Asfar Shamsi : « le texte reste le point central de ma musique »

Asfar Shamsi a dévoilé en février le dilemme du hérisson, un EP à la croisé de la pop et du rap, rempli de contraste et d’humanité. Alors qu’elle sera sur la scène de La Boule Noire le 14 mai pour une date complète et qu’elle a annoncé une Maroquinerie pour le 22 octobre prochain, on vous propose de découvrir aujourd’hui notre échange avec la musicienne. On y parle de contraste, de comment construire un projet musical, de live et d’humanité.

La Face B : Salut Asfar Shamsi, comment est-ce que ça va ?

Asfar Shamsi: Ça va bien et toi ?

LFB : Ça va merci. Comment tu as vécu l’accueil de ton nouvel EP ?

Asfar Shamsi: Bien, ça s’est fait dans le long terme. En fait, je pense qu’il était prêt presque un an avant de sortir, et puis il y a eu pas mal de singles qui sont sortis aussi en amont donc le moment où il est sorti, je n’ai pas eu un truc de soulagement de libération, parce qu’en fait, ça faisait depuis tellement longtemps, je n’avais pas l’impression que c’était la fin… Et puis en fait ce n’est pas non plus la fin parce qu’il faut le défendre après mais j’ai l’impression que ça a été bien reçu, il y a des choses qui sont passées et ça continue de se passer donc tant qu’il y a un mouvement autour du projet et qu’il y a des gens qui l’écoutent et qu’il y a des bons retours moi ça me va.

LFB : J’aime beaucoup la pochette et le titre parce que j’aime beaucoup cette dualité du besoin de l’autre et de s’en protéger. Je trouve que c’est quelque chose qui est hyper présent justement dans l’EP, cette idée,avec la veste avec les pics et même le titre, qu’on a besoin de se rapprocher des autres, mais en même temps, quand on se rapproche des autres, on prend le risque de se blesser, de blesser aussi ceux qui sont face à nous.

Asfar Shamsi: En fait, je me suis rendu compte que depuis quelques années j’ai une fixette sur les hérissons. Et j’ai découvert après tout ce truc du dilemme du hérisson, et je me suis dit que c’est peut-être pour ça que j’aime bien les hérissons.
Et il y a cette idée d’ambivalence, je pense chez tout le monde, mais en tout cas, moi, j’en vois beaucoup chez moi, j’ai plein d’ambivalences, de contradictions, et des trucs un peu de dualité comme ça, où il y a deux choses antinomiques qui cohabitent au même endroit et je trouve que dans cette image du dilemme du hérisson, il y a tout ça, et il y a vraiment ce truc aussi dans le lien aux autres, le besoin et le rejet de ça parce que c’est toujours dangereux.
On est des êtres humains et des animaux donc forcément on a besoin de ça aussi.

LFB : Dans la construction de l’EP, il y a une sorte d’écho qui existe entre le premier morceau et le dernier, qui sont deux morceaux qui parlent d’un rapport à l’enfance et de souvenirs d’enfance, mais le premier d’un rapport qui est focus sur ton rapport aux autres, et le dernier qui est focus sur le rapport à toi-même. Ils ouvrent et ils ferment, mais en même temps, ça nourrit tout. Il y a un échange, une sorte d’ascenseur comme ça, permanent, dans ces émotions-là.

Asfar Shamsi:J’ai pas mal fait cette idée sur le tracklisting, parce qu’il y a différentes couleurs qui cohabitent. Il y a vraiment des sons plus électro, il y a des sons un peu plus raps, et puis à côté il y a des chansons, des sons qui sont presque plus déconstruits
Et en fait on a trouvé que c’est une bonne introduction de commencer par Boîte à musique qui est quand même un peu un regard mélancolique sur l’enfance qui s’éloigne. En fait finalement on grandit mais on garde plein de peur d’enfance et puis il y a plein de choses qui étaient là au fond qui restent avec nous. On a des fixettes absurdes et en fait on garde ce truc là en descendant peut-être pas avec les mêmes images quoi mais ouais bah oui c’est vrai qu’il y a de la logique qu’il y a dans les scènes aussi je n’allais pas calculer ça

LFB :Il y est un intéressant dans ce premier titre qui est très impudique en fait. Et en même temps, j’ai l’impression que c’est la seule manière que tu as de parler à tes parents, c’est à travers une chanson qui peut te protéger, te blesser en même temps… Utiliser le médium artistique pour pouvoir dire des choses que tu n’oses pas dire dans la réalité.

Asfar Shamsi: Surtout qu’on est une famille très pudique, on ne parle pas trop de ses émotions et on a du mal à se dire plein de choses.C’était un moyen d’aborder tout ça et puis là maintenant mes parents écoutent ma musique parce qu’ils ont mon nom d’artiste mais il y a une longue période de ma vie où ils n’ont pas su que je faisais de la musique et puis après ils n’ont pas su mon nom parce que je ne voulais pas qu’ils écoutent et je ne voulais pas que ça influence sur mon processus de création. Donc je m’autorise à dire des choses et en fait ça va ils écoutent et ils aiment bien donc ça me rassure, je me sens acceptée

LFB : Pour rester sur ce thème de l’écriture, moi ce que j’aime beaucoup c’est que tu parles d’un point de vue intime donc un peu microscopique mais qui s’ouvre sur la réalité des autres parce que les sujets que tu traites sont des sujets qu’on ressent tous en fait au quotidien. L’EP parle beaucoup d’amour, mais je trouve qu’il y a des choses hyper intéressantes, notamment sur le rapport à la ville ou la part sauvage qu’on peut avoir en soi, qui sont traitées de ton point de vue, mais qui ouvrent clairement à la réflexion pour les autres.

Asfar Shamsi: Oui, c’est hyper bateau, mais il y a vraiment ce truc dont je me rends compte dans les musiques que j’écoute.
Moi, ce qui me touche le plus, c’est quand c’est personnel, parce qu’il y a toujours un truc plus sincère, je trouve, dans le fait dparler de soi.
Et c’est là où ça devient un peu plus universel. Et puis moi-même, en me permettant de faire ce truc-là, de me dire, je parle de moi et je me regarde en face. Des fois, de voir que ça fait écho chez les autres, ça enlève du poids aussi de se dire, en fait, c’est normal, c’est OK, tout va bien, je suis pas trop bizarre. Et ça, c’est cool.
Au début, j’avais cette idée, avant les 3-4 premiers morceaux, il y avait pas mal de choses qui tournaient autour de la nature et de la vie. En tout cas, dans les titres et dans les images, il y avait des trucs avec des nuages bleus, des montagnes avec, des éléments plutôt naturels. J’avais Animal, et puis à côté j’avais ce truc d’urbanité fait avec Grand Ensemble.
Et je me suis dit qu’il y avait le lien aux autres, mais aussi le rapport au monde.Où est-ce qu’on grandit ? Dans quel environnement et comment ça nous impacte.Je pense qu’il y a plein de choses dans les grands espaces urbains qui ne sont pas foncièrement bonnes pour notre nature animale du coup, qui sont très déshumanisées.

LFB : Mais surtout quand tu viens, je sais pas si c’est ton cas, mais tu viens d’une ville un peu plus petite où les rapports humains sont peut-être beaucoup plus simples et que tu te transfères sur une ville comme Paris où tu deviens un point dans la masse en fait c’est vrai.

Asfar Shamsi: Et puis je trouve aussi, enfin Paris il y a plein de violences qu’on voit au quotidien, de choses dures en fait, et on est obligé de se protéger, donc de mettre de la distance. Forcément, c’est ce truc-là aussi qui nous rend un peu plus hermétiques aux autres. Il y a un lien à faire avec ce que la vie nous fait, et puis comment on interagit avec les autres, quoi, mais il y a une espèce de rempart en place, de défense pour se protéger, parce que c’est dur d’être confronté à tout ça tous les jours quoi.

LFB : Tu vas me dire si je me trompe ou pas, mais pour moi Le complexe du Hérisson c’est un peu une grande aventure nourrie par l’ambivalence.

Asfar Shamsi: Ah ouais, c’est totalement ça.

LFB : J’ai l’impression que c’est un truc de chemin vers soi et face à ses propres contrastes autour du nom en fait.

Asfar Shamsi: Ouais ouais, c’est clairement ça. J’ai compris, je pense tardivement qu’on était…je pense que c’est le cas de plein de personnes, mais en tout cas, chez moi, vraiment, c’est ce truc d’avoir deux mouvements contraires, sur des choix à faire, sur quelqu’un que j’aime en même temps que je le déteste. Et en fait, de me dire, ce n’est pas l’un ou l’autre, et des fois, tout est plein de nuances c’est assez enrichissant. C’est hyper humain, sinon on est un peu des machines et on peut trancher comme ça, alors en fait tout est beaucoup plus compliqué et il y a beaucoup d’ambivalence. Je pense que je pourrais avoir une lecture du monde, de ma façon d’interagir avec le monde qui est à travers l’ambivalence. Et même de mes souvenirs, de mes émotions, de plein de choses que j’ai…je ne sais pas, par exemple, quand je pense à l’enfance, je trouve que c’est un peu un paradis perdu et c’était incroyable et j’ai envie de retrouver ce truc-là. Et au final, il y a plein de choses qui étaient bizarres et qui n’allaient pas forcément. En fait, c’est OK, ça peut être les deux en même temps et c’est cool.

LFB : Mais ce qui est marrant, c’est que l’ambivalence, elle devient aussi un choix esthétique. Sur certains morceaux de faire une musique très froide par moment et qui contraste complètement avec la chaleur et les intentions de la voix en fait.

Asfar Shamsi: Oui oui. C’est un truc que j’ai aussi dans l’image et puis que j’ai sur scène,un peu partout… je pense qu’en c’est vraiment quelque chose sur lequel je me suis construite. Je viens plutôt d’un environnement rap et c’est comme ça que j’ai commencé à faire de la musique. Et à côté, j’ai envie de casser ça avec une tenue qui est vraiment un costard et une pochette, qui est plus un truc tradi de la chanson.
Dans le visuel,il y a des choses assez innocentes,utiliser des techniques assez craft et enfantine.

LFB : La tenue presque Arlequin.

Asfar Shamsi: Oui, c’est ça. L’idée, c’était d’avoir deux tenues, une tenue avec des pics noirs, très géométriques, avec un truc beaucoup plus arrondi, avec des couleurs, de toujours avoir ce contraste et cette dualité et après dans la musique j’ai toujours du mal à choisir. Je pense que j’ai eu une époque où je voulais montrer que je savais rapper et que je pensais qu’il fallait faire du rap et puis j’ai compris qu’en fait ce n’était pas ça qui était important.
Ce n’était pas de se rendre dans une dans une esthétique, ou de prouver quelque chose, et du coup il y a toutes mes influences qui sont réapparues et qui cohabitent des fois dans des chansons, des fois dans un projet avec des choix plus marqués.

LFB : J’ai l’impression que cette paix t’a autorisée à briser la case que tu avais pu construire, ou qu’on avait pu construire, et de t’autoriser beaucoup plus de liberté, et notamment sur la voix où j’ai vraiment l’impression qu’elle est utilisée comme un instrument et qu’il y a de la variation dans la technique mais aussi dans l’intention et dans l’émotion à chaque fois et que chaque morceau a un rôle presque différent par rapport à celui d’avant.

Asfar Shamsi: C’est vrai que sur la voix, je suis vraiment rentrée par le rap dans la musique parce que quand j’étais petite je faisais de la guitare au conservatoire et puis à un moment j’ai arrêté et assez tôt et je me suis dit en fait je n’ai pas de bagage musical fort, je voyais des gens en cours qui avaient une voix incroyable et moi je n’ai jamais eu l’impression d’avoir une voix incroyable. Le rap m’a permis un peu de faire de la musique sans avoir à trouver une technique et en fait en commençant à m’enregistrer, à m’écouter… J’aime bien chanter, j’aime bien les mélodies. Ca se travaille, ce sont des choses qui viennent et j’ai un peu désacralisé tout ça. C’est du long terme, et je me permets beaucoup plus de choses sur la voix qu’avant.

LFB : C’est comme si chaque morceau était un prisme différent d’une même personne, je trouve.

Asfar Shamsi: Oui, je pense qu’en effet, ça raconte des moments différents de la vie. Dans cette ambivalence et de dualité, je pense que j’ai plein de facettes de mondes que je n’arrive pas forcément à réunir dans la vie de tous les jours au même endroit parce que sinon ce serait trop compliqué et en fait la musique elle permet aussi de s’explorer et d’être à fond dans chacune de ces casquettes et de laisser la voix.

LFB : Est-ce que t’as l’impression que la façon de chanter elle influence l’écriture ? Parce que d’un morceau à l’autre, j’ai l’impression que les mots n’ont pas le même sens selon la façon dont tu les chantes en fait.

Asfar Shamsi: Oui, oui. En tout cas, la voix en ce moment, cette écriture, je sais que dans les mélodies, c’est le cas. J’ai commencé à prendre des cours de chant il y a 2 ans, pendant que j’étais en train d’écrire ce projet.
C’était plutôt pour le live, parce que ce sont d’autres techniques vocales qui sont utilisées, donc il fallait que je travaille un peu ça. Mais en fait, j’ai un peu découvert ma voix comme ça, et je me suis dit, je peux aller là-haut, je peux aller là-bas, je peux vraiment faire des variations.

Des fois c’est des trucs qui partent de la voix. J’entends une mélodie dans ma tête et puis après je mets des mots dessus. Il y a des choses qui sont plus enfantines, il y a des choses qui sont plus parlées, plus tendues. Et tout ça, ça influence comment les chansons sont prises.
Et ouais, là, ça joue vachement. Si c’était un truc beaucoup plus aéré ou beaucoup plus produit, on n’aurait pas cette sensation de « je raconte une petite histoire ».

LFB : Et l’écriture rap, elle est différente pour toi de l’écriture pop ?

Asfar Shamsi: Non. Je ne pense pas, je ne la différencie pas dans le processus. Tout vient de l’écriture, je ne ferais pas de la musique, en tout cas je n’aurais pas un projet musical sans l’écriture, sans avoir eu cette porte d’entrée dans la musique. Et j’ai eu cette porte d’entrée via le rap et la structure de rythme étaient vraiment un film directeur pendant longtemps, donc je m’émancipe un peu plus, mais je pense que j’écris encore comme quelqu’un qui rappe.

Je crois que ça restera, et puis j’aime bien ça en fait.Parfois je me dis, bon ce n’est pas grave si on n’a pas d’arrivée, mais des fois c’est le sens qui doit prévaloir, mais quand même j’aime bien cette école-là, et j’écoute encore aujourd’hui vachement de rap français, donc j’écris toujours avec cette même logique. C’est juste dans la façon de poser ma voix, de trouver des top lines, de séparer mon rythme.

Mais la structure, d’un morceau à l’autre, je crois qu’elle reste quand même sensiblement la même dans l’écriture. Donc je n’aime pas trop dissocier… Là, je ne me dis pas que je vais faire un morceau rap, je ne vais pas faire un morceau pop. Je fais un truc, et après je me dis, la couleur musicale qui est ramenée avec ce son, la voix,les traitements…

LFB : Quand on t’écoute, le mot doit être rythmé, du coup, ça influence certaines prononciations de mots. Justement, sur boîte à musique, il y a des choses où les mots sont un peu plus étirés. Le mot, dans son essence même, doit toujours avoir un rythme.

Asfar Shamsi: Je suis assez attentive à ça, à comment ça sonne. Parfois, il y a des mots que si je les récite vite, les S et les R et les T ne vont pas s’enchaîner ensemble donc il faut que je trouve un autre mot parce que sinon ça ne va pas être beau à l’écoute et je pense que c’est un truc qui vient encore une fois du rap où il faut aller rapper vite et pour rapper vite il faut des mots qui s’enchaînent bien en fait et il y a plein de possibles, il y a plein de consonnes qui ne vont pas s’enchaîner bien ensemble et je pense que j’ai gardé ce truc là

Il faut que ça soit doux à l’oreille en fait, même si les paroles doivent être, ça reste le point central, le sens. En tout cas le texte doit être pour moi le point central, mais après il faut qu’à l’oreille ça puisse être digérable assez vite et que ça puisse couler.

LFB : Est-ce que tu as l’impression que sur tu as trouvé le bon équilibre entre la douceur et une forme de noirceur ?

Asfar Shamsi: Je ne sais pas s’il y a un bon équilibre là-dedans, enfin je ne sais pas si je trouverais d’ailleurs un équilibre dans tout ça. Et je crois que je ne me suis pas posé la question de trouver cet équilibre-là. J’espère que quand même il y a un peu des deux. Je n’ai pas envie par exemple qu’il y ait trop de noirceurs, ça c’est sûr.

En fait j’ai fait tous les morceaux et après je les ai assemblés et j’ai regardé ce que ça faisait. Je vois par exemple des gens qui travaillent autour de moi sur des projets en ce moment et qui se disent « ah mais ce projet là actuellement il est trop dark il faut que j’ajoute des sons ».
Moi je ne me suis pas dit ah là peut-être que c’est trop déprimant. J’ai trouvé qu’il y avait même dans chaque son une part de noirceur et une part de douceur et que c’est ça qui est cool. Dans la globalité, je pense qu’il y a des choses qui se répandent et qui viennent se contrebalancer.
Mais même au sein de chaque son… Je ne suis jamais très optimiste, mais quand même, il y a toujours une petite zone d’espoirs, j’ai l’impression,en tout cas je l’espère.

LFB : Peut-être pas sur escrocs.

Asfar Shamsi: Oui et en même temps, je crois qu’il y a quand même un truc de revanche. J’ai l’impression que l’éclaircie est dans le fait d’avoir pu faire ce morceau-là et de ne pas être cette chose.Et puis c’est un morceau que j’adore faire en live. Je sais que moi je le fais en live, c’est assez libérateur, je trouve, d’avoir pu dire tout ça, d’avoir le recul aussi, de se dire « ah, je me suis fait avoir».
Et, dans la prod aussi, il y a un truc où ça va un peu au combat, je trouve.
C’est purement dans ce que ça me fait, puisque dans le texte il y a ce truc-là, mais je me sens reprendre un peu le contrôle de mon destin,on m’a volé des choses, ben là, hop, je me réapplique toute cette histoire et j’en fais une chanson, merci pour l’inspiration.
En vrai, il y a un peu ce truc de se reprendre en revanche sur l’instant même et sur l’histoire et de mettre des mots dessus.

LFB : Pour rester sur l’idée du type d’EP et du dynamisme, quelle est la nécessité pour toi, malgré tout, d’être bien entourée, aussi bien musicalement que visuellement, parce que j’ai remarqué que c’était des personnes qui te suivaient depuis le tout début et qui sont des acteurs aussi du projet en fait.

Asfar Shamsi: Pour moi, je trouve ça hyper important, notamment dans la musique d’être bien entourée, c’est un monde très compliqué. Pour l’instant, la façon dont je vois les choses, c’est qu’on se trouve une petite équipe, mais solide qui grandit ensemble. Je pense que j’ai encore plein de choses à apprendre et que c’est cool si ça évolue, mais il y a plein de choses à peaufiner.
Mais par contre, il y a des gens qui sont là depuis le départ, qui apprennent avec moi. C’est un projet indé, donc il n’y a pas beaucoup d’argent, donc s’ils le font aussi pour la culture. C’est gros de dire ça mis en fait, ils le font vraiment parce qu’ils aiment la musique autant que moi j’aime la musique.
Ils ont envie de faire vivre le projet autant que toi, je trouve que c’est vraiment important.

J’ai envie de garder cette équipe et d’être plus loin avec eux. Cette expertise qu’on m’offre sur la prod, sur l’image, je me dis ben en fait merci beaucoup pour tout ce temps que vous me donnez. Moi je me bats de mon côté pour faire avancer le projet, par contre on avance ensemble. Sur la compo, on a toujours travaillé à trois. Sur le visuel, c’est la même personne qui a réalisé tout et qui a travaillé aussi sur les premiers projets.
Il y a Raphaël qui est là, qui nous a rejoint en cours de route, mais pareil, il a été chef de projet, il fait du management à côté, et l’idée c’est qu’on avance comme ça au fur et à mesure, qu’on pense tout ça de façon collective, et la musique elle sert à ça. Je trouve aussi que, justement, toutes ces ambiguïtés, ces ambivalences…on a besoin des autres en même temps, on veut être seul, je trouve que dans la musique on a vraiment besoin d’un entourage proche, plus que des grandes personnes de l’industrie, c’est comme ça qu’on reste fidèle à soi-même. Je cherche des gens qui comprennent mon propos et qui m’accompagnent là-dedans et qui respectent qui je suis et comment je fais.

LFB : Ils peuvent te ramener sur Terre aussi.

Asfar Shamsi: Oui, ils peuvent mettre des stops.J’ai confiance parce que je sais que s’ils mettent des stops, ce n’est pas parce que ça va moins vendre, c’est parce qu’il y a un truc qui ne marche pas, mais purement musicalement et qu’on ne comprend pas quelque chose.

LFB  : T parlais du visuel. Sur ce projet il y la volonté, même en faisant des visualizers, qui ne sont pas forcément des clips, de faire habiter visuellement un maximum de morceaux. Et même sur scène, comme tu t’en parlais tout à l’heure, il y a cette idée aussi d’avoir un vrai point de vue visuel qui est important pour toi quand tu arrives sur scène.

Asfar Shamsi: Alors le truc des visualizers c’est vraiment l’idée de se dire on fait vivre comme on peut la musique. Peut-être que sur d’autres projets je me casserais un peu moins la tête parce que je préfère faire de la musique que du visuel mais malgré tout c’est le début et c’est important de poser un univers et de se dire ça c’est le projet. Je trouve ça assez cool de décliner autant que possible le projet sur toutes les facettes qu’on a. Récemment on se posait plein de questions. On a propos musical et comment on fait pour le faire vivre dans tout ce qu’on peut imaginer et l’idée directrice c’était un peu ça.

Et sur scène pareil c’est comment on fait pour poser une identité et dire voilà ça c’est ça, il y a la musique mais après il faut la faire vivre et il faut avoir ce temps de rencontre. Je trouve qu’il y a vraiment, j’adore le live et j’ai vraiment envie de passer par ça pour développer le projet parce que c’est réel, c’est palpable et les réseaux je le fais parce qu’il faut le faire et qu’on est au XXIe siècle mais je ne comprends pas, il y a des trucs qui m’échappent. Alors que quand je suis sur scène je comprends et je ressens des trucs et je vois qu’il y a des gens qui comprennent et qui ressentent aussi et ça fait sens. Je cherche des choses qui font sens et le rapport direct pour finir par établir ce lien.
Partout, il y a un truc qu’on partage en même temps. Et en fait, c’est ça la musique. On partage les choses. Moi, en tout cas, j’ai envie que les gens ressentent des choses, j’ai envie de ressentir des trucs.

LFB : Sur scène est-ce que tu as envie de ramener un rapport beaucoup plus organique et réel ?

Asfar Shamsi: Sur la scène, j’ai envie d’aller à fond dans un truc. Soit à fond en électronique, soit à fond en organique. J’ai envie de faire cohabiter les deux. Il y a les deux en moi j’aime bien les deux et il y a des sons où on va vraiment pousser, on va réarranger de façon à avoir vraiment des moments électroniques marqués et laisser de la place à la prod et à l’instru.
C’est un truc que j’aime aussi, vraiment laisser de la place à la musique. Et même si on a un petit projet, qu’on a une petite économie, on essaie. J’ai deux musiciens avec moi qui sont aussi mes deux compositeurs, et on essaie de pousser la musique qu’on joue, de ne pas avoir que des séquences, mais vraiment, il y a des moments où on joue de la musique.
Donc il y a ça et puis à côté il y a des sons où on veut vraiment enlever ce côté produit et juste ça va être une guitare ou un piano et on va y aller comme ça. Et c’est la voix et le combo qui sont en avant.
En tout cas de trancher un peu plus mais de ne pas choisir entre les deux.

LFB : Et comment tu imagines ta date à la Boule Noire qui est ta première date en tête d’affiche ?

Asfar Shamsi: On réfléchit dessus là, on a plusieurs petites idées. Je crois que je ne l’imagine pas encore. Je sais qu’on va s’amuser et que ça va être quelque chose et qu’on va jouer longtemps alors que d’habitude on ne joue pas très longtemps.
Donc il y a tout ce truc là où je sens que ça va avoir le temps de bien monter et que ça va être un délire et puis qu’il va y avoir des gens qui sont là vraiment pour le projet. Il y a plein de choses à imaginer aussi pour interagir avec le public, faire chanter des trucs.
On a envie de jouer des nouveaux morceaux, donc on avance sur ces nouveaux morceaux pour les proposer à la boule noire. Le but c’est de s’amuser et en même temps que tout le monde trouve son compte et de proposer un peu un format spécifique et des événements. J’ai envie d’avoir des petits happenings parce que c’est la première fois que j’aurai mon public qui sera là.

LFB : L’an passé tu as fait le FAIR, là tu es dans la selection du chantier de Franco. Ce sont deux expériences très différentes mais en même temps très complémentaires. Qu’est-ce que ça t’apporte ?

Asfar Shamsi: Alors moi dans cette logique de projet indé, ma stratégie c’est le live. Il y a plein d’institutions qui existent et de dispositifs qui existent avec vachement de ressources et l’idée ça a toujours été de me rapprocher de ça pour comprendre en fait et pour m’épauler dans mon projet.Le FAIR ça a été hyper important parce que j’ai appris plein de choses et qui sont en fait vraiment de l’ordre de la gestion du projet, de l’administratif, du juridique et qui m’ont permise de voir beaucoup plus clair et de me structurer et de pouvoir assumer et de porter un projet et de le faire mieux que ce que je faisais avant.
L’autre truc c’est que j’ai dû quitter mon travail pour le faire. Ca m’a mise complètement dans la musique, ce que je n’aurais jamais osé faire sans ce coup du destin.

Ça a été une étape importante et vraiment je suis ressortie de là un peu rassurée,en me disant que j’ai des cartes, j’ai des grilles de lecture, j’ai des personnes de ressources qui sont là qui peuvent m’aider. Il y a vraiment ce truc aussi de regard extérieur, ce sont des personnes de confiance.
Je sais que si jamais j’ai une galère, si jamais j’ai une question, je peux aller chercher un conseil, je peux chercher un avis, et ce sera du bon à prendre. Donc là, le faire, ça a été hyper important pour ça.

Et le chantier des Franco, c’est vraiment comme ça qu’on a fait notre semaine avec mes deux musiciens. On a appris toujours dans cette logique de se dire le live c’est important pour moi et ça nous a vraiment aidé à nous dépasser à prendre des risques dans un cadre qui nous sécurise parce qu’en fait être sur scène ça peut être très intimidant et très insécurisant parce que d’un coup on a plein de regards braqués sur nous et qu’on peut se sentir un peu à poil.

C’est un lieu assez impudique et en fait là c’est un lieu où on peut expérimenter voir ce qui nous correspond et se dire on y va et on lâche tout et si ça marche c’est cool on le garde pour nous et on a appris quelque chose et si ça ne marche pas tant pis. Et puis on a vachement rigolé parce qu’on a fait plein de trucs improbables qu’on n’aurait jamais fait tous les trois avec mes musiciens sur ce cadre là et en fait ça rapproche vachement et ça solidifie encore plus notre lien donc c’était trop cool.

Crédit Photo : Félix Hureau Parreira
Retrouvez notre chronique du Dilemme du Hérisson ici et les influences d’Asfar Shamsi

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