Danyl : « On a une manière de bosser qui est très spontanée »

De passage à Bruxelles, Danyl a pris le temps de se livrer à La Face B. En pleine tournée qui fait salle comble, il revient sur l’évolution de son style, son point de vue sur l’état du rap, ses collaborations clés et la place des réseaux dans son quotidien d’artiste. Une discussion à cœur ouvert, entre réflexion et légèreté.

DANYL par Aïda Dahmani
Aïda Dahmani

La Face B : Salut, Danyl, comment ça va ?

Danyl : Bah, écoute, bien ! En ce moment, le rythme s’est accéléré, donc je suis un peu plus fatigué qu’avant, mais je vais pas me plaindre. Hier, on était à Marseille, et le jour d’avant à Nice (interview réalisée le 02/12/2024, ndlr). Ça s’enchaîne un peu vite, mais ça me fait sortir de chez moi, et c’est cool !

LFB : Passer du soleil de Marseille à la grisaille bruxelloise, c’est pas trop radical comme changement ?

Danyl : Ah, je vous avoue que la température a bien chuté ! (rires)

LFB : Ton style s’inscrit dans une tendance qui prend de l’ampleur aujourd’hui. Celle qui voit le rap se nourrir du raï et des sonorités orientales. Comment te situes-tu dans cette mouvance, et quel regard portes-tu sur le retour en force de ces sonorités dans la musique actuelle ?

Danyl : De base, je suis un enfant de la double culture : je suis franco-algérien. Mes parents sont algériens et sont venus en France. Donc forcément, sans vraiment le vouloir, j’ai beaucoup écouté les musiques qu’ils écoutaient. Mais j’ai aussi écouté de la musique française, puisque j’ai grandi en France, et de la musique américaine, parce que tout le monde écoutait ça. Finalement, en faisant de plus en plus de musique, je me suis retrouvé à prendre ce que j’aimais dans chaque style pour essayer de créer ma propre identité musicale.

Oui, il y a un retour à cette musicalité. Pour moi, c’est une sorte de cycle, en partie lié à un contexte géopolitique depuis 2001, où les Arabes, c’est un peu compliqué… c’était pas vraiment « à la mode ». À l’époque de DJ Mehdi, de 113, j’ai l’impression qu’en France, on mélangeait davantage les cultures : le rap de l’époque, qui était plutôt boom bap, avec des sonorités chaâbi et des samples inspirés. Ces sonorités résonnent chez les Français, parce que la France a un passé colonial. Donc, toute la musique venant d’Afrique centrale, du Maghreb, d’Afrique de l’Ouest, c’est une musique qui parle forcément aux Français. Par exemple, l’afro cartonne comme jamais, c’est l’un des genres les plus écoutés par tout le monde, pas seulement par les descendants d’Afrique de l’Ouest.

LFB : Ces styles musicaux sont beaucoup moins présents aux États-Unis, où le lien avec l’Afrique et l’Afrique du Nord est différent. C’est justement ce qui est intéressant : cette dimension communautaire qui en découle et qui attire un nouveau public, parfois peu habitué à fréquenter des concerts. Avec des artistes comme TIF ou El Grande Toto en tête d’affiche, comment vois-tu l’impact de ce phénomène sur la scène musicale actuelle ?

Danyl : Ça fait un peu deux en un. D’un côté, ça permet de représenter des gens qui ne sont pas forcément représentés et qui n’ont pas vraiment de modèles dans l’industrie musicale ou parmi les artistes actuels. Au final, ces personnes-là viennent en concert, alors qu’à la base, elles ne se déplaçaient pas. Et d’un autre côté, ça permet à ceux qui venaient déjà en concert de découvrir cette culture.

Dans mes concerts, c’est vraiment mélangé : il y a des rebeus, des renois, des blancs, un peu tout le monde. Certains connaissent déjà bien cette culture : il y a plein de drapeaux de l’Algérie et des gens qui dansent à fond ! (rires) Et puis, il y a aussi ceux qui ne sont pas du tout Algériens, mais qui peuvent quand même s’approprier cette musicalité et la relier à leur propre histoire.
C’est ça que j’aime : ne pas mettre de barrières. Ce n’est pas un style communautaire. C’est un style emprunté à une culture, mais qui n’est pas fait uniquement pour parler à cette communauté. Il s’agit plutôt de la représenter, à mon humble échelle.

LFB : Ce qui fait surtout la différence, c’est que, bien au-delà de l’aspect communautaire, du récit ou du sentiment d’identification, tu réussis à créer une ambiance ultra festive et accessible. Comment travailles-tu cet équilibre entre faire la fête et raconter, représenter tes origines et tes influences ?

Danyl : La fête, c’est quelque chose d’universel. Danser, kiffer, passer un bon moment, ça parle à tout le monde. Et justement, ça permet d’attirer l’attention sur ta musique. La fête, c’est un peu comme un joli emballage qui te donne l’occasion d’y glisser tes messages et ce que tu veux raconter dans tes textes et récits.

Donc oui, c’est une musique festive, mais pas que. C’est aussi une musique très sensible. Ce que j’aime dans mes concerts, c’est ce contraste entre les moments d’émotion et de fête. Il y a des moments où les gens pleurent, puis ils dansent tout en continuant à pleurer.

C’est ça, la musique maghrébine : elle a cette double expertise, faire pleurer et faire danser. Par exemple, le raï, c’est la musique qui parle des chagrins d’amour ou des mal-êtres, mais à côté, tu as des morceaux hyper solaires. C’est ce contraste-là que j’aime exploiter en concert.

LFB : Le rap français s’est fragmenté ces dernières années, quel regard portes-tu sur l’évolution de ce genre ? Est-ce qu’il n’y a pas un peu une course à l’innovation ?

Danyl : Je ne sais pas si c’est forcément dû à ces dernières années… J’ai l’impression que c’est un truc depuis toujours dans le rap. On a eu la trap, puis la trap de Chicago. Même avant la drill londonienne, il y a eu la drill de Chicago… Il y a eu plein de styles… Et vous vous inspirez super bien des Américains en Belgique, comparé à la France. Vous arrivez à bien le digérer comme Hamza par exemple. Quand les ricains écoutent Hamza ils vont d’office le valider, dire qu’il est trop fort. Je le vois comme un artiste international en vrai, il se place dans les tendances mais dans les tendances inter, donc il est toujours à l’heure. Nous en France, on a tendance à voir ce qu’il se passe aux states et faire pareil un an après, donc au final il y a un espèce de petit retard…

C’est aussi parce que le rap américain, c’est les racines. C’est là-bas que le hip-hop a été inventé donc forcément ils ont un temps d’avance sur nous. C’est sûr que ça peut être déceptif de voir des artistes copier un mouvement juste par hype mais au final quand tu creuses, il y a toujours des gens qui sortent du lot.

LFB : On peut voir sur les réseaux sociaux, souvent la question de la légitimité à voir des artistes s’approprier un style qui ne semble pas leur ressembler. Pour le coup et tu l’as expliqué au début de l’interview, tu fais une musique qui est culturellement riche, comment vois-tu les personnes qui s’en inspirent ?

Danyl : Il y a toujours eu des chefs de files et puis une multitude d’artistes qui essayaient de faire la même chose. Ce n’est pas très grave puisqu’au final, il n’y a que le chef de file qui aura une carrière.
Pour ce qui est d’empreintes des motifs culturelles à de la musique sans forcément faire partie de cette culture, c’est un peu délicat comme façon de procéder. Même si pour l’afro, s’est devenu tellement gros comme mouvement que ça a dépassé la culture pour devenir mainstream ce qui a permis à tout le monde d’en faire. En ce qui concerne le Maghreb, c’est encore une niche donc ça peut plus facilement mal passer. Même si j’essaye d’avoir au maximum un regard bienveillant là-dessus mais il y a des limites.

LFB : Dernièrement, tu as collaboré avec Stony Stone et Zamdane. Comment ça s’est passé ?

Danyl : J’aime beaucoup Marseille (d’où sont originaires Stony Stone et Zamdane, ndlr) et je les connaissais même avant de faire de la musique. Humainement le feeling passe alors on a décidé de faire de la musique. Pour Stony, ça a commencé via un live sur Twitch. C’était la première fois qu’on collaborait ensemble. On ne savait pas ce que ça allait donner, c’était un peu un pari. Au final ça a été notre meilleur démarrage à tous les deux.

Pour Zam’, j’ai toujours aimé ce qu’il faisait et on s’est toujours dit qu’on devait faire un morceau ensemble. J’avais ce thème-là depuis longtemps et je voulais le traiter avec lui. Au final on a fait le titre en une séance.

LFB : Il est clair que te voir collaborer avec Zamdane va de pair avec votre musique. Là où celle de Stony Stone est quand même assez différente de ce que tu peux faire en étant beaucoup plus chargé en musiques électroniques. Comment avez-vous fait pour obtenir le parfait mélange de vos deux univers ?

Danyl : C’est pour ça qu’on a vu la collaboration comme un défi. Au final, la session s’est faite de façon naturelle, comme le montre le live, tout est disponible sur Internet. On avait rien préparé mais on voulait que chacun y trouve son compte.

On a juste suivi la musique et les réactions des gens en live. On en a profité pour clipper le morceau le lendemain.

LFB : Avec le recul tu es toujours content de la direction que vous avez prise pour ce titre ?

Danyl : Trop content ! Il me rappelle cet été, c’est un bête de souvenir. C’est un morceau qui m’a permis d’évoluer, il fait partie des titres repères de ma jeune carrière. Surtout que rien n’était prévu, de base je comptais sortir les zhommes avec Zamdane mais vu que Ti Amo a déferlé on s’est dit qu’il fallait y aller doucement (rires).

LFB : En parlant du morceau les zhommes, il y a eu une petite polémique autour de ce morceau (la cover mettant en scène deux hommes maghrébins torse-nu dans un hammam, ndlr) . Comment l’as-tu pris ?

Danyl : Ça ne m’a fait ni chaud, ni froid. Limite ça m’a fait plaisir parce que ça prouve que la thématique du morceau est justifiée. On parle de la masculinité toxique et en postant une photo de deux mecs dans un hammam, ça a donné plein de récupérations qui n’avaient pas lieu d’être.

Ce qui est cool dans ce genre de débats, c’est que la partie qui aboyait montrait simplement un manque de culture alors que de l’autre côté ça a fait parler une population plus instruite qui a permis de soulever un autre problème. Parce que le hammam c’est culturel, il n’y a aucune connotation sexuelle derrière. Grâce à ces personnes, j’ai à peine dû prendre la parole.

LFB : Je trouvais que toutes les prises de parole de ta part montraient un certain recul sur la situation. Te doutais-tu avant même de poster la cover qu’une certaine partie des gens allait pouvoir passer à côté du message ?

Danyl : Non, je pensais que ça allait peut-être être le cas sur le clip. De voir que des hommes torse nus, il était possible que des gens ne comprennent pas le message. Du coup ça a tapé plus vite (rires). Bizarrement, vu que la cover a fait tout ce boucan, ça s’est mieux passé pour le clip.

Danyl
Aïda Dahmani

LFB : Au final, ça a aussi permis d’expliquer le morceau sans que tu aies besoin de le faire.

Danyl : En général, je n’aime pas quand les artistes expliquent ce qu’ils font. Justement, notre message doit passer par l’art qui s’explique par lui-même. Ou alors, les gens discutent entre eux de ce qu’on a produit pour le rendre plus rationnel.
C’est pour ça que j’essaye de ne pas rentrer dans les débats même si ça me démange parfois d’éduquer les gens. Le fait que d’autres personnes prennent le temps, par eux-mêmes, d’expliquer le message, c’est la meilleure chose qu’il pouvait se passer pour moi.
Puis, au final, ça reste internet, on est obligé d’avoir un certain recul.

LFB : En parlant d’internet, tu t’en es vite servi pour faire de la musique, notamment sur Twitch. Comment t’es venu cette idée ?

Danyl : J’ai commencé en 2021. A cette époque, il n’y avait personne qui chantait et produisait en même temps, il n’y avait que des producteurs. Du coup, j’avais envie de voir le mélange des deux tout en pouvant être proche de ma communauté et en restant spontané. Je me suis dit qu’il n’y avait rien de plus spontané que d’allumer une caméra et de voir ce qu’il allait se passer. On a lancé un premier live comme test et j’ai beaucoup aimé le faire. C’est rentré dans mon top activités après la scène.
Ça me permet de travailler et de voir en direct comment les gens réagissent à la musique tout en étant proche d’eux. Je m’amuse beaucoup, souvent je suis avec mes potes et on rigole, c’est un combo de fou !

LFB : Tu vas continuer à tester des choses sur cette plateforme ?

Danyl : J’espère ! J’étais encore en live hier soir, c’est pour ça que le matin est un peu compliqué (rires). On a testé une nouvelle forme de musique, avec de nouvelles rythmiques. En fait, c’est le même travail que ce que je fais en studio mais avec une caméra allumée. Pour moi, ça ne change rien du tout, si ce n’est que je suis plus proche des gens. J’aimerais bien le continuer au maximum. Ça prend quand même du temps. Si un jour je sens qu’au niveau du planning ça devient compliqué, je réduirais mais je n’ai pas envie d’arrêter en tout cas.

LFB : A l’inverse, par moment, as-tu besoin de te retrouver seul pour composer ?

Danyl : Les lives Twitch c’est un dimanche sur deux, tout le reste du temps je suis en studio. Beaucoup de choses se font une fois que la caméra est éteinte.

C’est plus l’inverse. Par moment, ça me fait du bien d’avoir la caméra allumée. Ça me permet d’avoir des avis, un peu comme si c’était une grande session studio.

LFB : Tu sembles accorder beaucoup d’importance à tes prestations scéniques. Qu’est-ce que ça t’apporte ?

Danyl : Pour moi c’est le plus important, l’aboutissement de tout ! Construire un show pour présenter la musique et faire vivre une expérience aux gens, c’est ce que je préfère, ça donne du sens à tout. Même quand je suis en studio, je pense à la scène. La construction du show et la performance, c’est, pour moi, l’essence du métier d’artiste. Du coup, on travaille ça vraiment sérieusement avec nos moyens pour que ça ne puisse qu’évoluer.

LFB : Ta proposition oscille entre compositions lumineuses voire festives et récits intimes. Comment travailles-tu ce contraste ?

Danyl : C’est intéressant ce que tu dis parce que je pense que c’est très inconscient. Je ne pense pas me dire que parce que la rythmique est dansante je vais pouvoir m’ouvrir plus facilement. Surtout qu’on a une manière de bosser qui est très spontanée. On produit tout en band, ce qui veut dire que l’énergie elle est globale entre le texte et la production.

On aime bien que les premières étapes de la composition aillent très vite pour que ça donne rapidement une direction. Après, on se prend beaucoup la tête jusqu’à parfois arriver à des morceaux qui ont cinquante versions (rires).

LFB : Quand on parle de morceaux poignants, il y a notamment Pigalle issu du projet Khedma 2 qui est un message adressé à ton oncle. Tu avais évoqué lors d’une interview que tu ne lui avais jamais parlé de l’existence de ce titre. Est-ce toujours le cas ?

Danyl : Non carrément je lui dis que ça ne parle pas de lui (rires). Au fond, on se sait sans même se parler. Une fois que la musique a parlé, je n’aime pas trop revenir dessus, encore plus avec l’intéressé.

Là, j’avoue j’ai un peu peur, on a été en séminaire et j’ai abordé d’autres thèmes tout aussi personnels. Mais c’est pour plus tard.

LFB : Comment assumes-tu de te livrer aussi profondément sur scène ?

Danyl : Je ne le conscientise pas vraiment. A partir du moment où je suis sur scène, j’accepte la vulnérabilité. Il y a tellement de gens devant moi que quoi qu’il se passe ils le verront. A partir du moment où je l’ancre en moi, c’est plus simple de se laisser aller. Alors que dans la vie de tous les jours je suis plutôt un mec réservé. Je parle assez de moi dans ma musique et dans les interviews, du coup au quotidien je ne parle plus de moi (rires).

Puis, bizarrement, c’est plus simple de se confier à des inconnus qu’à des proches. Ce qui me fait le plus peur, c’est quand je vois ma famille sur les balcons (rires), alors que de parler à des inconnus, c’est un peu comme si tu parlais à un psy qui ne te juge pas, parce qu’il ne te connait pas.

En tout cas, la scène c’est thérapeutique à mort. Même quand j’ai des manques de motivation, ça me booste à mort. Que ça soit émotionnellement ou physiquement, c’est la meilleure chose qui ait pu m’arriver la scène.

LFB : Pour conclure, que peut-on te souhaiter pour la suite ?

Danyl : Des scènes ! Là, la tournée se passe super bien. On passe dans toute la France mais aussi en Belgique, au Luxembourg et en Suisse. C’est déjà fou pour moi qui n’ai jamais trop quitté Paris.

Sinon, que ça continue comme ça : faire de la musique, des lives Twitch ça serait jouable. Et si ça évolue c’est encore mieux.

Laisser un commentaire