Il est temps pour nous de vous parler de l’un des groupes les plus excitants du moment : Humour, et ce à l’occasion de la sortie de leur second EP « A Small Crowd Gathered to Watch Me ».
Humour voit le jour à Glasgow en 2021, formé par cinq gars qui comptaient bien rentabiliser et occuper leurs assignations à domicile pandémique. Ruairidh Smith à la batterie, Lewis Doig à la basse, Ross Patrizio et Jack Lyall aux guitares et Andreas Christodoulidis au chant vivent ensemble, produisent et enregistrent un premier EP dans leur home-studio. Cet EP, intitulé Pure Misery, paru en novembre 2022, ouvrait déjà la voie à un style polymorphique et abrasif. Décrit par le groupe comme « un montage de choses misérables… un peu désespéré et un peu sinistre, mais aussi un peu ridicule ». En ce début de décembre, Humour ouvre le deuxième chapitre de leur histoire avec A Small Crowd Gathered To Watch Me, et croyez-nous, ça vaut vraiment le détour.
Le groupe jongle entre Post-Punk incisif et Postcore irradiant. Défiant sans cesse quiconque de les ranger dans un case préétablie, ils ont su décanter l’essence de ces genres pour créer un nectar étourdissant. Leur musique est habitée, galvanisante. Conteur d’histoire hors-pairs, Andreas Christodoulidis s’inspire d’histoires vraies teintées de légendes puis les réinvente à sa manière. Il invente une personnalité à ses personnages, parvient à se projeter dans leur esprit pour offrir une nouvelle perspective à ces histoires qui l’ont fasciné. La musique d’Humour résonne avec ses personnages, souvent désespérés, même plus tout à fait humains, mais chérissant en eux une petite lueur.
L’EP démarre donc avec le titre éponyme. Les guitares lancinantes donnent tout de suite le ton. A Small Crowd Gathered To Watch Me semble déjà être l’une sinon la plus désespérée des 5 pistes de ce format court. Le chant viscéral, hanté, égosillé jusqu’à la frontière du scream est d’une intensité électrisante. Puis soudain, le refrain. Nous voilà emportés dans un torrent mélodique incroyablement puissant, et beau. Ces envolées là, nous le verront, donnent une dimension et une force considérable à la musique du groupe.
Ensuite, Wrangel déferle dans un chaos dompté. Le chant habité d’Andreas nous narre le drame d’une expédition polaire qui se transforme en marche ou crève pour retrouver les côtes. Il met habilement en parallèle le rêve du narrateur, qui, alors qu’il traverse un blizzard implacable, s’imagine vivre paisiblement sur la petite île de Wrangle, refuge naturel pour les ours blanc, et le cauchemars occurrent de l’expédition qui semble être sans espoir de survie. Les guitares drones soulignent l’horreur de l’évènement avec beaucoup de justesse. Le rythme haletant des couplets parviendrait presque à nous faire sentir l’effroi, l’effort qu’il faut pour avancer dans la neige sous un blizzard constant. Et une fois encore, le refrain est une explosion mélodique. Les guitares se décrispent, la section rythmique se libère. Cela souligne avec beaucoup d’habilité le contraste expliqué plus haut.
D’autre part, Big Money vient nous galvaniser de ses contrastes abruptes. Tensions, explosions, libérations s’enchaînent avec maestria. Leur son met en exergue les tourments qui suintent de leurs récits déchirants. Les guitares nerveuses de Ross Patrizio et Jack Lyall soulignent l’effroi d’une marche forcée dans une forêt tropicale sombre, dense et étouffante. Le chant sinistre d’Andreas fait écho à l’atrocité de l’action.
Christodoulidis explique que « Big Money » vient d’une lecture sur un Péruvien appelé Carlos Fitzcarrald. « Il voulait désespérément se rendre dans une zone du bassin de l’Amazone riche en caoutchouc, mais inaccessible par bateau, ce qui explique pourquoi il n’avait pas encore été revendiqué lors de l’essor du caoutchouc. Il a exploité un groupe d’indigènes amazoniens, les forçant, sous la douleur et la mort, à traîner son bateau à vapeur en morceaux au-dessus de la montagne, ce qui l’a séparé de la zone prisée. Je l’imaginais comme un personnage capricieux avec beaucoup à prouver, enclin à des accès de violence et à l’alcoolisme. Je voulais transmettre un sens de la destruction du monde naturel et des traditions d’un peuple ancien qui s’est matérialisé avec l’introduction du meurtre et de la maladie en Amazonie par des intrus avides de richesses. »
Là-dessus, Ruairidh Smith et Lewis Doig nous offrent une section rythmique transcendantale. Take a Look at my Tongue est peut-être le titre le plus impactant de l’EP. Les couplets tendus laissent ici encore place à des refrains puissants, puisant leur force mélodique dans le Metalcore et le Hardcore. Le texte est déchirant, Andreas se met à la place d’un soldat français qui se réveille défiguré, la moitié de son visage disparue. Il raconte qu’alors qu’il enseignait dans une école d’art à Édimbourg, il emmenait chaque année les étudiants dessiner au Surgeons Hall, le musée d’anatomie. « L’un des présentoirs est un plâtre du visage en ruine de ce soldat, avec la mâchoire manquante et la langue pendante inutilement, et à côté de lui un masque argenté qui a été conçu pour le faire paraître et se sentir plus humain à nouveau. »
L’EP se clôt sur The Halfwit, qui est sans doute son titre le moins sombre, sur la forme du moins. Les guitares presque éthérées forment un paysage sonore dense et apaisé. La rythmique elle est à mi-chemin entre entraînante et languissante. Même Andreas au chant laisse transparaître moins de désespoir que sur les précédentes pistes. Ce dernier déclare : « Cette chanson a été assez facile à assembler. J’ai décidé d’écrire une chanson sur un gars qui s’enfuit dans un endroit lointain et se transforme progressivement en une chose de moins en moins humaine, quelque part entre la personne et l’animal, avec seulement une bribe rescapée de qui il est réellement, au fond de lui. Je voulais décrire sa nouvelle vie comme étant assez triste et solitaire, mais aussi plutôt paisible et insouciante. ».
En 5 pistes, Humour s’est fait maître en l’art de jouer avec les tensions et les résolutions (appelons cela relâchement, ici). Ils font de ces contrastes forts une grosse partie de leur marque de fabrique. Et même si la recette se répète au fil des pistes, on ne s’en lasse pas, l’effet est toujours aussi implacable. Narrant des récits impitoyables tout en s’immisçant dans la psyché de ses personnages torturés, Andreas se fait miroir d’une société défaillante. Le groupe souligne avec beaucoup de talent ces récits et nous offre des passages d’une intensité émotionnelle puissante. L’enchaînement de chants clairs et de chants saturés, emprunté au Metalcore entre autres, est ici magnifié par une manière de chanter et une diction qui semblent uniques.
L’univers d’Humour est à part, tout comme leur musicalité. Ajoutez à cela une belle maîtrise de leur style, des visuels impeccables (réalisés par Andreas) et une théâtralité à couper le souffle, et vous vous retrouvez face à face avec l’un des groupes les plus excitants du moment. Il nous tarde déjà de pouvoir en découvrir plus. Mais d’ici là, on va continuer d’écouter en boucle cet EP réellement fascinant.