Chez La Face B on adore les EPs. On a donc décidé de leur accorder un rendez-vous rien qu’à eux. Aujourd’hui, dans notre nouvel épisode de format court, on vous parle des EPs de Tramhaus, Cheap Teen et Fragile.
Tramhaus – Rotterdam
En novembre dernier Tramhaus, la nouvelle révélation néerlandaise sortait son premier EP, Rotterdam. Quatre titres que j’ai longuement écouté, que j’ai savouré en live, maintes et maintes fois. Car le jeune quintet est définitivement un groupe à vivre. Le charisme de Lukas, sa voix éraillée et son aisance. La fougue de Julia à la basse, la rythmique de Jim à la batterie et l’énergie de Micha et Nadya aux guitares. Si le groupe s’est formé lors de la pandémie, il possède un talent indéniable pour la scène et un sens des compositions acéré.
En ouverture, Make It Happen, ce morceau que j’ai écouté, répété, écouté. C’est un hymne brûlant qui fait référence au slogan marketing de Rotterdam. Pour un festival local, il fut accompagné d’une vidéo révélant la lutte des habitants du quartier Wielewaal contre une expulsion forcée.
Car Tramhaus, au-delà de nous faire bouger, demeure un groupe engagé, qui s’empare du punk et de ses variantes pour critiquer les systèmes politiques en place et les changements que nous vivons, quotidiennement.
Make It Happen devient en concert une danse sensuelle et entêtante, où les riffs de guitares se joignent à la chaleur de Lukas, qui ne cesse de jouer avec son micro, modulant sa voix et s’étirant, tel un chat sauvage.
Amour Amour danse le slow avec la France, alternant chœurs charnels, timbre rugissant et contradiction d’émotions. Finalement, c’est une avalanche noise qui s’abat sur nous, juste avant la venue de Marwan et ses riffs obsédants. Lukas nous malmène, la basse vibre et la colère s’empare de Tramhaus. On ne s’en remettra pas.
Et tandis que les pédales s’affolent et que le silence se fait, il ne reste plus que la guitare et quelques notes. Celles que l’on retrouve sur le morceau qui conclut l’EP. Il se nomme Seduction, Destruction et ce sont les premières paroles entonnées par Lukas. Des sons qui paraissent presque étouffés, quasiment noyés. Derrière, délicatement, le rythme s’impose avant que le chanteur vocifère. Et ces deux mots qui reviennent sans cesse, faisant baisser la tension et le tempo, avant que la fougue des musiciens apparaissent. C’est un final bruyant, qui casse les frontières du genre, qui abolit la peur et offre une singulière échappée vers l’espoir.
Cheap Teen – Seneca Village
Cheap Teen, ça sonne l’insolence, la flegme et la sincérité. C’est court et incisif, comme leur nouvel EP, Seneca Village. Il est sorti le 3 mars dernier et a été enregistré et mixé par Adrian d’Epniay, guitariste du groupe MNNQNS. Mais le groupe n’en est pas à son coup d’essai. Depuis sa création en 2017 il enregistre deux EP’s et tourne notamment avec The Chats et Bandit Bandit. D’un punk-rock efficace, le quatuor passe finalement avec ces cinq titres à un post-punk bien noise et sale avec des influences allant de black midi à Shame.
La pochette de l’EP nous plonge instantanément dans l’ambiance des morceaux : étrange et complexe. Faussement rassurante. Réalisée par Lorenzo Furlan, elle représente un toboggan, vu en plan serré, de nuit. Il semble minuscule et a en même temps des allures d’éléphant avec sa longue trompe. Quant à Seneca Village, c’est une référence à un ancien quartier situé à Manhattan qui accueillait une communauté principalement composée d’afro-américains. Il a été démoli en 1850 pour donner vie à l’iconique Central Park. Ses habitants ont donc été contraints de quitter les lieux. C’est fort, c’est dense. Belle introduction à cet EP qui ne laisse pas de marbre.
Et d’ailleurs, nous sommes happés instantanément par ce Monster Hiding qui se cache sous nos lits. C’est un titre étonnant, où la voix d’Enzo nous emporte vers des tréfonds insoupçonnés. C’est sombre, c’est lent et grave, et de manière lancinante, reviennent ces quelques mots : « under my head, there’s a monster hiding ». Avant peut-être que le monstre sorte de sa cachette et que son énergie se libère, portée par des riffs ténébreux.
Useless, détonne par son format : une minute et trente-cinq secondes. Clairement punk mais certainement pas inutile. Et juste quelques mots lancés à la cantonade.
Sorry, sur la même lignée, court et crie tandis que le rythme se balade, lorgnant du côté de l’expérimentation, soulignée par une basse séduisante.
Puis Gnome apparaît : un morceau très lourd, qui flirte avec le métal. Ici tout est grave, les instruments et les mots.
Finalement Seneca Village se conclut avec 16 ways, un morceau qu’on a hâte de découvrir en live. Au croisement entre Nirvana, Sonic Youth et Gilla Band, Cheap Teen révèle ici toute la puissance qui les anime. Oscillant entre punk, noise ou encore grunge, le groupe prend un malin plaisir à déstructurer, détruire. Finalement, il ne restera rien. Rien que cette guitare et ses accords lancinants. Tel un mantra, une expérience sonore, une percée furtive.
Fragile – … About Going Home
Comment parler (encore) de Fragile sans se répéter ? Peut-être en rappelant l’importance de ce projet dans le paysage actuel indé français. Ils sont cinq, viennent d’Angers et vous les connaissez peut-être déjà. Car évidemment, ils aiment tant la musique qu’ils évoluent chacun au sein de différents projets : LANE, Scuffles ou encore Dogs For Friends.
…About Going Home, ce sont donc huit titres incandescents et généreux où l’empressement des premiers maux rejoint la vitalité des guitares saturées. Ce premier EP, sorti le 9 juin a été enregistré et mixé par Elliot Aschard (que l’on retrouve au sein du projet Bermud) et Stw Dust à La Cuve (Angers).
Il s’ouvre avec Messy Hair, un titre punk rock où la voix de Baptiste nous effleure déjà. Et peut-être qu’on devine alors les influences, multiples mais sacrées : Touché Amoré, Title Fight ou encore La Dispute. La rencontre entre les mots et les émotions. A fleur de peau, le corps fatigué. On les imagine alors pendant le confinement, composer, se décomposer, exulter, dérailler. Peut-être que Fragile vient de là, des désordres, des pensées mêlées et… D’une belle amitié.
Selfless sent le surf garage, c’est doux et fort, ça creuse et ça pique, mais juste ce qu’il faut, là où il faut. Ensemble, ils portent leurs voix, toujours plus loin.
Puis survient Winter at the Museum, dont nous avions dévoilé et décortiqué le clip en exclusivité. Ici, la tempête a laissé place à l’accalmie confiante et libératrice. Vient le temps des guitares qui chantent et des voix qui rient.
Mais lorsque surgit Anhedonia, l’univers a déjà changé. Plus lourd, plus dense. Des accents shoegaze se révèlent tandis qu’on entend crier au loin. Et Baptiste de clamer : « I need connections that I can afford ». Overview, se veut une respiration. C’est un titre bref, une parenthèse.
Enfin, vient Murmuration, chanté notamment par Josic, l’un des guitaristes du groupe. C’est un morceau qu’on oublie pas, qui se joue des contrastes. La voix de Baptiste, empreinte de mélancolie et de rage, celle de Josic qui répète, sans se lasser : « Please don’t come inside ». C’est l’explosion, c’est la tension. A cet instant, il n’existe plus rien. Juste eux.
Laugh/Cry, que nous avions également chroniqué en exclusivité, apparaît ensuite. Un punk hardcore, pour passer du rire aux larmes, si facilement.
Finalement, parfaitement, Model conclut l’EP. Et tandis que Baptiste chante : « I’m sick and I sink into everything I knew », tandis que les mots, cathartiques et timides, reflètent la pensée intense, les instruments se mettent alors en branle.
Jusqu’à ce passage, bref instant où une phrase est répétée : « Your dead friend was not a model / tell it to your son ». Juste voix et guitare. Puis la batterie et la basse. Puis tout qui monte, qui gonfle. Et tout à coup la consécration. Les cris et le cœur. Le cœur prêt à exploser.
…About Going Home, un premier EP sincère et exalté. Pour rentrer chez soi apaisé.