ADN : Acide du noyau des cellules vivantes, constituant l’essentiel des chromosomes et porteur de caractères génétiques. Le quintet lillois est de retour 14 ans après son dernier album. Entre math rock chelou et et post-punk perché, D L G Z signe avec Setbacks & Reversals un opus définitivement inclassable. Ils nous ont partagé les morceaux qui les définissent et les influencent.
Crédit photo : Nico Djavanshir
Comme il nous semblait à peu près impossible de résumer les influences trop nombreuses et souvent inconscientes qui ont façonné le son de DLGZ au fur et à mesure des années, on a établi (presque) au hasard une liste de six morceaux anciens et récents qu’on aime et réparti (presque) au hasard leur description entre les membres du groupe.
Grow Sound Tree, Gold and Green – OOIOO
Pour ceux qui trouvent notre musique expérimentale : allez écouter Einstürzende Neubauten, Fantômas, les « SYR » de Sonic Youth ou OOIOO ! On adore ce morceau parce qu’on est sur du jeu en boucle et du « phasing », avec un contrepied à l’arrivée de la batterie. Ces techniques ont d’abord été « découvertes » par la musique minimaliste (Terry Riley, Steve Reich, Philip Glass), puis récupérées par les musiques électroniques, et infusent maintenant le math-rock comme celui de Horse Lords (en passant, on adore Horse Lords parce qu’ils font le lien avec l’Afrique, où ces même techniques existent depuis toujours). Dans le genre, on a fait « Words Come Out All Wrong ».
Bref, on admire OOIOO pour leur liberté créative et leur indépendance : elles changent de formule à chaque disque ! L’album entier est excellent.
Jimmy Sharman’s Boxers – Midnight Oil
Midnight Oil avant leur grand succès. On aurait pu choisir tous les morceaux de l’album Red Sails In The Sunset, d’ailleurs ! Une sombre et envoûtante complainte post(apo)-punk-prog, lentement entêtante qui emporte vers son paroxysme dans un déluge épique de cuivres et de guitares d’un refrain qui s’enrage de l’absurdité des maux humains.
Les premiers albums des australiens sont des monuments trop peu connus du rock. Au début des années 80, Midnight Oil parvenait à conjuguer parfaitement engagement politique et grande qualité musicale. À travers leurs chansons très riches, belles, chantantes, dansantes, attachantes, regorgeant d’idées, ces ingénieux musiciens se battaient et nous invitaient à crier l’alarme et à les rejoindre en chœur pour se bouger pour le monde et pour l’humanité, qui à l’époque était déjà bien lancée dans la course à sa propre perte. Un constat pessimiste certes, mais ancré dans une réalité qui ne peut que susciter une lutte inventive, nous munissant de l’énergie du (dés)espoir. Et DLGZ est bien inspiré par ce genre de posture.
Chasin’ The Trane – John Coltrane
John Coltrane est un de ces rares musiciens qu’on peut écouter tout le temps, n’importe quand. Ce morceau n’est pas le plus facile, même s’il est basé sur une grille de blues. C’est une improvisation légendaire sur un thème inventé sur l’instant. Le lyrisme est total, l’exploration vertigineuse, et l’énergie dégagée est inouïe, et semble pouvoir croître à l’infini, avec un Elvin Jones (batterie) en lévitation. La profusion des territoires harmoniques explorés dans ce seul morceau le rend inusable pour des centaines d’écoutes.
Ecouter Coltrane, c’est se confronter à un génie et une spiritualité aussi inspirants que complètement hors de notre portée. Ça pourrait être écrasant, mais c’est libérateur. Dans DLGZ, nous ne prétendons pas arriver à la cheville de cette musique, mais elle nous fixe un cap, et nous défendons, dans une civilisation de l’immédiat, du prêt-à-consommer et de la marchandisation de l’attention, une conception d’une musique qui doit avoir le droit d’exister et d’être diffusée même si elle nécessite de multiples écoutes pour être appréhendée.
I’ve Been Tired – Pixies
C’est une des références de DLGZ, un groupe qu’on écoutait adolescents. Mixé par Steve Albini, le vrai faux premier album Surfer Rosa & Come On Pilgrim est un bijou post punk caractérisé par un sentiment d’urgence irrépressible. On aime toute leur production d’avec Kim Deal et en particulier cet album là. Sur I’ve Been Tired, les Pixies alternent des couplets presque légers, quoiqu’un peu nerveux, à la guitare sèche et un refrain franchement rageur, avec un son râpeux, les riffs tordus en une note et demi de Joey Santiago et la voix polymorphe de Black Francis alliée à celle de Kim Deal. Les Pixies des débuts n’ont pas le temps. Ils ont une facilité à aller à l’essentiel, à jouer les refrains trois fois plutôt que quatre pour tenir l’auditeur en alerte, à le prendre à rebrousse-poil tout en racontant de véritables histoires. L’artwork de Vaughan Oliver, qui les a suivis sur les quatre premiers albums, était pas tout à fait étranger à l’intérêt que revêtaient leurs disques pour nous à l’époque.
DLGZ n’a pas hérité de cette capacité à comprimer le propos, mais leur influence s’entend probablement dans certaines parties de guitare un peu surf, qui préfèrent l’expressivité à la virtuosité.
Saturnisme – Idiot Saint Crazy Orchestra
Une renversante petite odyssée math-rock futuriste, qui oscille entre syncopes tranchantes et cinglées de guitares/synthés de l’espace, où il est aisé de s’abandonner à une transe hallucinatoire qui nous emmène dans un fantastique voyage de magie musicale !
L’univers musical des frères Carette de Dunkerque (Les groupes « Yolk« , et ici « ISCO« ) est proche du nôtre et nous avons souvent partagé les mêmes scènes du Nord et les mêmes envies de jouer avec les codes musicaux, de passer au shaker les influences pour en tirer des résultats hybrides et aventureux, et ils réalisent ici un coup de maîtres et de chapeaux ! Parmi 1000 influences, on peut sentir une co-proximité avec les musiques dites « progressives » : le rock prog anglais façon Yes ou King Crimson, les plus « expérimentaux » Robert Wyatt ou Fred Frith, le « jazz-rock » à la Miles Davis, et les plus récentes folies de Primus, Mike Patton ou Battles, au sortir d’un détour par la « musique de film » comme celle d’Ennio Morricone ou Bernard Herrmann.
Statement of Intent – Black Monument Ensemble
C’est le morceau d’ouverture du premier album de Black Monument Ensemble. C’est un poème scandé comme une harangue en manifestation qui débouche sur le thème « Black Monument Theme ». C’est simple et puissant à la fois. BME est une formation hybride, apparue sur le foisonnant label International Anthem, qui rassemble autour de Damon Locks (samples, beats, etc.), batterie, percussions, clarinette, cornet et un chœur gospel. C’est une musique de transe, jouissive qui nous parle de l’identité afro-américaine. Ils sonnent comme des héritiers de Sweet Honey in the Rock ou comme des cousins d’outre Atlantique des Sons of Kemet de Shabaka Hutchings. Comme c’est le cas pour la plupart de ce qui sort sur ce label, il y a dans tout l’album une liberté d’approche, et une volonté de croiser les vocabulaires musicaux.
C’est évidemment assez éloigné de DLGZ mais on a toujours eu un penchant pour l’abolition des frontières entre genres musicaux, et pour l’exploration de la répétitivité qui est le fondement de cette musique et des musiques de transe quelles qu’elles soient. Le dernier album de Damon Locks est une collaboration avec Rob Mazurek (!).