Début mars, Baroudeur se révélait au monde avec son tout premier EP : Du 4e Etage. Une première collection de titres multiples dans lesquels il s’amuse avec le format parfois trop codifié de la chanson française. On l’a rencontré pour en savoir plus sur l’histoire et la création de cette première prise de parole.
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La Face B : Comment ça va Théo ?
Baroudeur : Ça va super bien !
LFB : Comment tu vois la vie du 4e Étage depuis sa sortie ?
Baroudeur : Je la vois de moins en moins parce que j’ai de moins en moins le loisir de me poser à la fenêtre pour regarder les oiseaux du quartier. Les choses s’enchaînent assez vite. J’essaie de garder un rythme pour finaliser toutes les chansons que j’ai accumulées ces dernières années et préparer les concerts, notamment celui du 31 Mai aux Trois Baudets ! Ça va venir vite.
LFB : Tu avais déjà sorti un titre un peu à part en 2022.
Baroudeur : Je vois que t’as creusé ! J’avais fait un clip que j’ai retiré, que je remettrai peut-être un jour. Je ne voulais pas brouiller les pistes parce qu’il est quand même assez différent des cinq morceaux que j’ai sortis, qui sont déjà tous différents les uns des autres. Je ne voulais pas embrouiller davantage. Ça a été une grande hésitation. Aujourd’hui, quand tu veux lancer un projet musical, tu as tout le monde qui te dit de sortir des singles. Beaucoup d’amis m’ont dit que sortir cinq morceaux d’un coup, c’est overkill. Surtout quand personne ne te connaît. Mais ces cinq morceaux sont tellement différents les uns des autres que si je les avais séquencés en singles, ça aurait donné la sensation de quelqu’un qui va dans une direction, puis dans une autre, puis dans une autre… Finalement, sortir les cinq en même temps m’a permis de dire “il y a ça, ça et puis ça, et ce que tout ces morceaux ont en commun, c’est moi. Et pour éviter de sur-embrouiller le truc, j’ai retiré la démission du Président de Youtube, mais il est toujours sur les plateformes.
LFB : Finalement, tu parles de singles mais tu as quand même sorti cinq visuels. Il y a quand même cette idée de faire vivre les morceaux de manière indépendante.
Baroudeur : Carrément, parce qu’ils sont tous importants pour moi et que je ne fais pas trop de morceau de remplissage, même si je me rends compte parfois que je me bride artistiquement et qu’il y a plein de chansons que je ne m’autorise pas à écrire. Si je n’ai pas l’impression d’avoir un angle intéressant, si je n’ai pas l’impression de faire avancer le truc, d’avoir quelque chose à mettre sur la table qui soit original, je ne le fais pas. Alors qu’en vérité, j’écoute plein de morceaux que j’adore et qui n’ont rien d’original… mais que j’adore quand même !
LFB : C’est toujours le truc un peu compliqué quand tu portes le projet en toi depuis plusieurs années, de faire cette première sélection pour te présenter aux gens.
Baroudeur : Ouais, carrément. Ce qui est marrant, c’est que ça m’a amené à imaginer une espèce d’itinéraire. Finalement, j’ai déjà deux EPs d’avance. Peut-être même un EP et un album. Mais donc comme j’avais pas mal de matière, ça m’a permis de penser que j’allais partir d’un endroit et aller vers un autre.
LFB : Pour parler de cet EP, comme tu le dis, les morceaux sont très différents mais j’ai l’impression que le point commun, c’est que tu essaies de tirer du merveilleux d’un quotidien qui n’est pas toujours facile.
Baroudeur : Oui, après je suis après sensible d’une manière générale dans l’écriture, à des univers qui vont enchanter le quotidien ou le banal. En poésie, pour prendre un très connu, j’aime beaucoup Prévert, pour prendre un moins connu, j’aime bien Orhan Veli, poète turc qui a un peu ce truc-là de présenter les choses communes sous un angle qui les rendent magiques. C’est vraiment une chose à laquelle je suis assez sensible.
LFB : Tu parles de poésie mais un poème n’est pas une chanson et inversement. Si tu pars d’une base de poème, quel travail ça te pousse pour le transformer en chanson.
Baroudeur : Je ne le fais pas. Effectivement, comme tu le dis, une chanson n’est pas un poème et un poème n’est pas une chanson. Mais par contre, que ce soit pour une chanson ou pour un poème, je cherche des choses semblables. Un angle, une manière de regarder ou d’appréhender un truc qui fait que ça le rend intéressante. C’est juste ça qu’il y a en commun. Mais tu as raison, l’exercice n’est pas le même.
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LFB : Ce que j’aime bien dans les morceaux que tu as proposés là, et ce qui n’est pas forcément toujours le cas dans la chanson française traditionnelle, c’est qu’il y a quand même une vraie recherche à la fois dans le sens et dans la sonorité. Il y a un truc qui est très hip hop dans le sens où les mots doivent claquer autant qu’ils doivent avoir un sens dans l’histoire.
Baroudeur : Oui, c’est ça. Ça raisonne avec ce que je te disais, qu’effectivement, je ne m’autorise pas à faire des morceaux qui n’ont pas un propos un peu construit.
LFB : Au final, je trouve qu’il y a énormément de recul aussi sur les sujets que tu traites. J’ai l’impression que quand tu choisis un angle, un thème, tu as besoin de beaucoup y réfléchir et de prendre de la hauteur sur ce que tu traites avant de le mettre en chanson.
Baroudeur : Peut-être mais ce n’est pas conscient. Je n’ai pas la sensation. C’est plutôt en le faisant. L’écriture, je vois ça un peu comme une partie de sudoku : Tu as une ligne qui est évidente parce que tu pars d’une idée de départ. Et puis après, tu vas essayer de remplir les lignes suivantes, sauf que tu vas être bloqué parce qu’il te manque une ligne pour écrire celles d’après. Du coup, tu vas remplir là où tu peux écrire. Tu vois ce que je veux dire ? Je vois ça un peu comme ça. Finalement, vu que l’exercice te force à te déplacer de point de vue pour toujours trouver quelque chose d’astucieux ou d’élégant, le processus d’écriture lui-même te fait prendre du recul sur ton sujet.
LFB : C’est pour ça que les morceaux avancent. Il n’y a pas de répétitions ou de retour en arrière. C’est vraiment une histoire qui va d’un point A à un point Z.
Baroudeur : Après, il y a des refrains mais effectivement… Ça me fait penser que pour Les oiseaux du quartier, le refrain à chaque fois que tu l’entends, tu le comprends d’une manière différente parce qu’il est contextualisé par un couplet qui l’amène ailleurs.
LFB : Une espèce d’étape. Ça va avec ce que tu dis sur la réflexion sur la construction qui permet de faire avancer le morceau.
Baroudeur : Ouais, c’est vrai. C’est marrant, je ne l’avais pas intellectualisé comme ça. C’est vrai que même Sérotonine, le morceau devient politique à la fin alors que ça n’a pas du tout l’air de l’être au début.
LFB : Ce qu’il y a d’intéressant aussi, c’est que j’ai l’impression, même si c’est toi qui parle, tu écris beaucoup en termes de personnages. Soit tu t’adresses à des gens, soit j’ai l’impression que tu te parles à toi-même ou que tu incarnes des choses un peu différentes.
Baroudeur : Ouais, c’est vrai que ce n’est pas le même narrateur d’un morceau à l’autre. Selon que le sujet m’inspire de la douceur ou du cynisme, je ne vais pas utiliser la même voix, ni le même champ lexical. Tu as raison.
LFB : Même la façon de chanter peut être différente d’un morceau à un autre selon le sujet que tu entreprends.
Baroudeur : Carrément, c’est vraiment ça. Je m’adapte au sujet.
LFB : Il y a un côté un peu schizophrénique.
Baroudeur : Pas schizophrénique parce qu’à la fin, c’est toujours ma vision. Mais je pense que j’ai l’impression que c’est ce qui fait se rejoindre les morceaux : le regard qui est porté sur les sujets est à peu près commun. Mais c’est vrai que je me rends compte que la voix qui s’exprime et le registre musical est à forme variable.
LFB : Ce qui va bien avec ton nom j’ai l’impression.
Baroudeur : Carrément, c’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis appelé comme ça. C’était pour m’offrir cette liberté de me déplacer et de rendre ce déplacement permanent. C’est ce que j’aime bien avec le baroudeur. On en avait parlé dans l’interview ADN !
LFB : Musicalement, ça fait un peu grand explorateur de la pop, d’aller chercher des choses un peu différentes sur chaque morceau. Ce que j’aime bien, c’est que la composition est différente mais elle est toujours là pour surélever le propos, le côté un peu psychotique, technoïde de Sérotonine ou le côté très hip hop sur les oiseaux du quartiers.
Baroudeur : …et le côté très maladroit sur Lettre à un ami, un peu candide. C’est vrai, c’est toujours le morceau qui décide pour moi de ce qu’il va devenir musicalement !
LFB : Même le côté un peu épique de la flemme sur le dernier morceau qui s’envole. C’est marrant, ce sont des trucs où limite quand tu ne fais rien, c’est un peu la fête dans ta tête. Je trouve que musicalement, ça répond thématiquement au morceau à chaque fois. Je trouve qu’il y a une vraie recherche de symbiose entre le fond et la forme.
Baroudeur : C’est clair. Mais c’est vraiment parce que je n’ai jamais d’idées préétablies sur ce que va être un morceau. Le morceau décide et moi je suis.
LFB : Ça va aussi avec le choix des instruments. Il y a vraiment à chaque fois une recherche des éléments pour former un tout qui vit et qui correspond exactement.
Baroudeur : Ouais, après c’est vrai que me rends compte aussi que j’aime des choses tellement différentes… J’avais besoin de ce pseudonyme Baroudeur pour ne pas me mettre un enclos à moi-même simplement pour donner la sensation d’avoir une direction artistique. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’artistes qui ont une patte ultra identifiable. Parfois, au point tellement extrême que quand tu as entendu un morceau, tu as écouté l’album. Parfois, c’est très bien. Je pense à Chaton, je me suis pris une énorme tarte avec Poésies. C’est trop stylé. J’ai écouté un deuxième morceau qui sonnait pareil, un troisième, pareil. Il a tellement son style. Et en même temps, il vient de l’industrie lui en plus. Il faisait des prod’ pour d’autres. Il avait déjà cette expérience de modeler son truc pour que ça aille dans une direction, cette conscience de la direction artistique. Ce que je n’ai jamais fait, je n’ai pas cette science.
LFB : Est-ce que c’est une science ou est-ce que c’est une envie ? J’ai l’impression que le fait de refuser ça, ça t’empêche de te brider.
Baroudeur : Oui, carrément. Je pense que c’est aussi l’histoire que j’ai envie de raconter. Comme je te le disais, j’ai un peu un itinéraire dans ma tête. Dans cet itinéraire, j’ai envie que le narrateur se trouve et qu’il y ait quelque chose qui se précise, qu’il y ait une espèce de maturité qui évolue. J’ai hâte de te faire écouter la suite, tu verras.
LFB : Est-ce que tu pourrais me parler de ton rapport au trombone ? Parce que là aussi, ce n’est pas forcément un instrument régulier et très évident.
Baroudeur : Quand j’étais petit, je voulais faire de la cornemuse. Mes parents ont regardé sur internet quelle était l’école de musique la plus proche qui en proposait, ils ont vu que c’était à Brest. Je ne savais pas où était Brest mais j’ai vu dans leur regard que ça allait être chaud. Mais il y avait une super école de musique dans mon village, Bellegarde dans le Loiret. Je ne connaissais pas mille instruments, j’hésitais entre la batterie et le trombone et j’ai choisi le trombone parce que je me rappelais vaguement qu’un jour mon père m’avait fait écouter un morceau et m’avait dit « tu entends ça ? Ce sont les trombones ! ». Il avait l’air super enthousiaste. Du coup, dans ma tête, le trombone, c’était cool.
LFB : Ça apporte un plus à ta musique. Le dernier morceau de l’EP, cette espèce de fin en feu d’artifice. Je trouve ça hyper intéressant.
Baroudeur : C’est vrai que j’ai gardé un amour pour les cuivres. J’étais dans l’harmonie musicale du village. On faisait des concerts où on jouait pas mal de musiques de films. J’ai un souvenir complètement inoubliable : On avait fait un concert en commun avec l’harmonie d’Olivet. C’était une grosse harmonie dont le directeur, Nicolas Burgevin, avait été le prof de Tristan Camus, le directeur de l’école de musique de Bellegarde, qui avait donc réussi à organiser la fusion des deux orchestres sur un gros concert. Je me suis retrouvé au milieu d’une brochette de quatre ou cinq trombones. Il y avait même un trombone à piston, j’en avais jamais vu de ma vie. Quand tu es au milieu d’une grosse section cuivre et que tu joues Gladiator, tu te sens puissant comme Thanos ! (rires) Si tu me demandes une bonne raison de vouloir le succès dans la musique, je te réponds “section de cuivres”! Si un jour, j’ai ma section de cuivres sur scène, je serai un musicien comblé.
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LFB : On parlait du fait que tu avais sorti un visuel pour chaque morceau. Est-ce que ce n’est pas un truc un peu compliqué d’être obligé d’incarner sa musique en permanence visuellement ?
Baroudeur : Si, carrément. Surtout pour moi qui suis rarement le sujet de mes morceaux. Ou alors, de manière indirecte. Pour Lettre à un ami, c’était un peu ambigu. Les oiseaux du quartier, ça part de mon point de vue mais ça parle de mes voisins. Sérotonine, ça parle de mon pote. Donc si, carrément, c’est compliqué. En même temps, on te fait rapidement comprendre qu’on vit dans une société d’image et qu’il faut que tu adosses des images à tes morceaux.
LFB : Est-ce que tu réfléchis parfois à des moyens de contourner cette idée ?
Baroudeur : J’essaie tout le temps, mais je n’en trouve pas beaucoup. Le fait est que j’aime bien faire des images. C’est juste que c’est très coûteux, très énergivore et très chronophage. Mais j’adore ça. J’ai toujours mon appareil photo sur moi. Les clips, en soi, je les écris avec plaisir. J’ai adoré faire le clip de Lettre à un ami avec le cinéaste Eliott Eugénie, mais tu te retrouves à mettre plusieurs semaines pour faire le clip d’un morceau que tu as fait en quelques jours.
LFB : Comme tu le dis, faire de l’image, ça implique aussi malgré tout de te mettre en avant en permanence sur les réseaux sociaux si tu veux espérer que ta musique existe.
Baroudeur : Carrément.
LFB : Ce qui n’est pas donné à tout le monde. Tout le monde n’est pas forcément à l’aise avec cette idée.
Baroudeur : Je ne le suis pas tellement. Après, j’aime beaucoup partager ce que je fais. Mais je trouve que les réseaux sociaux, c’est le pire endroit pour ça. Mais en même temps, c’est aussi un moyen de préciser des choses. Il n’y a pas que du mauvais là-dedans. Par exemple, ça a été l’occasion d’expliquer l’histoire qu’il y avait derrière Deux Sans Toit. C’est chouette d’avoir cet espace d’expression.
LFB : Tu viens de sortir ton premier EP, c’est quoi tes envies et ta vision pour le futur ?
Baroudeur : Je ne sais pas si je vais y arriver mais je me donne comme objectif de sortir deux morceaux avant l’été. Il y en aura au moins un, c’est sûr. Pour l’instant, j’essaie de tenir le rythme pour avoir un EP prêt à à l’automne.
LFB : Est-ce que tu as des choses récentes culturellement qui t’ont marquées ?
Baroudeur : En livres, Kévin Lambert qui a eu le Médicis cette année avec Que notre joie demeure. Superbe. Quand tu lis des monuments de la littérature comme Victor Hugo, à la fois c’est fascinant et c’est ultra bien écrit, et d’un autre côté, il y a une espèce de distance parce que tu sens que l’époque que ça raconte, tu ne la connais pas. Il parle de trucs que tu n’as jamais vu. Chez Kevin Lambert, tu as cette virtuosité là, sauf que c’est un mec de notre génération qui parle de problématiques qui nous traversent. Incroyable.En musique, c’est l’un des trucs que j’ai mis dans l’interview ADN mais Matéo Langlois, j’avais vraiment adoré. Entre temps, j’ai aussi découvert Buski, et mon petit doigt me dit qu’on va entendre parler de lui ces prochaines années…
Crédit Photos : Cédric Oberlin