Breakup songs : les amours non imaginaires de Silly boy Blue

Que celui qui a un jour créé une playlist de rupture lève la main. Très bien, on voit toutes les mains se lever, ce qui est somme toute assez logique. On a tous un jour créé une playlist censée représenter ces instants brisés que l’on a vécu. Aujourd’hui, Silly Boy Blue nous fait un cadeau, une offrande sur l’autel du drama qu’on affectionne tant : Breakup Songs. Plus qu’un album de rupture, elle nous offre une collection sur les émotions qui entourent ces instants marquants d’une existence. Un album où les larmes salées se transforment en perles d’espoir, et où l’universel trouve toujours sa place dans des histoires pourtant très personnelles. 

Que feriez-vous si vous découvriez un journal intime ouvert sur un banc ? À la lecture, vous pourriez voir des faiblesses et des tristesses. De la colère et de l’espoir aussi. Les sentiments et les histoires d’un·e autre mais qui finalement trouveront un écho en vous. Parce que les ruptures et les sentiments qu’elles amènent sont si universels, qu’elles ramènent forcément  à des instants de notre propre vécu.

Breakup Songs de Silly Boy Blue a effectivement tout du journal intime, en ce sens qu’il nous plonge dans l’intimité brute d’une personne qui trouve son moyen d’expression dans ses chansons. Ici, elle pourra dire tout ce qu’elle n’a jamais pu dire, mettre des points finaux à des histoires qui vivent encore dans son esprit, fermer certaines portes pour en ouvrir d’autres afin de continuer un parcours sinueux mais avant tout humain. 

Mais par une extension aussi étrange que logique, la musique de Silly Boy Blue a tout du catalyseur universel, un accélérateur extérieur qui emballe nos cœurs pour notre plus grand bonheur. Les émotions qu’elle traite, les blessures, les questionnements sont à ce point collectifs que le tout à chacun s’y retrouvera. Car on a tous été blessé·es largué·es, un peu brisé·es par moments. On s’est tous et toutes questionné·es sur notre identité et on a tous et toutes pleuré des torrents de larmes dans notre oreiller ou sous une pluie battante (si vous ne l’aviez pas encore remarqué, on a nous aussi une forte tendance au drama).

Toutes personnelles qu’elles soient, les chansons de Silly Boy Blue finissent par devenir un hygiaphone émotionnel et sensoriel dans lequel on se love. Autant pour chercher des réponses que pour retrouver certains états plus ou moins dramatiques.

Breakup Songs est un titre trompeur car il ne parle pas vraiment de rupture au sens propre. Si l’idée habite chaque titre et chaque instant, ce sont surtout les sentiments qui l’entoure qui y sont traités. Et Silly Boy Blue telle une magicienne en jauge parfaitement les effets et les textures, s’amusant avec la corde et les cordes du drama pour nous offrir un puzzle sentimental où l’on croise entre autres colère, tristesse, abnégation et soulagement.

Le tout formant un petit théâtre cathartique, parfois grandiloquent, dans lequel elle tient le rôle principal.

C’est l’un des principaux points d’évolution depuis But You Will : en trois ans, Ana a fortement évolué dans sa musique et son écriture. Ici il n’est plus question d’être un élément secondaire de sa propre aventure, si les morceaux parlent d’elle, elle se doit d’en être le centre. Le “je” tient une place centrale bien plus importante tant est si bien que les échos à son premier effort apparaissent en fin d’album comme si le chemin parcouru le permettait de clôturer certaines questions laissées en suspens.

Que ce soit à travers les mots de la mélancolique Cécilia Part II reprenant certaines paroles pour leur donner un sens différent et s’assurer une clôture à cette histoire (même si comme elle le dit, certaines cicatrices reviennent parfois vous brûler de manière incontrôlable) ou musicalement, offrant à son premier tube, The Fight, une nouvelle version qui semble ainsi devenir ce qu’elle aurait toujours dû être : un morceau où la douleur et le combat se baignent dans des torrents en ébullition, sublimés par les cordes de Uèle Lamore qui viennent mettre nos coeurs en lambeaux.

Maintenant que nous avons parlé de la fin, il est temps de revenir au début de ce voyage pas vraiment inattendu. Parce qu’il est souvent facile de rire à travers ses larmes, tout cela commence par Hi, it’s me again. La revoilà donc, celle qu’on avait connue mais plus tout à fait la même. Avec ce premier titre, Silly Boy Blue s’amuse d’un exercice qu’on a, une fois de plus tous et toutes déjà fait plus ou moins : la lettre à un·e ex qui restera au fond d’un tiroir.

L’ambivalence, un brin comique, étant qu’ici, elle aura réussi à s’échapper pour devenir un petit hit en puissance (qui s’apprête à devenir le titre le plus écouté de l’artiste sur Spotify).  Si l’on poussait l’analyse un peu trop loin, on pourrait même imaginer que ce morceau s’adresse à elle-même, comme si elle avait le deuil d’une partie d’elle-même autant que l’acceptation de ce qu’elle est et de ce qu’elle fait. 

Le tout est renforcé par la répétition du “I’m sorry”, presque chuchoté comme s’ il ne devait pas être totalement entendu, une sorte de mantra évanescent qui finit par s’accrocher à nos esprits.

Ce sentiment étrange semble pourtant bien palpable dans Teenager. Ici, ie dialogue intérieur est complètement assumé. Le morceau se vit comme une vraie montée en tension, traversé ici et là par des montées de colères, laissant apparaître une vraie force d’interprétation. Si la musique de Silly Boy Blue a toujours été guidée par l’introspection, elle trouve une nouvelle dynamique dans le mouvement. Loin d’être victimaire ou répétitive, elle regarde dans le passé pour mieux envisager l’avenir.

Teenager porte en lui un double discours qu’on retrouvera à plusieurs reprises dans l’album : le parallèle entre l’intime et le collectif. Si les morceaux prennent naissance dans les cicatrices d’Ana, la manière dont elle déroule les mots et les histoires agissent comme des conseils ou des “retours d’expériences” qui peuvent servir à l’autre.

Teenager est le genre de morceau que tout “underdog” aimerait trouver un jour sur son chemin. Une oeuvre qui nous explique qu’il est normal de se questionner, de parler trop fort, de laisser exploser des sentiments qu’on ne comprend pas forcément et que même l’indécision, émotionnelle et/ou sexuelle, reste toujours présente dans les esprits. On pourrait même parler de chanson d’intérêt public.

Cette sensation de mouvement trouve sa logique dans The Riddle. C’est sans aucun doute le premier morceau réellement positif de Silly Boy Blue, celui qui parle de l’atténuation de la douleur. Où quand des douleurs qu’on pensait imprescriptible finissent par se transformer en fantôme et où l’on finit par réaliser tout le chemin parcouru, laissant derrière soit les fantasmes d’une relation qui n’existera plus. 

Musicalement, le morceau s’offre aussi une évolution notable, plus lumineuse et entraînante. C’est la seconde évolution d’importance de l’album : Silly Boy Blue a laissé exploser ses envies, s’autorisant à explorer dans son album toutes ses influences musicales pour offrir un album tout en contrastes et en couleurs. Une véritable affirmation sonore qui nous emballe totalement.

Be The Clown en est d’ailleurs la preuve éclatante. Si le morceau retrouve certaines textures qu’on avait pu rencontrer auparavant chez la nantaise, elles se retrouvent ici amplifiées et surtout collent à la perfection à l’histoire racontée. On se retrouve ici dans un morceau à la langueur presque malaisante alors que Silly Boy Blue délie le fil d’une relation toxique qui hantera à tout jamais son esprit.

Comme pour contrer ces émotions prenantes, Ana décide de retrouver sa guitare pour Creepy Girl et nous raconte une histoire ratée qui n’a pourtant pas de fin. C’est aussi simple que c’est sincère et si le morceau est le plus court de l’album, il est l’un de ceux qui nous transperce comme une flèche en plein cœur.

Vous avez pleuré ? Et bien dansez maintenant ! 200 Lovesongs débarque et, telle une tornade, dévaste tout sur son passage. Le beat est aussi assommant qu’il est imparable, prouvant une nouvelle fois toute la qualité de compositrice et de productrice de l’artiste. Un cœur qui s’emballe et une colère qui explose, nous entraînant face à des incompréhensions et des souffrances qui ont besoin d’être exprimées.

Ici, on sent d’ailleurs revenir une nouvelle fois le discours : si le morceau peut parler d’une histoire amoureuse, on peut aussi y voir un questionnement de Silly Boy Blue sur son rapport au public, cherchant à comprendre ce que parfois les gens peuvent voir en elle. Une manière comme une autre de détruire définitivement son complexe de l’imposteur, et sur le dancefloor qui plus est.

Et puisque l’énergie est présente, autant la laisser totalement exploser. Un beat puissant et des synthés légers, Goodbye nous offre un levé de soleil sonore, un morceau sur l’acceptation qui ouvre le chant des possibles et agit comme une suite logique à 200 Lovesongs autant qu’un rappel thématique à ce que nous apportait The Riddle

Lanterns, qu’on avait déjà découverte en concert, vient ralentir le rythme et sonne le retour de la guitare. Tout en douceur, le morceau traite de ces rencontres qui semblent parfaites mais qui interviennent au mauvais moment. Des blessures et des cicatrices qui matchent mais pas forcément pour le meilleur. Des retrouvailles et des non-dits qui vibrent autant dans les silences que dans les combats.

Oh Please nous ramène sur un terrain plus théâtral bien que toujours très dansant. Dans ses sonorités et sa mise en place, on sent d’ailleurs par moment une influence de la musique de Danny Elfman, avec ses ambiances fantomatiques, grandiloquentes et presque too much dans l’interprétation. Malgré tout la ligne jaune n’est jamais franchie et Silly Boy Blue peut se transformer tranquilement en Jack Skellington car ça lui va diablement bien. 

22 prend la suite et agit comme un hommage à une certaine musique très 90’s. Le traitement des percussions est aussi parfait que celui de la voix et le rythme se cale parfaitement au rythme de notre cœur. Des pulsations synchronisées pour une dernière danse, dans ce moment où l’on finit par réaliser tous les petits jeux et manigances de l’être que l’on croyait aimer.

Contrairement à ceux de Xavier Dolan, les amours de Silly Boy Blue ne sont pas imaginaires. Ils sont trempés dans le sang et les larmes pour devenir des chansons à la sincérité brute mais nécessaire, qui nous émeuvent, nous bouleversent et nous ravissent.

Breakup Songs est un premier album qui frappe comme un coup de maître. On y sent toutes les libérations et tout le chemin parcouru, notamment via la scène, pendant presque trois ans. Et contrairement à celui de ses chansons, notre amour pour Silly Boy Blue n’est pas prêt de se briser.

Photos : Inès Ziouane

Vous pouvez retrouver Silly Boy Blue sur Instagram et Facebook et redécouvrir notre interview pour it’s over (c)over ainsi que son ADN musical.