Après la sortie de Just Songs, nous avons rencontré Richard Allen juste avant sa montée sur la scène Les Trois Baudets à Paris. Affichant un large sourire et beaucoup de sympathie, nous avons parlé de son dernier album aux influences folks, à son image.
La Face B : Salut, comment vas-tu ?
Richard : Ça va plutôt bien, merci. Je suis content d’être là, et de jouer tout à l’heure. C’est cool.
La Face B : C’est la première fois que tu joues dans la salle Les Trois Baudets ?
Richard : C’est la première fois que je viens jouer tout seul. Il me semble avoir joué ici il y a plus de dix ans avec un groupe que j’avais quand je devais avoir 21 ans, qui s’appelait Wolves & Moons, mais c’était il y a bien longtemps, c’était une autre vie.
La Face B : Tu as sorti l’album Just Songs il y a presque un mois avec certains morceaux que t’avais déjà écrit il y a plusieurs années. On l’a un peu définit comme un « recueil de morceaux », est-ce que t’es d’accord avec cette idée là ?
Richard : Complètement ; parce que c’était pas un album où j’avais une vision, si il allait y avoir un fil conducteur. Comment commencer tout ça ? En fait j’avais fait un premier album avec Kenny Ruby, qui m’accompagne sur scène. En 2020 on l’a sorti. On a commencé à réenregistrer des morceaux suite à ça, et en fait ça c’est transformé en idée de juste continuer à faire un autre album. Effectivement dans l’album il y a des titres qui ont genre dix ans, mais c’est des titres que j’avais oublié, que j’ai retrouvé dans des vieux carnets. J’ai essayé de m’en rappeler, j’ai fini de les écrire, et puis ils ont fini sur l’album.
Après je suis tout le temps en train d’écrire une chanson, donc c’est juste des chansons que j’ai écrit pendant cette période de 3 ans mélangé avec 2 morceaux qui avaient 10 ans mélangé avec des morceaux que j’écrivais pendant qu’on enregistrait l’album. Le fait d’appeler ça Just Songs ça m’a aussi vachement détendu. Il y a pas de pression, c’est juste des chansons.
La Face B : Il y a pas de grande promesse ?
Richard : Oui voilà, c’est juste des chansons. En disant ça comme ça c’est comme si j’apportais pas d’importance à ce que je fais, mais en fait si. Tu vois chaque morceau veut dire beaucoup pour moi, donc c’est pour ça qu’il a trouvé sa place sur l’album. Mais malgré tout, ouai c’est juste des petites chansons.
La Face B : Tu y as un peu répondu, mais comment ça se passe de revenir sur des titres que t’as déjà composé il y a un moment mais avec un état d’esprit différent ? De réécrire des choses que t’avais déjà écrites ?
Richard : En plus c’est vraiment pas mon fort de faire ça, parce que… En fait je note mes paroles, mais je note pas mes parties guitare. Donc rejouer des vieux morceaux comme ça c’est bizarre parce que j’ai du mal à retrouver comment je faisais le truc. Là j’ai eu de la chance parce que le secret c’est que c’est mon père qui m’a dit « il y a 5 ans à Noël t’avais joué des morceaux et c’était trop bien » au tout début quand j’ai commencé à faire cet album, Just Songs. Il a retrouvé ces vidéos. Je me voyais joué ces deux chansons, c’était Sundays et Losing Ground, et grâce à ça j’ai retrouvé le truc. J’ai pas modifié les paroles, je les ai juste enregistrées 10 ans plus tard.
La Face B : Est-ce que t’as l’impression des fois que ça tient plus de la poésie ce que tu fais, plus que de la chanson ?
Richard : C’est vrai qu’il y a un truc. Je note les paroles, les parties guitare je les note pas. Je compte beaucoup sur la mémoire musculaire, si j’y réfléchis je sais plus. Faire style t’es pas là, t’es pas en train de faire ça, et ça vient tout seul. La poésie ? Ouais, je crois que j’essaie de faire des trucs qui me touchent moi en tout cas. C’est vrai que c’est les paroles que je note, donc peut être …
La Face B : Le fait d’avoir laissé du temps passer, ça les a pas changés, mais il y en a d’autres que t’as peut être repris d’une autre manière ?
Richard : Les autres c’était des morceaux que j’écrivais, en allant sur les 3 dernières années. J’ai pas eu le temps de les oublier. Il y a certains titres que j’ai vraiment écrit pendant qu’on enregistrait l’album. Le titre Waiting on Emma, qui est juste guitare voix, c’était… on avait pris une semaine avec Kenny pour essayer de se dire « allez on construit tout à ce moment là, toutes les bases », et pendant cette semaine là, on a passé la semaine à Dromesnil. C’est là-bas où j’ai écrit ce morceau. Et on s’est dit vas-y on va la mettre, ça fera une chanson guitare voix, j’aime bien qu’il y en ait quand même toujours une, c’est quand même la base du truc.
La Face B : Est-ce qu’il y a un des morceaux qui représente le mieux l’album pour toi ?
Richard : Et bien pas vraiment. Moi j’ai l’impression que chaque chanson de l’album est un peu indissociable de l’album, mais qu’en même temps chaque morceau vit sa propre vie à l’écart des autres. Donc ils ont tous vraiment une importance. Après il y avait un truc nouveau sur celui-ci, c’est juste que j’ai commencé à faire un peu de piano, donc il y a deux morceaux au piano qui ont fini sur l’album.
J’aime beaucoup comment a fini Painting Bones. Et là c’était pareil, c’était une première de faire du banjo. Je crois que c’est le seul truc que je sais jouer au banjo. Avec Kenny on a longuement discuté de comment on allait arranger ce morceau etc, au début ça devait juste être banjo/voix, et au final ça a fini par être le morceau le plus arrangé de l’album. Tel quel, tel qu’il a fini, c’est mon morceau qui me touche bien. C’est marrant parce que je le joue pas en live, parce que je prends pas de banjo avec moi.
La Face B : Donc tu le joueras pas ce soir ?
Richard : Je le jouerai pas ce soir, non. C’est mon morceau de l’album mais je ne le joue pas en live, pour l’instant. J’ai failli prendre mon banjo et je me suis dit, « bon.. deux guitares, un banjo là.. ». C’est pas par flemme, même si on dirait que je viens de dire ça parce que c’était par flemme.
La Face B : Est-ce que tu peux nous parler de la couverture de l’album que t’as dessiné avec un ami à toi, c’est ça ?
Richard : Alors c’est un vieux copain de toujours, qui s’appelle Bertrand Hazard avec qui j’étais au lycée. On faisait de la peinture ensemble, des sculptures, on a fait un peu de musique ensemble aussi. On a fait un projet qui s’appelait Les Nénuphars. Là on a fait les deux clips, celui de A Broken Star et Painting Bones. En fait j’avais une idée bien précise en tête de comment j’imaginais la couverture de l’album et un peu l’esprit de l’artwork. On en a discuté longuement avec Bertrand. Tout est sorti de la tête de Bertrand. Enfin c’est sorti de ma tête, et c’est passé par la sienne, et c’est ressorti comme ça.
Ce qui me plaisait dans ce qu’il a réussi à finir par faire c’est… il y a un côté abstrait, forcément, même si lui il voit ça comme une petite BD. Il voit une boule avec des ailes et une deuxième boule avec des ailes, des petits personnages qui finissent par n’être plus qu’un, et après à être plusieurs. Enfin lui il raconte une histoire là-dedans. On est pas obligés de voir ça. Je trouve que ça allait très bien avec l’idée que j’avais de l’album, qui au final s’appelle Just Songs.
La Face B : Un truc un peu abstrait où lui il voit ça, mais nous on peut l’interpréter différemment ?
Richard : Ouai voilà, et c’est comme les chansons en fait. Moi si tu me poses la question je vais te raconter peut être un truc sur un morceau, mais en soit je pense que tous les titres peuvent être interprétés de plein de façons différentes.
La Face B : Tu es né en Angleterre, mais tu habites depuis ton enfance à Amiens. Est-ce que tu as toujours cultivé cette double culture, et qu’est ce que ça t’apporte dans ta musique ?
Richard : Je suis arrivé en France quand j’avais 4 ans. C’est ma mère qui a cultivé cette double culture chez mon frère et moi. Parce que quand on parlait français à la maison elle nous disait « mais non vous parlez français à l’école, à la maison vous parlez anglais ». Donc la langue de cette façon là. Et aussi, en rapport avec ce qu’ils nous faisaient écouter nos deux parents, on avait la télé anglaise.
J’ai écrit quelques morceaux en français. Je crois qu’il y en a un seul, disponible sur les plateformes. C’est une forme de single qui s’appelle Les Nénuphars qui a rien à voir avec le projet que j’avais fait avec Bertrand à l’époque. C’est juste que j’avais vraiment encore envie de parler de nénuphars. Ça c’était le premier morceau que j’ai écrit au piano je crois. C’est comme ça que j’ai appris le piano, en essayant de trouver comment jouer un truc, et puis ça a fait Les Nénuphars. Forcément ça influence vachement mes chansons et ma façon d’écrire, la double culture. Je pense que le français j’y reviendrai, mais j’avais plus de choses à dire en anglais j’ai l’impression.
La Face B : Ce qui était intéressant c’est que finalement la folk c’est très centré sur l’écriture. Donc le fait que tu maitrises l’anglais en fait tu vois la différence par rapport à certains projets folk français qui vont faire du Google trad limite. Tu vois qu’il y a quand même quelque chose de plus profond dans l’écriture dans ce que tu fais.
Richard : Ouai j’essaie de donner quand même un sens. Après je passe pas forcément énormément de temps sur mes textes. Quand ça vient, ça vient, ça fait des chansons. Et quand ça vient pas, ça devient trois lignes sur un carnet où je tourne la page et puis j’y reviens jamais. Il y a des trucs où des fois je suis revenu sur une phrase, ça a fait une chanson plus tard.
La Face B : Mais tu pourrais faire ça en français, comme tu le fais en anglais ?
Richard : En fait quand je me suis mis au français, c’était comme un exercice au départ. Et je me suis étonné, parce que je pensais que ça allait être difficile. Les Nénuphars c’est venu tout seul. C’est venu sur un ton complétement différent de celui que j’emploie en anglais. C’est pas non plus du second degré ou de la dérision, mais il y a un truc bien plus détendu je crois dans la façon dont j’ai entrepris d’écrire en français. En anglais je suis plus sérieux je pense. Mais après je sais rigoler en anglais aussi …
La Face B : Il y a quand même une énorme place laissée à la spontanéité dans tout ce que tu fais. Peut être limite, c’est pas de la fainéantise, mais ça coule ou ça coule pas en fait.
Richard : Des fois je me force un peu quand même, à essayer de terminer quelque chose. Mais d’expérience ça a pas souvent aboutit à un truc où j’étais super content. Je crois que j’ai juste appris à moins perdre mon temps. Avant je me rappelle… je sais plus qui avait dit ça, si ça se trouve c’était une personne lambda dans la rue, qui disait « quand tu commences à écrire une chanson, faut toujours la finir parce que c’est le processus, même si ça devient pas un truc que tu vas jouer ou que tu vas enregistrer, et bien au moins t’as fini le truc, et tu passes à autre chose ».
Pendant longtemps j’ai fonctionné comme ça, et plus maintenant. Parce que je crois que ça reste quand même une perte de temps. J’aime bien avoir le temps de rien faire. Donc j’aime bien aussi quand je fais un truc que ça aille vite. Comme ça après j’ai le temps de rien faire.
La Face B : Donc il y a des chansons qui ont été écrites très rapidement ?
Richard : Ouai la plupart elles ont été écrites très rapidement. Après c’est les arrangements qui ont pris plus de temps. Moi j’écris la chanson à la guitare et à la voix. Je vais voir Kenny. Lui il a ses idées. Les autres gars, ils ont leurs idées. Raphael Dumont aussi qui a vachement participé à l’album précédent et à celui-ci aussi, parce que c’est lui qui a écrit l’arrangement du quintette à vent, notamment sur celui-ci c’est sur The Weather. Là tu vois par exemple je lui laisse libre cours à son truc. Je sais aussi… comment on dit ? Déléguer.
Après si ça me plait pas, je vais lui dire bah non, et puis gentiment on fait autre chose. Forcément il faut que ça plaise à tout le monde, et que ça me plaise aussi quand même. Mais j’aime bien aussi donner l’occas’. Il y a un mec qui s’appelle Xavier Sibre que je connaissais pas, c’était un copain de Kenny qui habite Paris, qui est flûtiste. Pour le dernier morceau de l’album qui s’appelle There’s An Island, on pensait à de la flûte. Je l’ai rencontré une fois quand il est venu au studio l’enregistrer, et je l’ai toujours pas revu depuis. Mais je suis content, ce qu’il a fait ça tue, et c’est resté sur l’album.
La Face B : Locust Tree Lane c’était le premier album où t’avais travaillé avec d’autres personnes, et sur celui-ci aussi. Est ce que c’était la même expérience ?
Richard : C’était assez similaire. Après Locust Tree Lane c’était la première fois que je bossais avec autant de monde. J’avais fait un album avant ça, juste guitare voix, très folk, plus folk que trad même je dirai. J’avais enregistré ça chez moi tout seul, c’était sorti juste en digital. J’en avais pas parlé plus que ça. C’est en faisant Locust Tree Lane et en rencontrant Kenny, que j’ai rencontré ses potes, que ça a fait ça. Le processus était un peu le même, mais là j’étais plus détendu pour celui-ci.
La Face B : Parce que tu l’avais déjà fait peut être ?
Richard : Ouai, et puis on a bossé avec pas mal de gens avec qui on avait déjà bossé aussi, à part Xavier, dont je parlais pour la flûte sur le dernier morceau. Mais sinon j’ai hâte d’enregistrer la suite. Je pense que j’ai déjà tous les morceaux pour faire le prochain.
La Face B : Est-ce que t’aimerais travailler avec de nouvelles personnes ?
Richard : Je pense que j’ai pas fini ma collaboration avec les gens avec qui je travaille maintenant. Mais à chaque nouvel album, j’espère des nouvelles rencontres.
La Face B : Tu disais que ces morceaux qui sont un peu inachevés c’est un peu comme des plantes à arroser, que t’as toujours en tête, et qui t’apportent un inconfort et un réconfort. Ça m’a beaucoup plus ce double sentiment, cette dualité. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu plus pourquoi c’est à la fois agréable, et désagréable ?
Richard : En fait le confort c’est quand je termine un morceau. Quand un morceau vient tout seul, et qu’il se termine tout seul. J’ai l’impression que c’est même pas moi qui ait participé au truc. Ça c’est le confort, parce qu’après pendant trois semaines je suis sur un petit nuage, je suis content j’ai fini ma chanson. L’inconfort c’est parce que des fois ça se passe pas toujours comme ça. Des fois c’est long et ça n’aboutit pas. D’ailleurs c’est ce que je disais tout à l’heure, maintenant j’ai tendance à abandonner ça pour aller beaucoup plus vite vers un truc qui me vient plus naturellement.
Je sais que là ça fait deux mois que j’ai pas écrit vraiment un morceau, là ça commence à me gratouiller. Ce soir je vais jouer plein de nouveaux morceaux. Quand je joue tout seul j’aime bien, je commence le set avec 4 nouveaux morceaux. Et après je pense qu’à un moment je vais jouer un morceau qui est pas fini aussi, je verrai bien comment il se finit.
La Face B : Tu aimerais aller vers de nouveaux genres musicaux ?
Richard : Je sais pas, j’ai l’impression que ça restera un peu toujours dans ce truc là. Mais à chaque album il y a des nouvelles couleurs, des nouveaux virages, qui sont même pas forcément ma décision à 100%. Parce que tu vois en travaillant avec de nouvelles personnes des fois je suis surpris de l’idée de quelqu’un, et je me dis « bah tiens ça serait pas comme j’imaginais, après trois écoutes je me dis c’est cool, allez on fait comme ça. » J’ai l’impression que c’est ça qui me fait avancer.
La Face B : Il y a un rapport à la nature, que ce soit dans tes vidéos ou dans ta musique qui est hyper important. Je me demandais ce que ça t’apportait justement en tant que musicien, et en terme de ce que ça te bloque d’habiter à Amiens, habiter dans un endroit qui est plus ou moins éloigné de la scène musicale ?
Richard : Alors habiter à Amiens ça me va très bien parce que je peux tout faire à pieds. Après la nature, je sais pas, c’est que c’est authentique. C’est bien un des seuls trucs qui fait pas semblant je pense.
La Face B : Tu as toujours habité à Amiens ?
Richard : Depuis que je suis en France j’ai habité à Amiens oui. J’ai toujours été à la campagne autour d’Amiens. Et Dromesnil, le village où on enregistre les albums, je crois que tu peux pas faire plus perdu. Il y a un panneau pour Dromesnil et c’est celui quand t’arrives. Il y a 89 habitants. Le seul truc relou c’est quand t’enregistres et qu’il y a un tracteur qui passe. Sinon c’est cool.
La Face B : Merci. Comment tu te sens avant le concert de ce soir ?
Richard : Je me sens très bien. Avant je pouvais stresser pas mal avant les concerts. Maintenant j’ai un bon petit stress mais c’est dix secondes avant de monter sur scène, je suis assez serein. Je crois que c’est cet état d’esprit de « c’est juste des petites chansons », ça fait du bien de voir les choses comme ça. Ça enlève tout un stress qui n’est pas nécessaire, et qui fait du mal pour rien. Donc je suis serein. Je suis content d’aller jouer, je suis content d’aller jouer mes nouveaux morceaux pour des gens qui savent même pas que c’est des nouveaux morceaux. C’est cool. Si je peux faire ça toujours, c’est bien.
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