Quatre ans séparent De Pelicula et Faded, le nouvel album de The Limiñanas paru en février. Pourtant Lionel et Marie n’ont pas chômé. Beaucoup de bandes originales et un album pour Brigitte Fontaine plus tard, les voilà donc de retour. Alors que la tournée démarrera la semaine prochaine, on a longuement échangé avec le duo. On a parlé de musique, de cinéma, de refuser les dogmes du rock, de collaborations et de leur refus de la nostalgie.

La Face B : Bonjour à vous deux, comment allez vous ?
Lionel : Ça va, écoute. On est un peu explosé, mais ça va.
LFB : On en parlait un peu avant, De Pelicula a déjà quatre ans.
Marie : C’est fou.
LFB : Entre-temps, vous avez énormément composé pour le cinéma, pour des séries, tout ça. Je me demandais ce que cette expérience, qui est quand même différente, vous a apporté, en tant que musicien et même sur un album comme celui-là ?
Lionel : Déjà, c’est un rêve de môme, parce qu’on aime beaucoup la musique de film, depuis toujours, et beaucoup le cinéma. Et ça a toujours été une influence forte pour nous. On n’a jamais envisagé de faire vraiment de la musique de film régulièrement. C’est arrivé avec Le Bel Eté, avec Pierre Creton et avec Olivier Mégaton il y a quelques années. Mais ce qui est super cool, c’est que du coup, grâce à eux deux, on a rencontré David Menke , avec qui on bosse tout le temps sur les musiques de films. Et en plus, on a eu d’autres propositions. C’est un peu comme tout, petit à petit. On a eu des propositions pour bosser sur du documentaire sur Arte, sur des sujets qui nous ont intéressés. Il y avait le documentaire de Guillaume Prodovnik sur Thatcher.
Des projets qui étaient vachement intéressants. Et ça ne s’est jamais vraiment arrêté. Tout ça s’est mélangé. Ce que tu dis, c’est vrai. C’est au niveau de l’influence que ça a pu avoir sur Faded. En gros, par exemple, le disque a été enregistré l’année dernière. Et dans le studio, Marie, elle intervenait par exemple sur des batteries… On travaillait sur trois films en même temps, avec David et Marie, et sur l’album de Brigitte Fontaine. Et puis moi, au milieu, on maquettait des trucs pour Faded. Et l’album, il avançait au fur et à mesure dans l’année, comme ça.
Marie : C’est un apprentissage aussi. Au fur et à mesure, tu apprends.
Lionel : Oui, tu apprends à utiliser d’autres instruments. Tout ça s’est mélangé et du coup ça s’en ressent sur la prod’ de Faded parce qu’il y a beaucoup d’instruments qu’on utilisait aussi sur les B.O. de film. La grosse différence avec une musique de film c’est que quand on fait un disque des Limiñanas avec Marie, ça ne nous concerne que tous les deux. Et ça n’a des conséquences que sur notre boulot et notre vie à tous les deux. Alors que quand un producteur ou un réalisateur te contacte pour une musique de film, ce n’est pas la même, parce que ce n’est pas du tout ton bébé. C’est le sien, et du coup, il faut arriver à ce que d’abord, humainement, ça matche, et qu’ensuite, sur ce que toi, tu vas proposer, comment dire… En fait, une musique de film, ça peut vraiment foutre en l’air un film, quoi. Clairement. Ou ça peut lui faire du bien aussi. Mais c’est très délicat, cet espèce d’équilibre à trouver pour que tu proposes une musique dont tu sois fier, mais qui en même temps corresponde à l’idée que le réalisateur a de son film. C’est un exercice qui n’a rien à voir et qui est vraiment intéressant. Et moi, ça m’a fait progresser sur plein de trucs.
LFB : Il y a ça et je trouve que l’idée même de l’album est aussi hyper cinématographique parce que que ce soit le titre de l’album ou la pochette, ou même cette idée d’avoir une trame, même si elle n’est pas explicitée tout au long de l’album, il y a quand même une trame et une idée fixe qui se répercutent d’une chanson à l’autre.
Lionel : C’est vrai. C’est une façon de faire qu’on a depuis un peu le début. Sauf qu’on n’en parlait jamais. Mais tu vois, sur les premiers disques, souvent, c’était des histoires familiales. On a toujours eu une espèce de fil conducteur comme ça, parce qu’on n’arrivait pas à envisager de faire un album comme une série de tracks qui auraient pu être des singles qu’on regroupait sur un disque. Ça on l’a fait aussi avec les deux compiles I’ve Got Trouble In Mind qui sont sorties il y a quelques années. C’était en gros le regroupement des collabs qu’on avait faites à droite à gauche, des singles, des plans comme ça, des disques un peu durs à trouver. Mais quand on décide de faire un album pour nous, il faut que globalement ça raconte quelque chose.
Marie : Et ça nous aide ce fil conducteur.
Lionel : Oui ça nous aide à avancer aussi, c’est sûr. Et du coup, dans ce cas précis, au fur et à mesure qu’on bossait sur des B.O., c’est devenu peut-être de plus en plus cinématographique, mais on ne s’en est pas vraiment rendu compte en enregistrant. Ça s’est fait dans cette année, l’année dernière, qui était vraiment une année qu’on a passé en studio à bosser sur plein de trucs en même temps.
LFB : Du coup, tout se nourrit.
Lionel : Ouais, ça reste un petit studio avec un instrumentarium commun et des nouveaux jouets, etc. Et du coup, il y a plein de trucs qu’on a appris à utiliser sur les B.O. qu’après, moi, j’ai refoutu aussi sur des tracks qu’on a fait pour Brigitte et sur nos propres morceaux.
LFB : Et du coup, ce qu’il y a d’intéressant, aussi bien thématiquement que musicalement, pour moi, cet album, c’est un peu un kaléidoscope. C’est-à-dire que c’est les mêmes idées, les mêmes instruments, mais quand tu secoues, tu as une image différente à chaque titre.
Lionel : Ça, c’est cool. Si ça te fait ça, c’est super. Ce n’est pas compliqué, on a d’abord enregistré la musique. Presque toute la musique, je pense que 90% du disque était fait, qu’on a maquetté, et ensuite on s’est dit à qui est-ce qu’on pourrait… On avait imaginé la pochette, on ne l’a pas faite, mais on avait imaginé une pochette d’un album qui s’ouvrait, un gatefold comme ça, avec des médaillons, avec la tête des invités, comme sur les B.O. de films des années 70 où tu avais sur les grands films catastrophe et tout, tu avais souvent les médaillons des acteurs.
On avait imaginé un truc comme ça. Et tous les gens qu’on a contactés, c’est que des gens dont on admirait le boulot, qu’on connaissait déjà, ou les deux. On leur a juste dit : voilà, on va parler des stars déchues, des actrices oubliées, et de la cruauté de cette époque, et de cette façon qu’avaient les producteurs, d’abandonner. En gros, c’est ce que tu vas retrouver un peu dans The substance aujourd’hui, c’est pratiquement cette histoire-là aussi. Et on est parti de cela, de ces trois lignes-là, on a écrit la même chose à Bertrand Belin, à Bobby Gillespie, à tous les gens qui sont intervenus sur le disque et c’est devenu des capsules comme ça. Et avec par exemple la vision new-yorkaise de John Spencer qui va être plus vénère et plus psycho que celle d’un français ou la vision anglaise de Bobby.

LFB : Même musicalement, je trouve que c’est un album qui joue de ça et qui explore aussi beaucoup de styles musicaux différents. Il y a vraiment cette idée de diversité. Là où De Pelicula était quand même un album très centré par la collaboration, je trouve que là il y a une volonté de variété aussi dans la musique.
Lionel : En fait c’est un double album. On réfléchit toujours en termes de vinyles. Et le premier vinyle, si c’était un film, ce serait les chansons du film en gros. Et la seconde partie est plus soundtrack et part plus vers une espèce de psychédélisme un peu tordu, enfin voilà, un truc un peu plus enlevé.
LFB : Il n’y a presque que vous au chant sur la deuxième partie.
Lionel : Ouais, c’est ça. Et on s’est beaucoup questionné sur la manière d’organiser le track-listing et de monter le disque. Ce qui est toujours la période la plus risquée je trouve. Parce qu’en fait, trouver de la matière pour nourrir un disque, on y arrive à chaque fois. Et je touche du bois. Par contre, comme le montage d’un film peut bousiller un film, le tracklisting, c’est vraiment la même chose. C’est vraiment le truc sur lequel on passe du temps à chaque fois. On se pose des questions, quoi.
Marie : Déjà, parce qu’au départ, on a beaucoup plus de morceaux. On les écoute, on les écoute. Jusqu’à ce qu’on tombe d’accord sur le bon nombre de morceaux et ensuite après c’est l’ordre dans lequel on va mettre le truc qui est aussi difficile.
Lionel : C’est ça qui est primordial.
LFB : Tu parles de rêve parce que je trouve que le rêve et l’onirisme, c’est un élément qui est hyper important dans cet album-là. Même dans la couleur musicale ou dans la façon dont c’est interprété. Tu sais, des moments, même dans le cinéma, où tu ne sais pas si tu es dans un rêve ou dans un cauchemar. Je trouve que l’album navigue beaucoup là-dessus.
Lionel :Ah c’est cool. Ouais, je suis d’accord avec toi. Il y a cette idée-là, en tout cas. C’est aussi un truc sur la disparition, sur les fantômes, sur le deuil, ça s’est mélangé. C’était lié à ce qu’on vivait à l’époque, aussi. Et c’était lié à la quantité industrielle de films qu’on a regardé constamment depuis un an, un an et demi. Et tout s’est mélangé, en fait. L’idée, c’était aussi de ne rien se refuser. C’est-à-dire que quand on a fait ce disque-là, on a mis tout ce qu’on avait dedans à l’époque où on l’a fait. Et il y a des choses qu’on a expliquées, d’autres qu’on a moins expliquées. Mais c’était intéressant pour nous en tout cas de travailler sur cette mélancolie. Le disque a l’air d’être pop à la base, mais il est plutôt plus noir que les précédents finalement.
LFB : C’est marrant parce que c’est vrai que quand on l’écoute, on a l’impression d’avoir un album qui est très apaisé. Mais quand on creuse un peu et quand on regarde les paroles c’est vrai qu’il y a une noirceur qui ressort énormément.
Lionel : Ouais, c’est vrai, c’est ça. C’est tout à fait le cas.
LFB : Et justement, ça, ça vous intéresse ? Déjà, il y a une évolution musicale. J’ai l’impression qu’il y a quand même une recherche dans les albums de ne pas avoir de redites alors que vous êtes quand même dans un genre qui est très codifié.
Lionel : C’est le plus dur en fait. C’est l’une des raisons pour lesquelles on convoque aussi beaucoup de monde quand on fait les disques. En fait, on n’avait aucune raison, qu’elle soit financière ou autre, de faire un dernier album pour continuer d’exister ou quoi. On pouvait vivre autrement, ça ce n’est pas le souci. Si on fait des disques, c’est vraiment pour le plaisir d’abord de travailler dessus, puis de les avoir, puis de recevoir les cartons de vinyles. Enfin nous ce sont des vieux blocages, ce sont des trucs de vieux, mais on continue à être excités à l’idée de recevoir les albums à la maison, etc.
De produire un objet, en fait. Et après, évidemment, le retour des gens, c’est… Nous, on est toujours très étonnés de tout l’amour que ça génère souvent derrière. Et des retours qu’on a. Mais en gros, il n’était pas question de faire un énième album avec des top covers que de nous deux et de rester sur un truc qui fonctionnait. Ça ne nous intéressait pas du tout. C’est souvent ce qu’on se dit. En fait, il n’y a aucune raison qu’il n’y ait que dans le hip-hop ou dans le jazz ou dans ce genre de style de musique. Ça ne choque personne qu’un artiste de jazz, par exemple, convoque plein de gens sur ses disques. C’est pareil dans le hip-hop, c’est même devenu une espèce de règle. Et dans le rock ça se fait assez peu, parce que j’imagine que peut-être que les gens ont peur d’y laisser l’âme du groupe, ou le son du groupe, ou un truc dans le genre, mais moi je trouve que c’est pas du tout ça, au contraire.
Marie : Pour nous c’est un cadeau, parce que tu redécouvres le morceau en fait, une fois que tu l’as envoyé d’une certaine façon. Et hop il te revient, changé, et ce sont des surprises à chaque fois, c’est chouette.
Lionel : Et c’est excitant parce que c’est aussi une prise de risque. C’est un peu comme sur les BO. Quand tu confies le bébé à quelqu’un, on est toujours hyper curieux de savoir ce que ça va donner, et t’as toujours derrière la tête cette espèce de flippe aussi, la peur de ne pas aimer. Et en fait, jusqu’à présent, ce n’est jamais arrivé.
LFB : Il y a un côté très, justement, musique électronique ou hip-hop dans cette idée de collaboration. Je me demandais comment ça fonctionnait. Vous enregistrez toute la musique d’abord et vous envoyez ?
Lionel : Ouais. En fait, si tu veux, c’est ce qu’on aurait fait si on avait dû écrire les tracks nous-mêmes. C’est de toute façon ce qu’on aurait fait. On a toujours fait la musique d’abord, on est rarement, même jamais, je crois, partie des textes. Et après, on écrivait les textes. Et là, on a fait exactement la même chose, sauf que c’est comme si on avait produit un artiste de hip-hop qui aurait invité tous les gens dont il est fan ou tous les gens avec lesquels il a envie de bosser. Et pour nous c’est aussi lié à leur personnalité, c’est-à-dire qu’on a vraiment distribué la musique en se disant que ça allait être la bonne personne pour ce morceau-là. Comme si tu avais écrit un rôle, c’est un peu la même chose.
LFB : On reste sur un truc très cinématographique. Mais c’est marrant parce que je trouve qu’il y a quand même une volonté de surprise parce que le morceau par exemple avec Anna de Juniore, je trouve que musicalement, il y a des morceaux qui ressemblent plus à du Juniore sur l’album que celui-là.
Lionel : C’est cool. C’est un peu comme quand tu fais une reprise. Quand on a fait Louis-Louis, le premier réflexe, le premier truc qui te vient quand tu joues de la guitare électrique, c’est de faire une version super sauvage. Mais en fait, il y a tellement de gens qui l’ont fait mieux que toi avant. La version des Sonics, c’est tellement sauvage et dément ou même la version des de Black Flag ou celle des Stooges, c’est vraiment une erreur d’aller dans le sens du vent. Par contre, ce qui est intéressant dans l’interprétation, c’est d’aller un peu ailleurs. Et oui, je suis d’accord avec toi. On a pensé à des gens pour interpréter des titres, mais pas forcément en leur proposant quelque chose qui était dans leur couleur musicale.
LFB : Oui, pareil, Rover, moi j’étais super surpris du morceau, je n’attendais pas à voir Rover sur un morceau comme ça par exemple.
Lionel : Oui, nous on adore sa voix.
LFB : De même je trouve le morceau avec Bertrand Belin très orienté sur la batterie. Il y a ce truc aussi à chaque fois de permettre aux artistes de s’exprimer autrement que ce qu’on attend chez eux en fait.
Lionel : Il n’y aurait vraiment aucun intérêt à essayer de composer un truc qui soit complètement dans leur zone. On n’aurait jamais pensé à faire un truc pareil.
LFB : Mais c’est intéressant parce qu’il y a ce côté un peu ludique aussi. On peut toujours chercher à s’amuser dans la musique.
Lionel : Oui, c’est absolument nécessaire. Le plaisir c’est la base du truc, ça c’est sûr. Mais pour le live c’est pareil. Moi franchement, s’il n’y avait pas de plaisir sur les concerts, je n’en ferais plus. Le seul truc dans ce qu’on fait, les seuls moments qui sont compliqués depuis le début, ce sont les moments où tu pars de chez toi, parce que nous on a un gamin.
Quand tu fais de la musique, le plus compliqué, c’est ça, mais après, ça n’a rien d’un métier compliqué ou dur. La musique, c’est beaucoup de boulot pour obtenir ce truc de plaisir-là qui est absolu parce que tu ne vas le ressentir avec rien d’autre. Ni aucune drogue, ni l’alcool, le sexe ou que sais-je. Il n’y a rien en fait qui arrive à procurer la même sensation que tu peux avoir sur une scène si à un moment donné, tu t’es libéré de ton track et tu prends du plaisir.
Ce plaisir-là, il est vraiment unique. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles tu as des mecs qui n’arrivent jamais à lâcher l’affaire et qui vont continuer à tourner coûte que coûte, quelles que soient les conditions. Des mauvaises langues disent que c’est le blé, mais c’est souvent pas le blé. Moi, je crois que la vraie motivation… Pour revenir à l’actualité du moment, si un mec comme Dylan continue, j’imagine que c’est parce qu’il cherche quelque chose sur les scènes qui sont complètement absentes ailleurs.
Marie : Ou The Cure.
Lionel : C’est la même chose. C’est très particulier ce truc-là, ce plaisir-là. Et faire un disque ça doit être ça aussi. Tu as des périodes d’angoisse, des périodes de doute. Tu as des périodes qui font mal au bide, mais… Je ne sais pas, à chaque fois qu’on bosse ensemble, quand on bosse avec Pascal et tout, quand on est tous les trois au studio, c’est des vrais pures moments de plaisir. C’est vraiment ça la réelle motivation du truc.

LFB : Et justement, avec le temps, et depuis à peu près Shadow People, est-ce que vous avez l’impression que la reconnaissance et la notoriété que vous pouvez avoir, vous donne aussi des opportunités de collaboration que vous n’auriez pas eues avant ?
Lionel :Je n’en sais rien. Peut-être.
Marie : Déjà, on n’arrive pas trop à réaliser.
Lionel : Non, on ne se rend pas vraiment compte de ça. Parce qu’en fait, nous on vit au village, on est resté chez nous.
Marie : On n’a même pas l’idée que les gens puissent écouter notre disque, enfin je sais pas.
LFB : C’est intéressant parce que vous avez eu Peter Hook, vous avez là, quand même il y a encore des espèces de personnes un peu légendaires là. Est-ce qu’il y a des gens, des rêves que vous aimeriez avoir, ou à qui vous n’osez pas proposer par exemple ?
Lionel : Bien sûr. On adorerait bosser avec Iggy Pop. C’était dans les tuyaux, et en fait il continue de passer des tracks à nous à la radio et tout. C’est quelqu’un qui nous a toujours aidés, dont on est absolument fans depuis toujours. Donc oui évidemment. Je n’aimerais pas qu’on ait des frustrations par rapport à ces rêves-là, mais en même temps c’est tellement improbable si tu veux. Comment tu peux espérer, en bricolant de la musique dans ton garage, te retrouver à faire ça. Nous on a eu la chance de le rencontrer pour de vrai. On a eu la chance de bosser avec Anton Newcombe dans son studio.On a fait des trucs qu’on n’aurait jamais espéré faire. Et là par exemple, on va tourner avec Keith Streng.
Quand on était môme, on allait voir les Flechtones avec Marie au Rockstore et on se mettait du côté de Keith parce que c’était notre préféré, tu vois. Et maintenant, il vient à la maison, on mange ensemble, il nous raconte des histoires sur le New York des années 70 complètement hallucinantes. D’ailleurs, il serait temps que quelqu’un lui fasse un livre. Parce que c’est quand même un mec qui était au cœur du truc au bon moment et au début du truc. Donc tout ça pour nous c’est incroyablement un vrai rêve, c’est vraiment cool cette vie qu’on a eue grâce au groupe.
LFB : Et justement pour moi l’album est un peu séparé en deux par la track instrumentale et j’aimerais te parler de la profonde nostalgie qui émane de la seconde partie de l’album. Est-ce que c’était quelque chose qui était voulu ?
Lionel : Non. Tu as ressenti ça ?
LFB : Ouais. Je trouve que ce soit l’adaptation des poèmes ou le fait de faire des reprises sur la deuxième partie de l’album, je trouve qu’il y a un côté un peu nostalgique.
Lionel : C’est marrant. C’est indépendant. Ce n’est pas un truc qu’on a calculé du tout. En tout cas, c’est la partie du disque la plus psychédélique et peut-être la plus mélancolique aussi. Et la mélancolie et la nostalgie, c’est deux choses qui se complètent et qui sont très voisines. Mais nous, je ne crois pas qu’on soit vraiment des gens nostalgiques.
Marie : La mélancolie, oui.
Lionel : La mélancolie, chez nous, elle a toujours été là, depuis le premier disque. C’est aussi un disque sur les gens. On a perdu des gens. On a perdu notre danseur au début de l’enregistrement. J’imagine que tout ça, c’est ressorti quelque part, ça a dû ressortir dans la musique et dans la manière dont on a monté le disque. Mais la nostalgie, je ne suis pas sûr. La mélancolie, oui. Mais je vois ce que tu veux dire.
LFB : Je la trouve super intéressante cette seconde partie de l’album. Comment on adapte des poèmes en chansons ? Parce que finalement là vous prenez un texte qui ne vous appartient pas à la base et vous en faites quelque chose qui vous appartient totalement.
Lionel : En fait, au départ, on a découvert le boulot de Bernard Heidsieck. On a travaillé sur ses textes à lui, c’est-à-dire que moi j’ai pompé un enregistrement sur YouTube, je l’ai isolé et j’ai fait un track par-dessus. Marie a fait la batterie, il y avait Keith qui était à la maison, il est descendu au studio et il a fait une bonne partie des guitares sur Tu viens, chérie, donc c’était son texte original. Et en fait, on trouvait que le mix de ces espèces de montagnes de guitares psychédéliques et de son texte qui était déjà produit comme une espèce de prestation psychédélique, parce que lui, il utilisait de la chambre écho, il utilisait des boucles, des répétitions des mots, les voix qui montent en transe, comme ça et tout. Ça collait parfaitement bien avec ce type d’arrangements-là. Malheureusement, on ne pouvait pas, pour des raisons juridiques, utiliser les enregistrements d’époque. Donc ce qu’on a fait, c’est qu’on a demandé, avec les gens de Because en face, l’autorisation à la famille de pomper la métrique, et l’idée mère en fait du truc.
Et tu viens chérie, devenue Tu viens Marie ? Il y a deux lignes. Mais autour de Vaduz, on a réécrit complètement, pour en faire Autour de chez moi, où on a pompé la manière de structurer, de placer les mots, et la répétition, et les espèces de beaux trucs comme ça.
C’est comme s’il avait fait une matrice, qu’on avait viré ses mots quand on les avait remplacés par les nôtres. Le seul truc dont on peut se vanter, c’est juste d’avoir eu l’idée de le faire finalement. Parce que c’est quelqu’un qui aurait pu faire. Si à l’époque il avait travaillé avec les gens de la musique expérimentale du moment, ça aurait pu donner des disques vraiment géniaux.
LFB : Mais ce qui est intéressant, c’est que finalement, Autour de chez moi, c’est un peu la quintessence des Liminanas. Il y a cette idée de titre hyper imposant de sept minutes avec une montée psychédélique.
Lionel : Il y a une version de quinze qui va sortir bientôt. La vraie version, elle fait 15.
LFB : Et ce morceau, la première fois que je l’ai écouté, je faisais d’autres choses et il m’a complètement happé.
Lionel : Ah, c’est cool.
LFB : Je ne pouvais rien faire d’autre que d’écouter le morceau. Et d’être pris dans une spirale, c’est ce truc hyper impressionnant.
Lionel : Et si tu écoutes ses textes sur le net, tu verras, c’est exactement ça. Sauf que lui, en plus, il n’a pas la musique. il a réussi ce truc-là avec les mots. C’est vraiment génial.
LFB : Et vous, vous l’avez fait avec la musique. Pour moi, c’est le morceau le plus important de l’album.
Lionel : Ah, c’est cool. Merci beaucoup pour ça.
LFB : Et c’est aussi ce qui montre la réussite. C’est vraiment un morceau où la première fois qu’on l’écoute, on ne peut pas faire autre chose que l’écouter, en fait.
Lionel : C’est cool.
LFB : Et ce qu’il y a d’intéressant aussi, c’est que celui-là et la reprise de Françoise Hardy, même si vous ne voulez pas parler de politique, ce sont des morceaux qui sont rattrapés par l’époque. Un peu contre vous, je pense.
Marie : Mais pareil avec J’adore le monde.
LFB : Oui, voilà, c’est ça. Sans le vouloir, il y a ce truc de morceaux qui font écho à ce qu’on vit actuellement.
Lionel : C’est clairement le cas, malheureusement, oui.
LFB : Parce que ce morceau-là, c’est un peu un appel à la diversité, malgré tout.
Lionel : Oui, absolument.
LFB : Et comment on réagit quand on réalise qu’on fait de la politique sans vouloir faire de politique ?
Lionel : Je ne sais pas. Ce qui me rassure, c’est que du coup, ça veut dire qu’on n’est ni à un groupe collé dans le passé, ni à un groupe de… Moi je n’ai jamais tellement été fan des groupes des années 80 qui étaient neo-60s et qui s’habillaient comme des groupes 60s et qui ne pratiquaient qu’avec des guitares d’époque et qui étaient hyper respectueux de tous ces dogmes-là. C’est un truc qui ne m’a jamais intéressé mais par contre je n’ai jamais vu de problème dans l’idée de mélanger ce qui pour moi était des classiques du genre donc la musique de Suicide pour moi maintenant c’est de la musique classique. Mais il n’empêche que ça peut quand même coller à son époque et si tu me dis ça ça veut dire qu’on colle à l’époque et ça c’est parfait.
LFB : Et il y a quand même, malgré tout, une volonté d’atteindre l’éternité et l’universalité dans votre musique.
Lionel : Oula, ça je sais pas.
LFB : Moi je le dis. Il y a ce truc de traverser les époques quand même avec la musique. Je ne sais pas si vous le cherchez.
Lionel : Non. Il n’y a jamais rien qui est réellement prémédité dans ce qu’on fait. Ce qui est certain, c’est que ce qui nous a sauvés, c’est le fait de ne plus tenir compte d’aucun dogmes qui sont ceux du rock à partir du moment où on a décidé d’être tous les deux.
Marie : C’est vraiment un mix de tout ce qu’on aime en fait, dans un spectre hyper large.
Lionel : Et de tout ce qui peut nous arriver aussi. C’est l’une des raisons qui peut expliquer l’état du rock aujourd’hui. À mon avis, c’est beaucoup l’entre-soi et les chapelles. Qui sont parfois nécessaires, parce que c’est aussi des manières de lutter contre l’envahisseur quand c’est la grosse variété. Mais aujourd’hui, il est clair que c’est la variété qui a gagné, mais par contre, ça laisse quand même un champ énorme de travail et d’expression pour tout le monde. Et c’est une époque où, par exemple, pour ne citer que lui, dans les mecs les plus rock’n’roll que j’ai rencontrés depuis 20 ans, il y a vraiment Laurent Garnier et dans le haut du panier, en termes d’intégrité, de façon de travailler et de mecs qui ne se laissent emmerder par personne. Didier Wampas en est un autre. Enfin des gens comme Pascal Comleade aussi, enfin c’est tous ces gens-là qui nous donnent envie de continuer quoi.
LFB : Un mec comme Bertrand Belin aussi.
Lionel : Bertrand c’est la même. Absolument.
LFB : Mais justement, en parlant d’éclater les chapelles, ça ne vous plairait pas d’avoir un rappeur ou un mec du hip-hop ?
Lionel : Si, si. On y pense vachement souvent, mais le truc c’est qu’il faut qu’on le croise, ou qu’il nous appelle. Là, il n’y a pas tellement longtemps, on a fait un live avec MC Solaar, c’était mortel, vraiment, de bosser avec lui. On a fait un track, mais c’était vraiment, vraiment cool et ça nous a confortés dans ce que tu dis. En plus, s’il y a vraiment une pratique qui nous correspondrait sur la narration et la façon de poser… Le hip hop ça nous plairait vraiment beaucoup. Il faut juste trouver quelqu’un qui a envie de le faire avec nous ou qui écrive des choses qui nous intéressent. Il y en a plein, c’est certain.

LFB : La dernière fois qu’on s’était rencontrés, je vous ai demandé si réaliser des films, ça vous intéressait. Tu m’as dit non. Là, vous êtes passés à être derrière la caméra.
Lionel : Non, c’est des clips.
LFB : Oui, mais tu as réalisé des clips. Il y a quand même un côté très cinématographique. Je me demandais ce que cette expérience t’avais apporté ? Parce que les sites sont très réussis.
Lionel : Ce n’est pas de la vraie réal’ dans le sens où ce n’est pas moi qui shootait les images. Pour moi, un réalisateur, c’est vraiment quelqu’un qui a une caméra avec lui et qui est capable d’inventer une situation, un cadre, etc. Là, moi, ce que je fais, c’est vraiment du montage, beaucoup à partir de l’IA que je suis en train d’apprendre au fur et à mesure. L’IA, dans ce qu’elle propose aujourd’hui, ce qui m’intéresse, c’est que ça reste un outil qui est tordu. Là, je suis en train d’en finir un autre sur Tu viens Marie ?. Par exemple, j’ai fait un micro-script qui se passerait à Brighton en 66 avec des mods qui fixent la caméra. Et en fait, c’est comme un animal. Les premiers essais sont loupés.Tu la nourris d’informations et au bout de 2 ou 3 jours, elle commence à s’adapter à ce que tu lui demandes. Et là, tu commences à avoir des trucs que tu avais en tête, mais aussi autre chose, elle te propose aussi d’autres trucs. Et dans l’arrière-plan, parce que ça ne fonctionne pas encore complètement bien, il se passe tout un tas de champs bizarroïdes, un peu lynchien, un peu cauchemardesque, comme ça, qui sont vachement intéressants. Et du coup, cet outil-là nous a permis d’inventer, de proposer vachement plus de clips que d’habitude. Il y a d’autres clips qui vont arriver qui ont été réalisés avec des outils plus traditionnels.
Là, j’apprends le montage et j’apprends… Si tu trouves qu’ils sont super réussis, ça me fait vachement plaisir parce que j’y ai passé du temps. Mais réaliser un film de cinéma, c’est quand même une autre crèmerie. J’ai trop de respect pour ces gens-là mais c’est vraiment toujours vrai. En fait c’est un truc, il y a beaucoup de gens qui s’improvisent réalisateurs et qui sont juste en fait des gens qui ont une idée de film et qui ont call un chef-op ou un premier assistant qui fait le film à leur place. Et ça évidemment c’est toujours possible mais ça ne m’intéresse pas vraiment. Puis je ne crois pas que les gens s’attendent à tant de bons films si tu veux pour l’année prochaine. Mais par contre c’est un métier qui me plaît. Enfin les gens du cinéma me passionnent.
LFB : Si justement Faded devait être catégorisé dans un style cinématographique, vous le mettriez où ? Parce que pour moi c’est un western.
Lionel : Ah ouais c’est marrant. Ben pourquoi pas un western, c’est une très bonne idée. Moi j’adore le western. Toi c’est un western spaghetti ou plutôt du côté John Ford ?
LFB : Pour moi, c’est un western parce que quand je pense à l’album, je vois de la poussière, du sang et des larmes. Et je ne vois pas autre chose qu’un western.
Lionel : Ok, ben c’est cool. Moi ça me va très bien. J’adore le western donc ça, ça me va très bien.
Marie : Moi je dirais plus un film comme Last Night In Soho.
Lionel : Donc toi tu vois ça plus comme un trip dans le temps ?
Marie : Oui.
LFB : Cette idée de rêve en fait, encore une fois.
Lionel : On adore ce film, on aime vraiment beaucoup ce film.
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