par cette baignade en eaux troublantes.
La Fontaine de sang parait être celle de son imaginaire où chacun y aspire ce qu’il veut, celle des relations humaines qui épuisent constamment nos ressources. Elle est tout ce qu’on dévalise, on pille, on noie. Nous étouffe. Elle est le vin, l’ivresse, la vie même. Elle est la mort. Elle est l’amour et la passion. Subtile mise en abîme pour se fondre dans la peau de cette fée énigmatique et se glisser dans les innombrables facettes de son inconscient.
Toutes ces chimères il faut bien les sortir de quelque part. Les extraire des abimes, les pêcher dans les tréfonds insaisissables de l’âme. Non sans batailler au passage avec les vents et marées de l’inspiration. Cette dernière, redoutable bien qu’inévitable, pire alliée des artistes, leur meilleure ennemie, engendre un deuxième titre : Aspiration. Dans la solitude de l’inspiration, elle s’acharne à dompter cette spirale à l’odeur de tabac, frôle la démence inhérente à cette quête maudite de mots à dire, entre volutes de fumée et brouillard d’idées sur le point de jaillir, ou de s’évanouir en cendres.
Après l’inspiration somnolente, Les dormantes s’empare d’un sujet bien connu mais jamais élucidé : l’amour. Elle l’évoque à travers son aveuglement : « l’amour qui nous bande les yeux », comme objet de propagande « vendu aux plus sensibles par des putains de vicieux », ou par le prisme de ses désillusions : « l’amour qui nous rendra peureux même des plus belles histoires à deux. » L’amour ici est vécu dans la grisaille. « Qui s’y engage va certainement dévaler. » L’amour, une dégringolade, un feu plus souvent éteint qu’allumé.
Elle appuie sur la défaillance du couple : « T’auras beau être en train de chialer depuis des heures / Monsieur te prêtera des erreurs / Lui qui n’en fait jamais d’ailleurs. » On y croise les figures diaboliques de l’amour « les beaux parleurs, l’aguicheur, l’allumeur, le séducteur… » Vision déplorable de l’amour ? Non, version objective. Zaho de Sagazan ne craint pas la brutalité du vrai, de clamer la laideur comme Lautréamont. Elle s’adresse à la réalité, la regarde dans les yeux, même embués de larmes.
La voilà, l’allégorique Symphonie des Éclairs, dont l’extrême poésie du nom figure sur la pochette de l’album et n’est autre que celui de la tempête indomptable qui s’agite au fond d’elle, nourrit ses textes et explose en surface. La chanteuse fouille le bonheur dans le malheur, interroge la noirceur du monde pour ternir les pleurs, à travers une image évocatrice : « Il fait toujours beau au-dessus des nuages mais moi si j’étais un oiseau, j’irai danser sous l’orage. » Il n’y a pas de mal à être malheureux, ni de honte à écouter ses démons et à recouvrir le soleil de nuages mais l’éclaircie n’est jamais loin, la lumière se cache parfois dans la nuit. « Mais moi je suis de ces oiseaux qui nous font danser sous l’orage / Je traverserai tous les nuages pour trouver la lumière… »
Garçons c’est une ode aux possibilités infinies de rencontre qui planent sur notre monde. C’est un message rassurant offert à celles et ceux qui comme Zaho de Sagazan n’ont pas connu le grand amour, alors le fantasment, le voient ailleurs, dans une forêt dense où dorment des millions de conifères, une nuée de cœur à prendre, tous prêts battre pour nous avec la même intensité. « Je suis incapable de faire un choix (…) n’en choisir qu’un serait un gâchis. » À quel moment l’un d’eux devient-il l’élu ? Que se passe-t-il pour que cette étonnante diversité nous livre un de ses otages ? Zaho de Sagazan veut apprendre, veut comprendre.
Autre chose qu’on voudrait apprendre : le Langage du sexe opposé, casse-tête éternel, solide barrière infranchissable qu’on cherche à briser. Pour parler librement. Sans confusion ni concessions. Cette chanson l’exprime au gré d’une mélodie d’amour sur fond de pulsations électroniques et planantes.
Dis-moi que tu m’aimes et son amorce plus classique, piano voix, est digne des plus belles chansons classiques où infusent les sentiments. Elle évolue en un refrain lyrique aux accents mélancoliques : « Dis-le moi, dis-le moi comme tu m’aimes… » Ici on oublie la pudeur, on clame la volonté d’entendre la passion, on avoue ne jamais en être rassasié.
Mon inconnu, qui démarre telle une musique funèbre et absorbante, aborde la force du fantasme, ici celui d’un homme modelé de toute part dans l’imagination. « Je suis amoureuse de l’inconnu (…) de l’histoire que je m’invente » montre combien l’amour n’est pas tangible. Être amoureuse d’un rêve n’a rien d’étranger. D’ailleurs, Zaho de Sagazan ne fait que ça, rêver. La chanson d’après s’appelle Rêve, hommage à un cerveau en éveil permanent, la nuit, le jour d’un absent inventé, façonné par la force de l’esprit. Les « je rêve » successifs consolident la matière du rêve. On peut presque la sentir.
Tristesse évoque le rapport de force entre une humaine et cette émotion négative et envahissante, la tristesse. Elle cherche à la chasser à coups de textes et de musique. « Qui va là ? Tristesse, vous ne m’aurez pas ce soir / Quelle audace de me faire croire que je ne suis qu’un pauvre pantin (…) Marionnettiste je suis et surement pas l’inverse. » Les beats suivent la cadence des coups et des blessures. Les objets volent en éclat et se brisent contre le sol mais l’adversaire, sans foi ni loi, l’emporte toujours. « Marionnettes on est et on le reste. » Tout est tristement dit.
Suffisamment explore tous les visages de la passion. Ici émanent des vérités marquantes liées à la domination suprême des sentiments sur nos êtres sans défenses face à leur non réciprocité. Qui sommes-nous sinon des créatures misérables régis par l’amour, qui révèle notre part manipulable, nous ramenant une fois de plus à notre statut de pantin désabusé. « Personne de nous n’est fou si ce n’est d’amour » Nous sommes otages d’un seul maitre : le cœur. Nous préférons ne pas savoir plutôt que de palpiter dans le vide. « Non, je ne suis pas aveugle, je ne veux juste pas voir. »
Mon corps c’est un aveu d’oubli envers notre enveloppe de femme, ce corps qui fait peur à celle qui l’habite. « Mon corps je t’en ai voulu, d’ailleurs je t’en veux encore », raconte cette incapacité à se réconcilier avec ses défauts, ses travers, tel une personne à part entière avec qui on cohabite mal. Zaho de Sagazan est de celles qui l’ont dissocié du reste, laissé flotter sur un lac abandonné, coquille vide et sans vie, éloigné du miroir. Ne te regarde pas proclame l’inverse : autant ne pas perdre des heures à se regarder et à se retourner. Pourquoi ravaler sa salive ? Autant la cracher sur le monde pour faire fleurir et s’épanouir de nouvelles fleurs, et ce bouquet coloré serait un monde sain et sans retenue. Dans un rythme endiablé d’électro dark hyper envoutante, cette musique émet un ultime cri de rage. « Ne te regarde pas, lâche-toi ! »