On a rencontré Romain Muller à l’occasion de la sortie de son nouvel album Azur. Avec le Lorrain, on a exploré toutes les facettes de ce nouvel album : l’importance du bleu, le fait de capturer les souvenirs, d’écrire une musique en mouvement mais aussi son rôle de responsable de label et de son rapport à sa région natale.
La Face B : Salut Romain, comment ça va ?
Romain Muller : Merci de poser la question. Ça va pas trop mal globalement. Et en même temps, dire que ça ne va pas, personne ne fait ça. Un jour ça va, un jour non. C’est le cycle de la vie.
LFB : Avant de parler de musique, j’aimerais bien parler de couleur puisque ton album s’appelle Azur. J’ai l’impression que le bleu est une couleur qui t’accompagne énormément et qui, en plus d’être présente dans tout l’album, était déjà un peu présente avant, notamment sur la pochette du précédent.
Romain Muller : C’est vrai, et je ne m’habille qu’en bleu. C’est vrai. C’est marrant que tu me dises ça parce qu’on ne m’a jamais demandé ça. Je m’en rends compte au moment où tu me le dis. Sur cet album-là, particulièrement parce que ça a quasiment été tout écrit pendant les vacances. Je suis un fan absolu de la mer et du grand bleu. C’était quasiment en totalité écrit en bord de mer. Je n’avais vraiment que cette couleur devant les yeux. Tout a été écrit quasiment avec du bleu devant les yeux. C’était le bleu de la mer.
LFB : À un moment dans l’album, tu parles d’écrire des choses et tu remets cette couleur bleue de l’écriture.
Romain Muller : Il y a tout un truc un peu synesthésique où on cherchait un peu un nom de disque comme ça et je me suis dit que ça me faisait penser à du bleu. Mais ce n’est pas forcément conscient. En même temps que tu me poses la question, je me rends compte qu’il y a toujours du bleu, c’est vrai.
LFB : C’est la couleur qui vient à toi.
Romain Muller : Oui c’est bizarre. En plus, si on me pose la question de ma couleur préférée, ce n’est pas ce qui me vient tout de suite.
LFB : J’aime beaucoup la pochette de l’album parce que j’ai l’impression qu’elle capture quelque chose qui représente bien l’album, c’est un peu capturer le souvenir qui s’évapore.
Romain Muller : C’est une bonne interprétation.
LFB : Ça a aussi un rapport très proche, je pense, à ta région d’origine, parce que je pense que la photo a été faite là-bas.
Romain Muller : Exactement.
LFB : Ce sont deux éléments qui sont très présents dans ta musique et dans ce que tu racontes.
Romain Muller : Oui, particulièrement dans ce disque-là. C’était les deux thèmes quasiment dans ce disque. Les souvenirs de ma famille et de ma région et puis les vacances, le ciel bleu et la mer bleue.
LFB : Et cette idée de chaise qui brûle.
Romain Muller : Je viens d’un bled qui s’appelle Épinal. J’étais un peu en banlieue de cette petite ville-là. On avait tous les mêmes jardins. J’habitais un lotissement, c’était que les mêmes maisons et tous les voisins avaient les mêmes chaises de jardin. C’est pour ça que j’avais choisi une chaise comme ça. Après, au niveau symbolique, on peut y voir ce qu’on veut.
LFB : Toi tu y vois quoi ? Dans le fait de brûler cette chaise ?
Romain Muller : Il y a un petit adieu aux souvenirs d’enfance. Peut-être un truc de passer à autre chose. J’étais un peu trop dans la nostalgie à ce moment-là quand j’ai écrit ce disque. Je me suis dit « ok on va effacer par le feu ».
LFB : Je trouve que ça représente aussi l’un des beaux paradoxes de l’album parce qu’il est très en mouvement, mais un mouvement basé sur des choses qui sont figées dans ton esprit.
Romain Muller : C’est vrai.
LFB : C’est une idée qu’on retrouve dans tout l’album.
Romain Muller : C’est pertinent. Tu as des bonnes questions, je suis plus chez le psy là (rires). Tu vois des bonnes choses. Ce n’est pas du tout conscient mais probablement, tu as peut-être raison.
LFB : Le premier titre de l’album parle de quitter la ville. Le dernier parle de danser.
Romain Muller : Le premier, ce n’est pas très explicite mais le sens du premier, c’est plus par rapport à l’enfance, la première fois où on est partis en vacances. Je viens d’un milieu plutôt modeste et on a mis pas mal d’années avant de partir pour la première fois en vacances. C’était un peu l’évènement parce qu’on n’avait jamais vu la mer. C’est grand quoi. En général, tous les ans il fallait choisir entre réparer un truc dans la baraque ou partir en vacances. Et en général, on réparait un truc. Du coup, j’ai repensé un peu à ce sentiment-là, la première fois où on est partis en vacances, cette espèce d’euphorie comme ça. Je ne suis pas allé trop dans le détail, il y a un peu de pudeur aussi là-dedans.
LFB : C’est un peu l’excuse du souvenir tu vois ? Ce que je voulais dire par là, c’est qu’on est toujours sur un mouvement dans le souvenir. Le morceau parle justement du chemin en voiture jusqu’à la mer et sur ce que ça te rappelle en fait. Il y a une idée du rapport au souvenir qui est intéressant, comme si l’album était un peu un album photo que tu exploites.
Romain Muller : C’est exactement ça, tu me l’as enlevé de la bouche. Je ne peux pas l’expliquer plus parce que tu as trouvé.
LFB : Tes morceaux, ce sont les photos magiques dans Harry Potter qui continuent à vivre.
Romain Muller : Il y a de ça. Il y a un truc d’inscrire les trucs un peu dans le temps aussi. Un peu comme des tatouages. Je vois ça comme ça. Quand tu le regardes, c’est un peu une capture d’écran d’instantanés. C’est un Polaroïd du temps qui passe. Ça me permet de passer à autre chose, de l’avoir inscrit et l’avoir fixé dans le temps. Je peux passer à autre chose, c’est là, c’est inscrit. Après, les gens aiment ou non, c’est une autre question. Les gens écoutent ou non, c’est aussi une autre question. En tout cas, c’est là, ça existe. Il y a un côté un peu auto-psychanalyse, tu as raison.
LFB : Dans ton rapport aux souvenirs sur cet album-là, il n’y a pas de nostalgie.
Romain Muller : Je l’avais un peu déjà fait et je ne voulais pas être trop caricatural dans la mélodie ou dans les textes un peu mélancoliques de souvenir. Je ne voulais pas tomber dans la caricature du mec nostalgique parce que ce n’est pas vraiment de la nostalgie. Ce sont des captures d’écrans d’un ressenti à un instant. Là pour le coup, ça parle de souvenirs mais à l’avenir, ça pourrait être plutôt sur le présent.
LFB : Si je te parle de l’absence de nostalgie, c’est aussi parce que quand tu écoutes l’album, tout l’album se joue au présent. Il n’y a pas cette recherche du passé.
Romain Muller : Non.
LFB : C’est vraiment un truc d’instant.
Romain Muller : Ouais c’est ça, il y a une question d’instantané.
LFB : Ça, comment tu l’as écrit ? C’est quelque chose qui t’a surpris ou qui était une volonté dès le départ ?
Romain Muller : Quand j’écris un truc, je n’ai aucune volonté. Je le fais entièrement de manière spontanée. Si j’essaie d’avoir trop de réflexions avant même d’écrire, je n’arrive pas à aller au bout. Je n’arrive jamais à aller au bout de ce que je voudrais faire, d’une idée. Je pense que c’est pareil pour tout le monde. Du coup, je préfère m’attendre à rien plutôt que d’avoir une idée en tête et d’être déçu à la fin. Je préfère faire quelque chose spontanément et ensuite on voit ce que ça donne, ce que ça veut dire. Il y a presque un truc d’écriture automatique.
Même mes musiques, si c’est un truc qui me prend plus de deux heures, j’arrête. Je n’essaie même pas de me dire que je le reprendrai plus tard, je le fous en l’air. De plus en plus. Là, je bosse sur des nouveaux morceaux. Du coup, je n’ai plus du tout envie de faire ça. Je fais complètement autre chose. Je le fais de manière encore plus radicale. Si un morceau me prend plus d’une demi-journée, je le fous en l’air.
Ça m’arrive de regretter parfois. Je me souviens de trucs parfois et je me dis que ce n’était pas si mal. Je vais fouiner dans la poubelle de l’ordi et je me rends compte que c’est trop tard. C’est vrai que c’est déjà arrivé d’avoir quelques regrets comme ça mais tant pis. Je me rends compte qu’en plus, les morceaux qui marchent pas trop mal, ce sont les plus spontanés. C’est pour ça que je finis par ne faire plus que ça parce que finalement, tout ceux que j’ai bossés et où je me suis fait des poils blancs dessus, ils ne marchent jamais.
LFB : Il y a encore cette idée de capturer un instant et une espèce d’effluve.
Romain Muller : Ouais, c’est vraiment la démarche de ce que j’essaie de faire. Ça tu peux moins le faire en concert. Pour le coup, tu peux moins l’adapter en live, tu peux moins avoir ce côté totalement spontané parce que ça demanderait un travail de son et tout. Ça s’envisage différemment.
LFB : Oui ou alors il faut faire de la musique comme Jacques.
Romain Muller : Ouais voilà. Il faut vraiment être sur de l’impro. Peut-être que dans dix ans je ferais de l’impro du coup mais je ne suis pas encore prêt. Je suis trop angoissé.
LFB : C’est compliqué, il faut aussi ne pas avoir peur du bide. Tu parles de spontanéité. Il y a quand un même un liant assez important entre les morceaux. Est-ce que c’est quelque chose qui t’a surpris ? Est-ce que ça a trait aux lieux où tu as composé ? Comment tu t’es retrouvé avec le recul à voir que tous ces morceaux se répondaient plus ou moins ?
Romain Muller : Je pense que tu peux faire par analogie, regarder le travail d’un peintre. Effectivement, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui se rapproche. Un peintre va dans sa peinture, il y va comme un bourrin et au bout d’un moment, tu te recules et tu regardes à quoi ça ressemble et tu vois que finalement, il y a des fois une cohérence qui se fait involontairement.
Je pense qu’il y a un truc comme ça qui est au fond de toi et qui fait ça. Il y a peut-être une logique qui se fait toute seule, je n’en sais rien. Mais il n’y a pas cette volonté en tout cas, c’est ça qui est amusant. C’est pour ça que j’essaierai maintenant de faire des morceaux le plus rapidement possible et de faire des disques le plus rapidement possible. Et de voir après en prenant un petit peu de recul s’il y a une cohérence sans chercher à ce qu’il y en ait une. C’est difficile à expliquer et à mettre des mots là-dessus. On ne me pose jamais ces questions-là en interview donc ça me fait plaisir que tu le fasses.
LFB : Ce qu’il y a d’intéressant aussi, c’est que le corpus textuel est très cohérent mais en même temps, chaque morceau musicalement a une identité qui lui est propre et qui est très différente.
Romain Muller : C’est vrai que c’est un peu mon problème, je peux partir dans tous les sens.
LFB : Pour moi, c’est une qualité. On reste dans cette idée de souvenirs. Comme si chaque morceau avait été fait à une heure différente, tu n’as pas la même lumière du soleil, ce n’est pas la même ambiance.
Romain Muller : Ouais, c’est ça. C’est vrai que j’ai vite tendance à partir dans tous les sens mais à la fin, c’est vrai que je retombe sur mes pattes. Un peu comme les chats. Il arrive à un moment où je prends un peu de recul et finalement, il y a une sorte de cohérence dans tout ça. Ce qui pourrait ressembler à un gros merdier à la base. C’est un vrai bordel quand tu regardes mes trucs quand je fais un disque. Tu passes d’un morceau à l’autre, si tu n’as pas encore fait les textes ou la voix, tu te demandes comment tu peux trouver un liant à tout ça. Il ne faut pas le chercher, il vient tout seul. Tu as raison. Après, ça dépend aussi de l’heure, de l’endroit, du moment où c’est écrit. Paradoxalement, c’est vrai que ce sont toujours des moments où ça ne va pas trop où j’ai tendance à faire des morceaux un peu punchy et inversement quand je suis content, j’ai tendance à faire des morceaux hyper mélancoliques. J’ai du mal à comprendre pourquoi je fais ça.
LFB : Il y a un élément qui est important pour moi dans l’album, c’est la basse. Tu parles de morceaux plus punchy et d’autres plus mélancoliques. Si tu regardes dans l’album les morceaux les plus mélancoliques, la basse est beaucoup plus discrète. Elle est présente mais limite, tu ne l’entends pas en fait. Je trouve ça hyper intéressant. La basse, c’est ce qui donne le rythme.
Romain Muller : Ouais, mais la basse demande beaucoup de fréquences. Ça en demande tellement que si tu veux qu’on comprenne ce que tu dis, ce n’est pas évident quand tu fais de la chanson. Si tu as bien envie que les paroles soient bien distinctes, le mieux c’est d’enlever un petit peu de basse. C’est volontaire. Sur mes chansons pures, je mets volontairement moins de basse. On comprend un peu mieux le texte.
LFB : Est-ce qu’il n’y a pas justement cette espèce de défi particulier à englober tout un spectre ? Pour moi, il y a des chansons très chanson française et tu as des morceaux où tu as plus des influences de Air ou des Daft Punk sur certains trucs.
Romain Muller : C’est vrai. Ça correspond aussi à une période où j’ai écouté pas mal de trucs un peu French Touch. C’est toute une période que j’ai complètement zappée. L’époque où c’était au max de la hype. Même récemment, je me suis plongé dans des trucs que je n’écoute pas du tout à la base, dont Justice, et finalement j’ai redécouvert. J’avais fermé la porte un peu trop vite, je trouve qu’il y a plein de trucs hyper intéressants. Je ne me ferme à rien. Je ne m’interdis pas d’avoir ces influences. Aujourd’hui, ça peut paraître complètement ringard. Je m’en veux parce que des groupes comme Air, à l’époque, je ne me rendais pas trop compte. Je m’en voulais un peu de ne pas avoir plus creusé ça. Je l’ai fait très tardivement et je me suis rendu compte qu’il y avait plein de trucs géniaux.
LFB : Ça rend des sonorités de synthé hyper intéressantes. Sur l’album, il y a des morceaux où on est sur des trucs beaucoup plus atmosphériques et d’autres plus dansants.
Romain Muller : C’est vrai. Autant sur les prochains trucs que je fais, c’est vrai que ça n’a plus rien à voir. Je passe d’un truc à l’autre. Ça n’a plus du tout ces sonorités-là. Je passe d’une lubie à l’autre.
LFB : C’est peut-être ce qui est intéressant dans la création : laisser l’existence influencer les choses aussi.
Romain Muller : Comme beaucoup, je n’aime pas trop l’idée de faire tout le temps la même chose. C’est super ennuyant. Il y en a qui arrivent à se tenir vraiment à un genre et tout, je ne sais pas comment ils font. Moi ça me fait chier. Arrivé à un moment, tu as envie d’explorer d’autres choses, quitte à prendre des risques. De toute façon, des risques on n’en prend pas parce qu’on n’est pas des vedettes. À partir du moment où tu n’as pas une pression de l’industrie musicale derrière toi, avec des zéniths à remplir, franchement tu peux y aller, vas-y. Quand même bien, tu remplis des zéniths, il faut prendre ce risque-là franchement. En France particulièrement, c’est ce que je reproche beaucoup, dès que quelqu’un essaie de prendre un virage et de faire quelque chose, il ou elle en prend plein la gueule. Je trouve ça dommage. Il y a des bons exemples d’artistes comme ça qui ont essayé des choses différentes. Ok, ça marche ou ça ne marche pas mais au moins tu as ce mérite de dire que tu ne stagnes pas sur un genre où il y a un filon à tenir où tu vas faire la même chanson toute ta vie parce que tu sais que ça fonctionne.
LFB : Il y a des gens qui prennent des risques. Flavien Berger par exemple, ou Philippe Katerine.
Romain Muller : Flavien Berger, c’est l’une des carrières que je respecte le plus. Alors Philippe Katerine, plus populaire après.
LFB : Pour parler de morceaux, il y en a un qui est pour moi ultra important dans l’album, c’est Vent d’est.
Romain Muller : Ce morceau, j’ai l’impression que tout le monde ne me parle que de celui-là. Je crois qu’il a son petit truc. Il a été fait en deux heures montre en main. Écrit, composé, et tout. La petite histoire, c’est que je devais aller le weekend dans ma famille dans les Vosges. Ça faisait super longtemps que je n’y étais pas allé. Comme un connard, je m’étais pris une cuite la veille mais monumentale. Un truc vraiment honteux. Tout ce qui ne fallait pas faire. Le demain, j’étais vraiment en redescente et je m’en voulais à mort parce que je n’ai pas pu aller à ce truc de famille. Ma mère était super contente que je vienne et la seule raison pour laquelle je n’y suis pas allé, c’était parce que j’étais en gueule de bois. Du coup, je me suis senti trop mal et je me suis dit que j’essaierais de faire un petit morceau d’excuse. Un truc d’expiation. En me disant que je ferai un truc clin d’oeil à mon petit coin. Ce morceau parle précisément d’un lieu qui n’est pas très loin de la pochette, un village qui s’appelle Archettes près d’Épinal. C’est une petite plage. C’est marrant, c’est une plage de sable fin. C’est un lieu magnifique. Il faut vraiment connaître le coin. J’ai pensé à ce coin-là et je savais que ça ferait plaisir à ma mère.
LFB : Même si ce n’est pas voulu et même si tu partages cette idée avec Josy Bazar de cartographier les souvenirs à travers les lieux aussi.
Romain Muller : Avec Gaël, on s’est bien trouvés avec ça. On le fait de manière très différente. On a ce truc-là en commun. On vient du même coin. On ne l’exprime pas de la même façon.
LFB : Le rapport régional est hyper important dans votre musique malgré tout.
Romain Muller : C’est vrai. Ça franchement je ne sais pas comment te l’expliquer. Quand tu viens de là-bas, tu n’as qu’une envie quand tu es ado, c’est de te casser. Tu as la grande ville Nancy à côté, tu vois les autres qui partent à Paris. Et en grandissant un petit peu et en prenant un peu de bouteille, tu te rends compte qu’en fait, c’est chouette. Les gens sont chouettes. Il y a aussi des belles choses à faire, des belles personnes à rencontrer. Effectivement, tu ne vas pas aller là-bas pour la culture. Il faut le dire. Il y a encore des énormes lacunes à ce niveau-là. Ça va mieux.
J’en connais pas mal qui viennent d’autres bleds mais qui n’assument pas du tout. Ça m’énerve vraiment. Tu as le droit après. Je ne vais pas refaire ça dix fois. J’en ai pas mal parlé dans l’album là, après je parlerai d’autres choses.
LFB : Tu parlais tout à l’heure de faire des choses très différentes aussi. La liberté vient aussi du fait que tu aies créé ton propre label. Quand tu as un label indépendant en même temps, qu’est-ce que ça t’apporte et qu’est-ce que ça te met comme contrainte et comme défi ?
Romain Muller : Aujourd’hui le label prend beaucoup plus de temps que mon taff d’artiste. C’est une bonne grosse partie de ma vie, à Mélodie et moi du coup. Ça nous dépasse un petit peu en ce moment d’ailleurs. On se pose pas mal de questions parce que ça devient trop compliqué à gérer parce que les artistes se développent, avancent et on s’est déchirés pour ça parce que ce sont des projets dans lesquels on croit à fond.
Ce sont d’abord des humains. C’est vrai que là c’est presque un problème de riche mais on se dit qu’effectivement, il faut qu’on embauche des gens. On ne va pas y arriver sinon. Même si on a Tiffaine qui nous aide pas mal aussi. Elle est aussi ma manageuse. Elle nous aide pas mal avec le label, donc on est trois. Mais ça ne suffit pas. On ne se rendait pas compte que ça serait autant de boulot quand on a commencé cette petite aventure.
C’était d’abord un truc de potes. Finalement, dès qu’il y a des questions de subventions et tout, ça implique du suivi, des réunions,… Ça me passionne de plus en plus. Je crois que c’est un truc où j’ai de plus en plus envie de mettre l’accent. Ce n’est pas le même plaisir, c’est un plaisir différent mais j’ai découvert ce plaisir de ne pas être concentré que sur soi, sur sa pratique. D’être aussi content pour les autres.
Je sais que quand Gael fait un concert important, j’ai plus le trac que pour mes propres trucs. Je suis pétrifié parce que ça me tient vraiment à coeur et j’ai envie que ça marche pour eux. Après vu les styles qu’on défend, on sait très bien que ce ne sont pas des musiques qui sont destinées à être ultra médiatisées ou ultra mises en avant.
LFB : Tu t’es retrouvé dans Emily in Paris.
Romain Muller : Ouais, mais ça c’est aussi parfois le coup de chance. On a chacun nos petits coups de bol de temps en temps. En tout cas, l’objectif n’est pas là. Ce n’est pas de remplir des zéniths à tout prix. L’objectif, c’est déjà qu’on arrive tous à en vivre. C’est con mais quand tu es musicien et que tu as le cul entre deux chaises, déjà payer son loyer avec ça, c’est cool.
LFB : C’est ça qui est intéressant aussi. Tu as peut-être une vision moins de patron de label.
Romain Muller : Sur le label, il y a certains aspects qu’on ne gère pas. Qu’on n’a pas envie de gérer, par exemple l’aspect distribution. Je suis chez Alter K en distribution. On veut vraiment garder cet aspect édition phonographique. De plus en plus, on est aussi manageur. Gael par exemple. On n’est pas officiellement manageur mais il m’appelle tous les deux jours pour me demander mon avis. C’est un truc presque au quotidien. C’est ça aussi l’avantage qu’on ne soit pas trop nombreux. On a nos doutes et parfois ça permet de dire « passe à la maison, viens boire un café ». Ça nous arrive parfois, tu as envie de pleurer, c’est la vie, ça ne va pas. Pour la musique ou pour d’autres choses. On est là les uns pour les autres.
LFB : Il y a ce côté humain justement.
Romain Muller : Ouais c’est pour ça qu’on ne veut pas être trop nombreux. Le jour où on le sera, on ne pourra plus le faire. Là, je pense qu’on va rajouter peut-être un ou deux artistes, on sera sept et ça suffira je pense.
LFB : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter avec cet album ? Jusqu’où tu as envie de l’amener ?
Romain Muller : Je fais partie de ceux où dès que j’ai fini un truc, je suis déjà complètement parti sur autre chose. Surtout celui-là qui a été écrit il y a super longtemps. Donc au moment où il sort, pour moi c’est déjà une vieillerie. C’est déjà totalement obsolète. Donc oui totalement j’ai envie de faire des concerts, plein de trucs. Là on joue ce soir, je suis super content. J’ai envie de faire un peu plus de concerts qu’avant. Avant, je n’étais pas trop fan. Je n’ai jamais eu envie de faire des grosses tournées, ce n’est pas trop mon kiffe. Mais là, je crois que j’ai envie de jouer un peu plus. C’est vrai qu’à partir du moment où l’album est fini, masterisé et prêt à sortir, pour moi c’est déjà derrière. Après, ce qu’il se passe derrière, ça ne m’intéresse presque plus. Évidemment, on préfère quand ça marche bien, c’est certain.
LFB : Je pense que c’est un album qui peut attirer les gens.
Romain Muller : Il est particulier quand même.
LFB : Oui mais tu es proche d’un album comme celui de Malik Djoudi qui est sorti récemment, au niveau sonorités et ambiances.
Romain Muller : J’aime bien son dernier album.
LFB : Pas en termes d’identité ou d’histoires mais en termes de musicalité.
Romain Muller : C’est vrai que tout à l’heure, tu parlais de Flavien Berger. C’est vraiment le type de carrière qui m’intéresse le plus. Ce genre de parcours où tu n’es pas une grosse star, mais tu arrives quand même à remplir des petites et grandes salles partout en France. Le mec est totalement intègre et fait totalement ce qu’il veut. Il est resté sur le même label alors que je pense que les propositions, il a dû en avoir. Je trouve que ce type de carrière-là, c’est génial parce que tu n’es pas tributaire de la mode. C’est tout le problème ça. C’est pour ça que je n’ai jamais voulu être à la mode parce que ça veut forcément dire que tu vas être démodé. C’est le principe de la mode, donc il vaut mieux ne pas être trop à la mode. C’est bien comme ça. Ou même un mec comme Bertrand Belin, c’est un niveau au-dessus mais lui par contre le niveau du dessus, il ne l’a pas trouvé tout de suite. Ça fait vraiment des années.
C’est un peu le lot des gars comme nous. À s’entêter à vouloir faire comme on a envie, forcément ça prend plus de temps. Il faut aussi tomber sur les gens qui savent comprendre ce que tu fais et qui savent prendre un peu des risques. En France, c’est de moins en moins le cas. Là, je parle plus en tant que label. De plus en plus, je vois des pros qui ne veulent pas se mouiller. Il y a de plus en plus ce truc de suiveur.
LFB : Est-ce que tu as des coups de coeur culturels récents ?
Romain Muller : J’ai adoré, et d’ailleurs on l’invite pour notre prochaine soirée d’anniversaire de label, Nerlov. C’est l’un de mes derniers coups de cœur. J’ai adoré. Il y a tout ce que j’aime dans ce qu’il fait. Ça fait longtemps que je n’avais pas eu ce truc-là. J’ai écouté un titre, je l’ai réécouté, réécouté. Je pense qu’il me doit pas mal de streams.
Crédit Photos : Rémi Sourice