Lenparrot, le vertige de la Conversation

Après deux superbes albums en anglais, Lenparrot est revenu cet automne avec un troisième album totalement en français : La conversation. Mais contrairement à ce que le titre semble indiquer, la conversation que nous propose Lenparrot est bien multiple et on vous explique pourquoi.

Il est parfois long le chemin jusqu’à soi. Se trouver, trouver une maison dans laquelle on se sent définitivement bien. Depuis bientôt 10 ans Lenparrot évolue et grandit, explore et chemine une musique qui n’appartient qu’à lui et qui, au fur et à mesure du temps, retire ses oripeaux adolescents pour s’offrir un visage plus adulte.

Un petit virage, une bifurcation qui change pourtant tout qui s’est faite par le langage. Car moins se cacher, troquer le cynisme et l’irréalisme par la tendresse et l’humanité dénudée ne pouvait finalement se faire qu’à travers sa langue maternelle, le français. Cette épopée, elle avait déjà commencé en 2020, à travers deux titres d’Another Short Album About love, les merveilleux Paladines et Quoi, qui actait cette évolution. Comme mettre un orteil dans l’eau avant d’y plonger totalement le corps et l’âme et ne faire plus qu’un avec un élément qui pouvait autant effrayer qu’attirer.

Un premier pas, un premier échange vers La Conversation, ou plutôt LES ConversationS, tant cet album navigue à plusieurs niveaux à travers les échanges qu’ils soient musicaux, intimes ou thématiques.

La conversation avec un lieu et les gens qui l’habitent

Cette première conversation, elle se fait avec un lieu et les gens qui l’habitent. En se dirigeant vers La Bergerie, et en s’associant avec Astrobal et Nina Savary, Lenparrot a, sans même le savoir au départ, effectué un soft-reboot de sa musique. On le sait, les lieux, et les rencontres, imprègnent souvent les albums et la création de leur aura et c’est évidemment le cas ici.

Ainsi, la première grande surprise à La Conversation, c’est la grande chaleur qui s’en dégage. Si Lenparrot nous avait auparavant habitué à des choses parfois plus synthétiques, plus froides, cette évolution semble somme toute assez logique, comme une inversion des pôles.

Ainsi, désormais la gravité se joue dans les paroles, dans le mot plus affirmé, plus sérieux donc, permettant ainsi à la musique d’offrir quelque chose d’inédit, de plus foisonnant et luxuriant, où les chœurs prennent une importance prépondérante et où la musique prend corps, se vit à travers les musiciens dans un élan collectif et vital, créant une ambivalence bienvenue et donc un surplus de profondeur à des morceaux qui n’en manquaient pourtant pas.

Une musique en mouvement donc, qui accélère, qui ralentit, qui bifurque. Dès l’ouverture avec En plein air, le ton est donné. Il y a un côté faussement nonchalant qui s’efface lorsque le mot s’éteint pour offrir une mise en tension musicale sur laquelle viennent s’agglomérer les chœurs et offrir un rendu inédit et épique plutôt bienvenue à la musique.

Cette fougue, on la retrouvera ensuite sur Sable, avant que le rythme ne baisse progressivement, comme pour laisser les humeurs oniriques et évanescentes prendre le pas petit à petit. Impossible de résister à ces ambiances travaillées à l’extrême, que ce soit La Conversation, La Rive ou la superbe Ceci n’est pas une valse.

Le tout nous mène à un point culminant où tout se mélange jusqu’au sublime. Aie confiance en ton vertige nous intime Romain, un mantra qu’il a appliqué tout au long des morceaux, comme un grand saut dans le vide qui lui aura permis de se sentir vivant musicalement.

La conversation avec les mots et avec soi-même

L’autre part importante de cette création musicale, tient en ce que l’on expliquait au départ : embrasser pleinement l’écriture en français. Là encore, Lenparrot se retrouve face au vide (le vertige toujours) qui le transforme pleinement.

Ici, il n’est plus question de se masquer, plus question de chercher le point de fuite ou la petite tournure qui déstabilise. La conversation est un album extrêmement lettré. Tels des petits poèmes, Lenparrot s’amuse avec les mots, les dépouille autant qu’il les anoblit.

Point d’intellectualisation donc, mais une recherche de vérité à l’intérieur de soi. En cherchant le mot juste en permanence, même si celui-ci est le plus simple possible, Lenparrot crée un univers tout à la fois visuel et impactant, sans esbroufe mais pourtant, à la manière de sa musique, terriblement humain.

Ainsi, dans grand nombre de morceaux, il éclaire de la beauté des mots bon nombre de failles et d’histoires qui n’appartiennent qu’à lui, le deuil (En plein air, Marguerite), l’acceptation de la peine (Sable), la paternité (Louisa en plein hiver) ou encore le rapport à soi-même (ceci n’est pas une valse) et le couple (La Conversation).

Intime et bouleversant, La Conversation est un album qui se lit autant qu’il s’écoute. C’est d’ailleurs qu’il semble aussi se jouer.

Ce qui rend La Conversation fascinante, c’est que cette évolution linguistique, transforme aussi la voix et la manière de chanter de Lenparrot. Le garçon a la chance d’avoir une voix tout à fait élastique, capable de toutes les prouesses et de toutes les élégances.

Ici, c’est du côté crooner qu’il penche. C’est d’ailleurs intéressant que pour le seul duo de l’album il aille chercher son camarade François Atlas, pour une joute verbale où les voix se mêlent et se répondent sur la tendre Albi.

L’évolution est d’ailleurs assez frappante si l’on suit le cheminement de l’album, tant la voix semble gagner en gravité en allant d’En plein air à Louisa en plein air.

La voix devient ainsi un élément central, presque un instrument à part entière, bien aidée une nouvelle fois par l’abondance des chœurs qui apportent aussi une réponse et une intensité différente aux monologues fantomatiques de Lenparrot.

La Conversation avec les fantômes de la vie

Car oui, on pourrait voir dans La Conversation, un album hanté. Par ceux qui sont partis, pour toujours parfois, ceux avec qui les chemins se sont séparés, ceux qui restent et à qui on a envie de dire tout l’amour qu’on leur porte.

Lenparrot se sert de sa musique pour faire perdurer la flamme de la vie, pour ranimer le passé et envisager le futur. C’est un album qui est traversé par l’existence, par les regrets parfois, par l’optimisme toujours.

C’est une conversation de soi à soi qui se joue dans nos oreilles, une histoire qui pourrait n’appartenir qu’à Lenparrot mais qu’il se décide à partager avec nous. Car au fond, ce qu’il raconte, on l’a tous vécu de manière plus ou moins directe dans nos existences et cette musique permet autant de soigner celui qui l’écrit que ceux qui iront l’écouter.

Si l’on devait résumer, on pourrait dire que La Conversation est un album pur. Un élan de tendresse où la gravité surgit pour devenir une amie qui nous accompagnera sans nous faire peur. Avec ce troisième album, Lenparrot prouve à ceux qui en doutaient encore qu’il est un immense auteur/compositeur. Un artiste majuscule qui n’est jamais aussi bon que quand il se fait confiance et qu’il laisse les autres habiter sa maison. Car La Conversation est une histoire qui se joue à plusieurs. On ne peut que vous inviter à y prendre part.

Crédit Photo : Greg Behin

Retrouvez notre conversation avec Lenparrot par ici

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