Le rendez vous devient un classique; comme chaque année la rédaction de La Face B a aiguisé ses plus belles plumes pour vous offrir ses albums coups de coeur du cru 2024. Tout de suite, la sixième partie de nos coups de cœur annuels.
Brittany Howard – What Now (Eloïse)
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Aucun qualificatif ne définit mieux la musique de Brittany Howard à mes yeux que « hors catégorie ». Le fait que son précédent album, Jaime, ait été nominé aux Grammy Awards pour cinq prix différents – y compris « Meilleure performance Rock », « Meilleure performance R&B », et « Meilleure performance American Roots » – est représentatif de sa capacité à faire exploser les carcans musicaux.
Écrit en pleine pandémie et sorti en février, What Now ne déroge pas à la règle. Cette période a été l’occasion pour l’artiste de se lancer dans une introspection et de s’interroger sur ses désirs profonds. Un confinement fructueux, puisqu’il en sort un album solaire, énergique, où la virtuosité des arrangements n’entrave en rien la puissance des émotions brutes.
Là où Jaime m’était apparu comme un album politique, où la quête d’identité s’accompagnait d’une critique sociale, What Now s’attache surtout au ressenti de l’artiste. Chaque titre est l’occasion de la rejoindre dans ses réflexions intimes sur l’amour, les relations, la liberté… et au passage de se laisser surprendre par la musique. Tantôt Funk, Rock, R&B, voire Electro (Prove It To You), souvent inclassable, et toujours parfaitement maîtrisée et grisante.
Au centre de l’album, la voix de Brittany Howard, de son amplitude déconcertante, nous embarque aussi facilement dans ses rêveries (I Don’t, To Be Still) que dans sa colère accusatrice (What Now, Power To Undo) ou sa mélancolie (Every Color in Blue). Ce qui fait la grandeur de l’album, ce sont aussi les musiciens, à qui elle fait la part belle – Nate Smith à la batterie, Zac Cockrell à la basse, Rod McGaha à la trompette – ainsi que Shawn Everett, co-producteur dont on ne compte plus les collaborations à succès (Adele, Beyonce, The Killers…).
Pour toutes ces raisons – ainsi que pour les bols chantants qui nous plongent dans un état méditatif à la fin de chaque morceau – What Now mérite selon moi entièrement sa place dans le top des albums de l’année. Si vous ne l’avez pas encore découvert, accrochez vos ceintures et foncez.
Christian Lee Hutson – Paradise pop. 10 (Paul)
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Quand on pense à 2024, et notamment à notre année personnelle, on pense à un évènement majeur. C’est peut-être juste un article pour vous, mais, pour nous, rencontrer Christian Lee Hutson, ça n’était pas une mince affaire. Osons même : c’était un rêve réalisé. C’est que, depuis 4 ans, le californien nous a régalés avec deux merveilles folk : Beginners, en 2020, et Quitters, en 2022. Deux albums où son songwriting à la forme de petites nouvelles auto fictives faisait mouche, porté par des guitares proches d’Elliott Smith au sein d’une forme plus lumineuse, plus emprunte d’auto-dérision aussi.
Facile d’imaginer notre excitation lorsque nous avons reçu en avant première son troisième opus, paru le 27 septembre. Dès son début, on a eu comme un sentiment de filiation avec le précédent : parce que c’est un piano-voix qui l’ouvre, là où c’était un piano-voix qui achevait Quitters. La suite, néanmoins, va vous surprendre. Parce que Paradise pop.10 est un album de correspondance, avec sa pochette où l’on aperçoit l’aile d’un avion à travers un hublot. Un album où l’on quitte une terre connue pour un périple dont on ne connaît pas encore la destination.
La chose est à lire à plusieurs degrés : d’un point de vue stylistique, d’abord, puisque l’album voit Hutson expérimenter des morceaux parmi les plus rock de sa discographie (au milieu des merveilles folk auxquelles il nous a habitués, et dans lesquelles il excelle toujours). Mais aussi parce que l’album est l’histoire d’une période de transition : Hutson, en l’écrivant, déménageait lui même de Los Angeles à New York. Aussi semble-t-il s’attacher à des personnages qui cherchent à retrouver pied ; au sein d’une existence qui semble encore mobile, pas tout à fait en phase avec leurs souhaits.
Cette correspondance, ponctuée de quelques titres assez inoubliables (Flamingos, After Hours), s’achève par le très adolescent Beauty school. On y suit un couple dans un road trip américain à tombeau ouvert. Et l’on y comprend que, dans le fond, tous les voyages visent à ceci : se sentir vivant, à nouveau. Ce qui semble être le cas de Christian Lee Hutson. Nouvelle ville, nouvelle relation. Tout est bien qui recommence sans cesse.
Retrouvez Christian Lee Hutson en interview par ici
Willi Carlisle – Critterland (Léna)
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Si vous ne connaissez pas Willi Carlisle, arrêtez tout et courez l’écouter, si possible en live pour une expérience inoubliable. Originaire de l’Arkansas, ce troubadour des temps modernes s’est forgé une réputation grâce à son style distinctif et ses performances scéniques. Avec une formation académique en poésie, il s’inspire des troubadours anciens et modernes pour créer une musique à la fois lyrique et profondément ancrée dans les problématiques sociales. Avec Critterland, un album audacieux et profondément personnel produit par Darrell Scott et sorti sous le label Signature Sounds, Willi Carlisle s’inscrit dans une tradition americana qu’il enrichit de mélodies poignantes et d’une poésie brute.
Le morceau éponyme, Critterland, ouvre l’album avec une ode à la nature, célébrant la beauté des animaux et des modes de vie alternatifs. La chanson Higher Lonesome, avec ses sonorités bluegrass et son tempo entraînant, capture le contraste entre la solitude de la route et l’amour universel trouvé dans les connexions humaines. Carlisle y traduit l’isolement et l’espoir qui marquent la vie d’artiste vagabond.
D’autres morceaux plongent dans des réflexions plus sombres, comme When the Pills Wear Off, qui évoque les ravages de l’addiction, et Jaybird, une méditation pleine de noirceur et d’humour sur le suicide d’un ami. À travers ces récits intimes, Carlisle réussit à transformer la douleur en art, encourageant les auditeurs à trouver du réconfort dans les expériences universelles de perte et de résilience.
L’album se clôt avec Money Grows on Trees, un morceau en slam de sept minutes qui critique les inégalités et questionne les notions de justice et d’honneur dans des contextes ruraux. Carlisle, avec son sens unique de la narration, mêle un regard acerbe à un humour subversif pour brosser un portrait aussi réaliste qu’émouvant de l’Amérique contemporaine.
En définitive, Critterland est un album riche et viscéral, mélangeant instrumentation acoustique, textes évocateurs, et une voix puissante qui nous plonge dans les Appalaches d’autrefois. Une œuvre à la fois accessible et exigeante, destinée à devenir un classique pour les amateurs de folk americana.
Crenoka – eidolon (Damien)
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Parmi les sorties de l’année 2024, certaines tiennent de l’évidence, car annoncées et attendues. D’autres de la surprise pour ne pas dire du ravissement. Ces projets que l’on a eu le plaisir de découvrir et qui, avec leurs mélodies addictives, sont restés présents dans nos esprits tout au long de l’année. L’album eidolon de Crenoka fait partie de ceux-là. Pour autant, Crenoka n’est pas une inconnue. On avait déjà croisé Nastasia Paccagnini aka Crenoka, il y a quelques années, au sein de l’excellente formation tourangelle Boys In Lilies, en compagnie de Laure Berneau (Toukan Toukan, Tigre Bleu) ou de Marylou Mayniel (Oklou).
Eidolon, sorti début 2024, se compose de 12 pépites qui, tels des artéfacts sonores, nous renvoient à nos années adolescentes. Concentré de spontanéité et d’enthousiasme pour des chansons qui auraient pu prendre vie entre les pages d’un journal intime déluré. L’autotune enclenchée pour laisser ses pensées s’envoler, les prods à l’efficacité redoutable pour asseoir au mieux ses phrases musicales. Tout est en place pour s’imaginer avec un chien que l’on n’a pas encore eu, songer à son chat Pitouf ou encore déployer un sortilège destiné à s’attirer les grâces de l’acteur Thimoté Chalamet. Blottis dans le canapé devant la télévision et la trilogie du samedi, on tente de se remettre des affres d’une journée où tout s’est déroulé à l’envers. Charmed ou Buffy, peu importe. Laissez-vous surprendre et entraîner par l’énergie hautement contagieuse de Crenoka.
ALIAS – EMBRACE CHAOS (Charles)
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Petit secret de la vie d’un média : lorsque l’on suit des artistes depuis le départ (ce qui est le cas avec ALIAS), il arrive que la relation que l’on partage avec l’artiste dévie légèrement du cadre « média/musicien » (ce qui est clairement le cas avec ALIAS).
Vous pouvez vous demander alors si notre passion pour leur musique est parfois biaisée par l’amitié que l’on porte au musicien. Laissez moi vous répondre : tout d’abord je pense avoir assez de franchise pour dire à quelqu’un que j’apprécie que ce qu’il fait n’est pas bon.
Ensuite, j’ai la chance d’avoir des ami.e.s assez talentueux.ses pour me permettre d’éviter ce genre de confrontations un peu gênantes.
Ce qui me passionne depuis le début avec la musique d’ALIAS c’est que le garçon est une sorte de serpent : chaque sortie lui permet d’incarner une nouvelle peau, d’aller chercher des choses différentes pour éviter l’ennui et la redite tout en créant une sorte de cohérence étrange entre chaque projet, bien aidé en cela par son sens mélodique et par sa voix.
Au delà du fait qu’EMBRACE CHAOS porte le titre qui représente plus ou moins ce que l’on a tous du faire au cours de 2024, il commence comme un petit clin d’œil à JOZEF en reprenant une ligne mélodique pour l’emmener définitivement ailleurs.
Avec ce nouvel album, ALIAS remise les guitares au placard et décide d’explorer une vibe musicale à mi-chemin entre Soulwax et LCD Soundsystem, nous offrant en 12 titres une exploration du chaos qui peut exister dans son esprit et une acceptation du bordel ambiant comme une force motrice que l’on se doit de maitriser.
Le résultat ? Un album furieusement chaotique, intense et réjouissant dans lequel on rencontre des aliens accros au coca (DIET COKE ON ICE), une confrontation entre ALIAS et son soi du futur (OLD MAN), une interlude funky (DEMO 3), des déclarations d’amour familiales (SAIGON et MOTHER LOVE) ainsi qu’un des meilleurs titres de l’année (COCKTAILS AND DREAMS).
Si JOZEF était un album schizophrénique, EMBRACE CHAOS ouvre la porte au dialogue en amenant dans son histoire les voix de KROY, Cadeance Weapon, Meggie Lennon et Virginie B pour notre plus grand bonheur. En résulte des morceaux assez jouissifs (TRUTH OR TRUST, EVIL TWIN) qui s’amusent de différentes intensités et créent des sortes de dialogues autour du chaos dont on tombe fatalement en amour.
En cherchant en permanence à ne jamais s’ennuyer, ALIAS nous offre à chaque album quelque chose d’à la fois inattendu, rafraichissant et musicalement frais.
EMBRACE CHAOS est tout ça à la fois, et sans doute beaucoup plus. C’est un album que je ne peux que vous conseiller d’écouter, le risque d’addiction est élevé, mais après tout qu’est ce qu’on risque à écouter de la bonne musique ?
IAMDDB – LOVE is WAR, Volume 6 (Maud)
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Il y a des artistes que l’on suit depuis longtemps, qui nous offre ce sentiment réconfortant et agréable que l’on ne cherche plus à s’expliquer ; et puis d’autres, sans prévenir, que l’on découvre par un simple morceau. Alors, c’est la claque musicale, une clé vers de nouvelles portes, un tourbillon lumineux au cœur duquel on s’engouffre avec curiosité et envie. Pour ma part, je retiendrai LOVE is WAR, Volume 6 signé IAMDDB. Celle-ci creuse, explose et illumine la passion amoureuse en 15 morceaux. Diana de Brito ou IAMDDB, est une artiste indépendante britannique d’origine angolaise, aux multiples talents, ainsi qu’un de mes meilleurs souvenirs de concert en cette année 2024.
LOVE is WAR, Volume 6 est un album en deux teintes. On se laisse tantôt bercer par la voix envoûtante de l’artiste, qui se pose sur des mélodies lentes et bien travaillées. La magie opère et le miel coule à souhait. On pense à la douceur du morceau Vibration. C’est un son puissant, qui réveille en nous l’envie de danser tout en conservant ce côté un peu cristallin et délicat. On souligne également le titre Rasta Pasta en featuring avec Masego, à la fois smooth et élégant, ou bien Saved, un de mes morceaux préférés de l’album. Et puis tout à coup, changement de direction radical, IAMDDB bouscule les rythmes auxquels elle nous avait habitué, et se présente à nouveau. D’un titre à l’autre, la surprise est au rendez-vous. L’amour n’est pas seulement synonyme de douceur … Sur un Where did the love go?, ou encore ABC, IAMDDB mord les mots sur des prods au rythme acéré.
J’ai assisté à son concert cette année au Cabaret Sauvage. Sur scène, IAMDDB illumine la scène et emplit l’espace telle une super reine. Elle joue avec son public et lui offre une vraie rencontre. Son énergie est communicative et la pression monte de morceau en morceau. Flash de lumières avec Onsight, qui restera dans ma tête, quelques jours après le concert. Deux personnages et deux attitudes. Véritable caméléon musical, entre soul et R&B, ce projet nous donne la possibilité d’être, de ressentir, deux facettes d’une même personnalité à la fois.