La possibilité d’interviewer Philippe Katerine trônait en haut de nos rêves secrets depuis la création de La Face B. Alors quand on a eu l’occasion d’aller voir ce qui se cache sous le bob de l’artiste, on n’a pas hésité. Pour la sortie de Zouzou, on a donc discuté avec Philippe Katerine. De la vie, de l’album, du quotidien, de cinéma, de musique, le tout avec humour et fantaisie.
La Face B : Bonjour Philippe, comment ça va ?
Philippe Katerine : C’est une question très intime, vous savez pourquoi. Ça se passe très bien à la selle. Franchement, le transit est très bon. Sinon ça va bien, tant qu’il n’y a pas de maladie, pas de cancer, pas de morts, ça va très bien.
LFB : J’ai ramené ces jolis livres, ce que je sais de l’amour, ce que je sais de la mort. J’ai l’impression que Zouzou est un peu la descendance directe de ces deux livres.
Philippe Katerine : Ah oui c’est vrai, pourquoi pas.
LFB : Si je dis ça, c’est que pour moi l’album est traversé par deux émotions contradictoires mais liées : la sensation de fatalité et la mort, et l’amour.
Philippe Katerine : Oui, c’est vrai que je ne m’étais pas fait la réflexion. C’est un livre que j’ai fait assez vite. La mort, l’amour, il y a juste une sonorité différente. Le tout est très, très lié. Je n’ai pas de problèmes à parler d’amour ou de mort, ce n’est pas un sujet tabou pour moi. J’y pense tout le temps. C’est vrai que c’est un peu la descendance effectivement, mais je n’avais pas fait clairement le lien. Merci.
LFB : Vous y pensez tout le temps : est-ce que c’est quelque chose qui vous effraie ? Quelle est la sensation liée ?
Philippe Katerine : J’y pense depuis que j’ai huit ans. Je me suis fait opérer du coeur donc ça doit être lié. J’y pense avec beaucoup de sérénité, je ne suis pas du tout paniqué par l’idée de la mort. Je suis plus paniqué par l’idée du rapprochement, parce qu’il y a quand même une finitude. C’est un peu comme dans le morceau Chez Philou, les portes se ferment. Il y a quelqu’un d’autre qui va investir les lieux mais les portes se ferment. Après, je n’ai pas envie de mourir.
LFB : Je trouve que c’est intéressant parce que justement, le fait d’en parler permet de digérer cette idée. Je trouve que c’est un album qui fait beaucoup de bien par rapport à ça aussi.
Philippe Katerine : Je trouve aussi qu’il faut s’en occuper de notre vivant, la mort. Après, il sera trop tard. Il y a plein de gens qui meurent et qui au fond, on ne sait pas quoi faire de leur mort, on ne sait pas quelle sépulture ils voulaient, qu’est-ce qu’on va dire à leur mort ? Quel discours, quel poème, quelle chanson ? J’essaie d’aller en avance et d’y penser pour les autres. Je ne veux pas que ça soit un poids pour les autres donc j’ai prévu mon monument funéraire, les conditions dans lesquelles ça pourrait se passer, etc.
LFB : Une crémation ?
Philippe Katerine : Non, non, pas crémation. J’ai prévu mon monument funéraire dans le livre Mignonisme. C’est un monument en marbre rose, mais en forme de pied, qui fait aussi mini-golf. On peut jouer sur la tombe. C’est l’idée. Je vais essayer de le faire accepter parce que… On est plus motivé de mourir quand on sait où on va aller. Ce qui nous inquiète, c’est l’incertitude, on ne sait pas quelle maison on va habiter. J’ai décidé de construire ma maison de mon vivant. Comme ça, je suis plus motivé.
LFB : Vous pensez qu’il y a quelque chose après ?
Philippe Katerine : Pas du tout, je pense que c’est génial. C’est juste des impressions, des mélodies, du vent. De la musique au fond.
LFB : Pour revenir sur la musique, il y a un morceau dans l’album qui s’appelle Nu. Je me demandais si cet album n’était pas justement une grande mise à nu pour toi ? Il y a une vraie percée intime je trouve, ou un retour à quelque chose de plus intime.
Finalement dans les années 90, il y avait un vrai rapport à l’intime qui peut-être à un moment s’est décalé. On a l’impression que vous y revenez avec ce disque.
Philippe Katerine : Je pense ne jamais l’avoir quitté, parce que je suis trop rapproché de mes chansons pour en avoir le cœur net. Je pense que j’ai toujours été branché là-dessus mais parfois j’exprimais mon rapport intime avec trois mots. Là, la différence, c’est que j’avais un très grand cahier que je m’étais acheté et que je pouvais reprendre mes textes. J’ai aimé écrire. Ce n’est pas que je n’aimais pas avant mais là, j’ai pris plus de temps à retourner des phrases, à trouver d’autres mots, ajuster mes textes. Plus proches de ce que je voulais exprimer. C’est ça le grand changement pour moi.
LFB : Est-ce que ça prend du temps la recherche du mot juste ?
Philippe Katerine : Oui, je n’étais pas le nez dedans. Ça s’est fait sur trois ans à peu près le disque. Donc je pouvais réécouter mes chansons et dire que je pourrais changer un verbe ou une conjugaison. Ou même pourquoi pas le « tu » au lieu du « je » ? C’étaient des questions que je n’avais pas le temps de me poser avant. Là, j’ai pris plaisir à le faire.
LFB : Est-ce que vous vous voyez comme un poète du quotidien ? J’ai l’impression que cet album, c’est transformer l’instant avec des choses très ancrées dans le moment, et en faire de la poésie.
Philippe Katerine : Oui, mais je ne m’inscris pas du tout là-dedans. C’est à vous de le voir. Tant mieux, mais je n’ai pas du tout cette impression. Jamais je ne me dis ça.
LFB : Il y a quand même une fascination pour le quotidien.
Philippe Katerine : Oui, le quotidien, c’est ce qu’il y a de plus poétique. Même la répétition des gestes, ça j’adore. C’est parce que je suis une bonne nature, j’adore me lever le matin. Commencer ma journée, avoir la joie de pouvoir la finir.
LFB : Et de recommencer le lendemain.
Philippe Katerine : Oui. Mais jamais je ne me dis que je suis un poète du quotidien. Je ne pourrais pas le dire.
LFB : Moi je vous le dis.
Philippe Katerine : Merci.
LFB : C’est intéressant parce qu’il y a quelque chose de très important, qui était déjà dans Mignonisme et avant, d’utiliser la fantaisie comme armure aux choses un peu plus sombres du quotidien.
Philippe Katerine : Il y a de la fantaisie là ?
LFB : Oui, je trouve. Il y a beaucoup de tendresse en tout cas.
Philippe Katerine : Oui, j’espère, ça c’est vrai. Ce sont des chansons que j’ai choisies parce que j’en avais plein d’autres qui étaient plus épineuses. Vu l’ambiance générale, j’ai quand même constaté que les gens étaient très à cran. Au moindre prétexte… Ce qu’il y a de fou, c’est que quand j’ai commencé il y a trente ans, on disait que plus personne ne pourrait choquer quelqu’un parce que tout a été fait. On se disait que le scandale était impossible après Gainsbourg. En fait, on s’aperçoit que pas du tout, c’est très très facile de choquer les gens. Mais moi, comme ce n’est pas mon genre, j’ai écarté les chansons qui pouvaient choquer. Donc ça donne quelque chose de très tendre en effet. C’était mon humeur du moment.
LFB : Il y a un morceau dans l’album qui pourrait choquer mais qui justement, de par sa tendresse, évite le côté vulgaire, c’est Que deviens-tu ?. Je trouve ça très beau parce que ça dégage une vraie mélancolie, un truc qui évite d’aller vers le vulgaire.
Philippe Katerine : Peut-être, je ne sais pas. Ça m’a paru tendre c’est vrai.
LFB : La tendresse est une bonne armure sur la noirceur, même si j’ai l’impression que parfois, les gens les plus noirs sont ceux qui envoient le plus de tendresse aux autres.
Philippe Katerine : Ah oui ? Je ne pourrais pas dire. Je ne pourrais avoir que des exemples individuels, mais je ne ferais pas de généralités.
LFB : Vous concernant ?
Philippe Katerine : Je ne sais pas. Je ne pourrais pas dire.
LFB : Vous n’avez pas une noirceur cachée. Parfois, je vois le monde de manière très noire mais j’essaie de ne pas le transférer aux gens par exemple.
Philippe Katerine : Oui, moi aussi ça m’arrive mais c’est vrai que je n’ai aucune envie de plomber les gens. Par exemple, si je suis invité à un repas, j’essaie d’avoir le sourire ou je n’y vais pas. C’est la moindre des politesses. Je n’ai pas envie de plomber l’atmosphère, pas du tout. C’est pour ça aussi que j’ai retiré des chansons qui pouvaient poser une ambiance conflictuelle.
LFB : Ça m’intéresse de savoir comment la couleur de l’album est venue. On parlait de tendresse mais on navigue aussi dans un certain groove et je trouve qu’il y a toujours une vraie élégance dans la composition. Comment sont venues cette envie et cette couleur de l’album ?
Philippe Katerine : Je crois que petit à petit, je me suis dit qu’il fallait un son confortable déjà. Qu’on ne soit pas dans l’art brut. J’ai eu des chansons ou des disques qui étaient plus rugueux. Qui étaient enregistrés très vite, sans soucis de forme à prêter ou avantageuse. Alors que là, je voulais que ça soit du velours. C’est pour ça que j’ai confié le mixage à NKF. J’avais noté que le son qu’il avait, rebondissait comme des coussins.
LFB : Il y a un truc très hip hop aussi par moment.
Philippe Katerine : Effectivement, il vient du hip hop qui est une musique que j’écoute. Donc tout marchait pour que ce soit NKF. Et aussi travailler avec des gens avec qui j’avais déjà travaillé parce que Victor Le Masne et Adrien Soleiman, je les ai fréquentés beaucoup pour faire des concerts. Adrien était sur scène et Victor à la direction musicale. C’est aussi dans un confort amical que ça s’est passé. Je ne découvrais pas ces gens-là, c’était la suite d’une conversation qu’on avait entamée à mes concerts.
LFB : C’est vrai que ce sont des gens qui ont été un peu découverts récemment mais pour moi, l’album a été fait un peu à six mains parce que ce sont des gens qui ont arrangé et qui vous ont aidé dans la composition. Ce que je trouve intéressant, c’est qu’ils ont une identité assez forte mais ils laissent quand même respirer l’identité de l’album et ce que vous avez voulu y mettre.
Philippe Katerine : Oui, parce que ce sont des gens talentueux, ouverts et qui ne sont pas sur leurs bobines. Ils sont au service de la chanson, de ce que je leur proposais. Il y avait différents styles de chansons. Ça m’est arrivé de composer de la même façon tout un disque mais là, j’allais d’un ordinateur à l’autre. Le piano, guitare. J’ai composé dans plein d’endroits différents, même à capella en marchant. Ça partait dans tous les sens au niveau de la composition. Je voulais respecter ça au niveau des arrangements, de la production. Que ce soit différent pour chaque chanson. Donc c’était les meilleurs complices pour faire ça parce qu’ils ont une virtuosité dans l’arrangement qui est sans égale.
LFB : À part ces personnes, en collaboration dans l’album, il y a ta famille. Est-ce que c’était important de laisser transpercer la vie derrière Philippe Katerine en faisant apparaître les enfants ?
Philippe Katerine : J’ai toujours fait ça un peu. Je chantais avec mes compagnes, avec mes parents. Ça a toujours fonctionné comme ça chez moi. C’est pudique quand même mais j’ai toujours voulu collaborer avec des gens qui me sont proches. Là, ce n’est pas que je n’avais pas envie de voir grand monde mais disons que je m’étais habitué à rester chez moi le soir. Ça me plaisait simplement de rester en famille avec tout le monde. Je ne suis pas trop sorti, ce qui explique aussi qu’il n’y ait pas de featuring forcément. Ce qui n’était pas le cas dans le disque d’avant où j’étais beaucoup plus excité.
LFB : La famille du coup, c’est aussi un des thèmes de l’album.
Philippe Katerine : Oui, le disque commence avec ma maman qui demande où je suis. On ne va pas citer PNL « que la famille » mais c’est resté le terreau de ce disque essentiellement, qui est venu un peu du confinement. Mais même en confinement pourtant, je faisais des chansons mais ça ne me plaisait pas du tout. Je faisais des chansons un peu de fable animalière et on aurai dit La Fontaine raté, je n’aimais pas ça. Je n’ai pas paniqué, j’ai laissé filer le temps et on est arrivés à ce résultat. Qui effectivement est un album hyper domestique.
LFB : Finalement, des featurings vous en avez faits beaucoup entre les deux albums, c’est marrant parce qu’il y a le morceau avec Mou où la ligne mélodique revient sur l’album. C’est aussi un morceau qui parle d’anniversaire d’ailleurs.
Philippe Katerine : Oui, sur Joyeux anniversaire, parce que je lui avais dit que j’aimerais bien remplacer la mélodie qu’on connaît tous de cette chanson, que je trouve lugubre et que je ne peux plus entendre. J’ai voulu proposer une autre ligne mélodique, donc je lui ai dit que j’aimerais bien planter les premières pierres. « Changer une habitude est plus difficile encore que de déplacer une montagne », dit le proverbe chinois. Donc il faut commencer tôt. Je lui ai demandé si je pouvais glisser ma petite mélodie et il a accepté. C’est une mélodie qui existait aussi dans le disque de CLAIR, la chanteuse pour qui j’ai écrit un disque sur mon label, La maison magique. La mélodie était déjà là. Là, c’est ma grande ambition qui pourrait se solder par un échec bien sûr, de changer une tradition. On est encore dans un autre trip.
LFB : C’est un peu le multivers de Philippe Katerine.
Philippe Katerine : Heureusement quand j’ai des projets comme ça, je pars toujours de l’idée de l’échec. On ne peut avoir que des bonnes surprises. Mais j’essaie de planter quand même. J’ai noté qu’on m’envoyait quelques vidéos avec cette mélodie pour joyeux anniversaire. On ne peut pas me faire plus plaisir. Pour le bien des gens, pour le bien-être de notre société.
LFB : Je pense que du coup, il faudrait la traduire cette chanson parce que c’est le même air dans toutes les anglais.
Philippe Katerine : Ça marche très bien. C’est le grand projet, le GP.
LFB : On parlait de Mou et de CLAIR. Je trouve qu’il y a toujours cette idée de transmission malgré tout. Il y a une autre idée de transmission dans l’album, un peu cachée, puisqu’il y a Flavien Berger qui a composé un morceau. Pour moi, c’est un artiste qui est dans la lignée de fantaisie même si lui est plus sombre par endroits. Qu’est-ce que ça t’apporte de te confronter à des gens ? J’ai l’impression que c’est une admiration qui est réciproque à chaque fois qu’il y a un morceau fait avec quelqu’un.
Philippe Katerine : Je ne sais pas. J’écoute beaucoup de musique, de jeunes, de vieux. Ça part dans tous les sens. J’adore la musique. J’ai essayé de trouver des solutions à chaque fois, je bloquais un peu sur ma mélodie avec une chambre à moi. C’est pour ça que j’ai demandé à Flavien, que je connais à peine d’ailleurs. Mais j’écoutais beaucoup son morceau sapon. Je me suis dit que ça pourrait être une idée qu’il m’envoie des instru comme ça. Là-dessus, j’ai fait une mélodie sur un instru sur une musique que je n’aurais pas pu faire moi je pense. Collaborer avec des gens, ça ouvre des portes et des solutions qu’on n’a pas. J’adore composer tout seul et tout ça mais après il faut ouvrir les fenêtres et savoir partager, sinon ça sent la vieille chaussette.
LFB : Ça permet de continuer de grandir finalement.
Philippe Katerine : Bien sûr. De la même façon quand on a des enfants. On apprend autant de ses propres parents que de ses enfants, c’est la même chose.
LFB : L’album se termine sur un morceau qui s’appelle Cinéma. Je parlais de percée intime tout à l’heure. Je me demandais si parfois Philippe Blanchard ne se sent pas un peu prisonnier du personnage de Philippe Katerine et de l’image qu’on peut lui renvoyer ?
Philippe Katerine : Oui effectivement, ce n’est pas mon vrai nom. Je suis très heureux d’avoir un double héroïque quelque part. Des choses que je ne ferais pas. Au contraire, c’est plus une libération qu’une prison pour moi. C’est une grande libération. C’est grâce à ça que je me sens libéré. Ça, je peux le certifier.
LFB : Pour moi, on peut avoir l’impression parfois que tu as traversé une espèce de crise identitaire ou en tout cas, l’album a parfois un côté « j’essaie de me retrouver moi-même ». Est-ce qu’il y a un côté cathartique de faire cet album qui vous a permis de vous retrouver ?
Philippe Katerine : Pour tous les disques, j’ai toujours eu ce sentiment, de me sauver. C’est comme si je me sauvais la vie à chaque disque. C’est un peu exagéré ce que je dis. Les mots sont forts vu de l’extérieur, mais à l’intérieur pourtant je sais que c’est ça. C’est un sauvetage en mer.
LFB : Est-ce que ça vous touche que les gens soient sauvés par la musique ?
Philippe Katerine : Bien sûr, quand ça arrive, bien sûr. C’est fabuleux de ressentir ça, d’avoir des gens qui viennent vous dire qu’ils étaient seuls et qu’ils se sont sentis moins seuls avec notre musique. C’est un cadeau extraordinaire de la vie, que j’ose croire en plus.
LFB : Joe Biden pourrait vous sauver, mais Donald Trump, est-ce qu’il vous aimerait ou vous le battriez à la course ?
Philippe Katerine : Je le battrais, j’en suis sûr.
LFB : En écoutant votre disque et toute votre discographie, on a l’impression que chez vous, il y a aussi un goût pour la chanson un peu rétro des années 30/40, cette espèce de grande culture française de la chanson, même avec Charles Trenet.
Philippe Katerine : J’écoute énormément de musique, beaucoup de rap et de hip hop mais j’adore la mélodie française du début du vingtième siècle. Ça fait partie de ce que j’écoute. Aussi toutes les musiques de mon enfance. J’ai grandi dans les années 70 où il n’y avait pas forcément de disques mais la télé. C’était Claude François, j’adorais, Joe Dassin, Dalida, Françoise Hardy,…
LFB : Michel Sardou ?
Philippe Katerine : C’est vrai que je n’ai jamais été particulièrement touché par Monsieur Sardou. Pourtant on avait un disque à la maison mais j’adorais Claude François. Après, j’ai découvert Léo Ferré, Gainsbourg, Trenet évidemment. C’est ma culture. J’ai 55 ans donc évidemment, ça fait un panel. J’en jouis. Ça donne des perspectives évidemment.
LFB : Je sais que vous êtes un très grand fan du cinéaste Jean Eustache. J’aimerais savoir comment vous en êtes arrivé à son cinéma ?
Philippe Katerine : Son cinéma, je l’ai rencontré en 1987. Ça passait à la télévision française qui était Antenne 2 à l’époque. Ils passaient La maman et la putain. Ça a été la sidération, sur trois heures. J’étais émerveillé de ce que je voyais, de l’idée qu’un film comme ça pouvait exister. Il y avait De Funès, Belmondo, etc. Mais tout d’un coup, on montrait ça. Après, je n’ai pas cessé d’explorer son cinéma et ses propos qui sont passionnants. Il ne s’est jamais contenté d’une recette, il a toujours cherché dans le documentaire, dans la fiction. Il a toujours cherché à remettre en question son art et ce qu’il pensait donc c’est un exemple.
LFB : J’ai l’impression que son rapport à la vie et à l’intime transparaît beaucoup dans toute votre oeuvre aussi.
Philippe Katerine : Oui. Il prélève effectivement le goût du quotidien. J’ai lu qu’il écrivait ce qu’il vivait. Il restituait. Au fond, ce sont des restitutions, comme une enquête policière. On essaie de faire une reconstitution du crime. C’est un peu la même chose. C’est comme ça que je vois aussi le cinéma de Jean Eustache. C’est comme ça aussi que je procède. Je reconstitue un évènement, une impression et j’essaie d’aller vers un semblant de vérité. Ce qui n’est jamais une vérité bien sûr, mais c’est un semblant de vérité. Il faut passer par une reconstitution policière donc ça passe par une énigme. Je ressemble plus à un détective, peut-être pas de la qualité de Sherlock Holmes mais peut-être au moins de Columbo si ce n’est pas trop demandé.
LFB : Dans une chanson comme Le pyjama de soie, je trouve qu’il y a vraiment ce rapport-là. On est dans un film de Jean Eustache. Est-ce que vous aimeriez revenir derrière la caméra vingt ans après Pot de cochon ?
Philippe Katerine : Oui, j’ai toujours plein de projets de films. Il faut espérer qu’il me reste encore vingt ans à vivre. Ça serait déjà pas mal. Je n’ai pas envie de mourir. Pour me rassurer parfois, je me dis que je ne suis pas encore assez mature. Mais il suffit de plus grand chose maintenant parce que je note beaucoup de projets, à droite, à gauche. Je les connais mes projets, il y en a au moins trois ou quatre de films. Ça se nourrit. Je sais qu’il y a une information. Même si je ne le note pas forcément, je sais que ces projets grandissent en moi et qu’il faudra que je le fasse. C’est un rêve que de faire un film. J’en ai déjà faits quelque part mais j’ai envie d’en faire d’autres.
LFB : En parlant de projets de reconstitution, vous vous apprêtez à faire une tournée des zéniths l’année prochaine. C’est votre plus grosse tournée, est-ce que c’est un challenge excitant en tant que musicien et qu’est-ce que vous prévoyez ?
Philippe Katerine : Ce que je prévois, je ne le sais pas trop encore mais je n’aurais pas accepté si je ne trouvais pas ça excitant. Ça c’est sûr, surtout avec l’idée que s’ils me proposent ça, ce n’est pas parce qu’ils ont envie de perdre de l’argent donc ils ont sûrement des bonnes raisons de me le proposer. Ils me l’ont proposé bien avant les JO d’ailleurs. J’ai dit oui parce que ça m’excite de faire quelque chose de nouveau. Avec des moyens différents, des espaces et évidemment il y a plein de possibilités qui s’ouvrent tout d’un coup pour la narration, les décors. Tout devient aussi possible comme ça donc c’est vrai que ça m’excite. Et surtout, je ne veux pas rater ça parce que je ne suis pas sûr que l’occasion se représente. Un jour, j’aimerais bien aussi rejouer seul à la guitare devant des gens et chanter seul à la guitare comme je l’ai déjà fait au début.
LFB : L’un n’empêche pas l’autre.
Philippe Katerine : Ça n’empêche pas l’autre oui. En tout cas, le dessin se fait chaque jour un peu plus précis parce qu’il y a des concerts à venir et c’est très excitant j’avoue. J’avoue mon crime, comme on dit aujourd’hui.
LFB : Comme vous le dites, en termes de tailles de scènes et de choses comme ça, on passe vraiment du simple au triple.
Philippe Katerine : Oui, et ça permet plein de possibilités. Des choses que je n’ai jamais faites surtout. Le plus terrible, c’est de faire des choses qu’on a déjà faites. Un disque, une tournée. Je n’aime pas beaucoup marcher sur mes pas. Pas du tout même.
LFB : On peut imaginer une grande scénographie à la Mylène Farmer ?
Philippe Katerine : Oui, bien sûr. J’ai vraiment des envies vertigineuses, je vous l’avoue.
LFB : Est-ce que vous avez des coups de coeur culturels récents ?
Philippe Katerine : Ce n’est pas aussi évident que ça. Par exemple, j’adore le dernier Tyler, The Creator. Je ne vais pas vous mentir, je le saigne. C’est toujours une aventure ce genre de disque parce qu’au début, vous l’attendez tellement que vous êtes un peu déçus, tellement qu’on a fantasmé dessus. Donc il y a eu un petit moment de creux dans le rapport avec ce disque et puis il revient très fort. Je ne peux plus m’en passer aujourd’hui. Ce sont aussi des énigmes à résoudre pour chaque chanson.
LFB : C’est un créateur d’univers aussi.
Philippe Katerine : Oui, il mérite bien son nom. Il y a plein de possibilités. Tout est source. On va boire à la source. Il y a un morceau qui est au milieu du disque, ce n’est pas par hasard, c’est La chanson d’Edie. C’est ma fille qui chante avec moi, et qui imite des chanteuses. Je me suis dit que ces chanteuses ont sorti des disques très importants pour la chanson française. Toutes celles qui sont citées. Par le biais de ma fille, finalement je me suis dit que peut-être aussi ce disque va boire à cette source. Zaho de Sagazan par exemple. NKF a mixé aussi pour elle. Je me suis dit que c’était un morceau très central pour ce qui est des influences et de la tenue du disque.
LFB : C’est la clé de voûte.
Philippe Katerine : Oui voilà, c’est ce qui est arrivé récemment dans la musique française. Ce sont les disques les plus charismatiques pour moi qui sont sortis ces derniers temps, avec Orelsan aussi.
LFB : Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ?
Philippe Katerine : La bonne santé déjà, je serais content. Tout va bien quand il n’y a pas de mort, de maladie. C’est le bonheur quoi. On se contente de peu. Je me contente de peu.
LFB : Comme le dit Obélix, « quand l’appétit va, tout va ».
Philippe Katerine : Exactement. Il ne faut pas demander plus. Je suis content quand il y a un peu de vent, une petite brise qui passe sous ma chemise. Je n’en demande pas plus. Je sens que ça vole un petit peu. Je vois une petite libellule qui passe devant moi, ça me fait ma journée.