Félix Brassard : « J’aime le côté dark, mais j’essaie toujours de trouver la lumière dedans »

Sorti le 26 février 2025, Comme je noir marque un nouveau chapitre pour Félix Brassard. Entre spleen introspectif et arrangements lumineux, l’artiste dévoile un premier album francophone qui explore les contrastes, les passages à vide et les petits éclats d’espoir qui s’y glissent.

La Face B : Salut Félix !

Félix Brassard : Allô !

LFB : Comment vas-tu en ce moment ?

Félix Brassard : Très, très bien, merci ! Et toi ?

LFB : Ça va très bien aussi, merci. Tu peux nous dire à quoi ressemble ton quotidien depuis la sortie de ton album ?

Félix Brassard : C’est un peu comme un postpartum, je dirais. Tu laisses partir ton bébé, puis soudainement… plus rien. C’est vraiment étrange.
Souvent, quand on ne travaille pas dans le milieu musical, on ne réalise pas qu’un album, ce n’est pas une affaire de quelques mois. Ça peut prendre un an, deux, parfois trois. Dans mon cas, ça a duré près de deux ans, depuis les premières compositions jusqu’aux demandes de financements, aux enregistrements, au mix, au graphisme… tout ça prend énormément de temps.
Alors quand le lancement arrive, il y a un moment fort, un pic d’attention avec les médias, les amis, la famille, les collègues qui en parlent. Et puis, tout retombe. Ce n’est pas une déprime, mais un calme un peu angoissant qui s’installe. Comme un vide.
Du coup, mon quotidien est plutôt calme en ce moment. Je reprends mes activités, parfois en dehors de la musique, histoire de me changer les idées et de retrouver un équilibre.

LFB : C’est une longue gestation ! Tu as travaillé avec qui pendant ces deux ans sur cet album ?

Félix Brassard : C’est fou, hein ? Au début, j’étais complètement seul — j’écris, je compose, j’interprète.
La première à embarquer, c’était Sarah Dion, qui a co-réalisé l’album avec moi et joué les drums. On a beaucoup travaillé la forme des chansons ensemble, pour les épurer, les solidifier.
Puis, une fois les démos bien avancées, d’autres musicien·ne·s se sont greffé·e·s au projet : Donald O’Brien à la basse, Camille Gélinas aux claviers, Lyne Santamaria au cor français, Alex Dodier aux cuivres et à la flûte traversière, et Florence Lefebvre-Gagnon aux chœurs.
On a enregistré au Studio Poné et dans le studio des Shirley (le groupe de Sarah), le mix a été fait par Guillaume Chartrain, et le mastering par Phil Gosselin.
Même si j’avais des idées assez précises au départ, tout le monde a vraiment mis de sa couleur. Ils se sont approprié les morceaux, et c’est ça qui a donné vie à l’album.

LFB : Et ça t’a surpris, justement, de voir à quel point le projet a évolué grâce à eux ?

Félix Brassard : J’ai vraiment adoré cet aspect-là, de pouvoir leur donner les charts — donc la structure et la tonalité des chansons — pour qu’ils aient un repère, tout en leur laissant de la liberté.
C’est ce qui rend l’album aussi riche, selon moi. Quand tout vient d’une seule personne, ça peut devenir un peu unidirectionnel. Mais là, grâce à cette collaboration, il y a eu un vrai dialogue, des surprises musicales qu’on n’aurait jamais pu planifier.
Avec Sarah, on a vécu de super beaux moments de création, des choses inattendues qui ont vraiment nourri le projet. C’était vraiment le fun.

LFB : Donc, on peut dire que vous avez co-construit cet univers musical ensemble ?

Félix Brassard : Exact, ouais. Sarah a vraiment apporté des idées auxquelles je n’aurais pas pensé, comme le cor français ou la flûte traversière.
J’avais déjà une base, un univers avec la guitare, le sitar indien — des sons assez présents, qui prennent de la place — et elle est venue appuyer ça tout en y ajoutant sa propre couleur.
Elle avait aussi cette finesse pour savoir quand en mettre, quand en retirer. Parce qu’il fallait doser, laisser de l’espace. Pas tomber dans le « too much ».
Elle a fait un travail magnifique. Je me sens vraiment chanceux d’avoir collaboré avec elle. Elle est excellente.

Crédits : Bianca Des Jardins

LFB : Pour celles et ceux qui ne te connaissent pas encore, comment décrirais-tu ton univers musical — surtout quand on entend parler de sitar, de flûte traversière ou de cor français ?

Félix Brassard : Je dirais que la base, c’est le folk. Je compose surtout à partir de la guitare acoustique et de la voix, c’est là que tout commence. Mais c’est un folk qui tire un peu vers l’indie, parce que je m’éloigne des structures plus classiques, j’aime expérimenter.
Il y a aussi un petit côté pop, dans les mélodies et les formats, et un aspect plus « world » avec des instruments comme le sitar indien — que je joue moi-même —, la flûte traversière ou le cor français.
Ces sons-là viennent enrichir l’univers sans le surcharger. Même si je ne sors le sitar que pour une seule chanson en spectacle, les gens me retiennent souvent comme « le gars du sitar », et ça me fait sourire.
Avec Sarah, on a vraiment pris le temps de se demander ce que chaque chanson avait besoin. C’est comme ça qu’on a décidé d’ajouter, à certains moments, un souffle de flûte, une touche de cor, une texture inattendue. Toujours dans le souci de servir l’émotion sans tomber dans le trop-plein.

LFB : Tu parlais du sitar justement. C’est un instrument assez présent dans ton album, mais aussi dans ton ancien projet, Nolton Lake. Ça te vient d’où, cette envie d’intégrer le sitar à ta musique ?

Félix Brassard : J’ai toujours aimé ce son-là. Je ne me souviens pas exactement quand j’ai découvert le sitar, mais c’était sûrement en écoutant George Harrison ou Ravi Shankar, dont j’ai toujours été fan. C’est une figure majeure de la musique indienne, et accessoirement le père de Norah Jones !
Quand j’avais une vingtaine d’années, je suis parti seul en Inde pendant deux mois et demi. Je voulais voir ce que ça pouvait donner. J’ai pris des cours de sitar à Varanasi, une ville magnifique au bord du Gange. J’ai adoré l’expérience, mais à ce moment-là, je n’avais pas encore fait le lien avec ma propre musique.
J’ai ramené un sitar au Québec — ou plutôt, je me le suis fait poster — et il est resté un bon moment à prendre la poussière. Puis, quelques années plus tard, j’ai recommencé à en jouer, et c’est devenu clair : guitare acoustique et sitar, ça créait une ambiance unique.
C’est là que le projet Nolton Lake est né. J’ai eu beaucoup de plaisir à le faire, mais après un moment, l’anglais me parlait moins. J’avais envie d’écrire dans ma langue, le français. Alors j’ai laissé ce projet-là de côté, et c’est comme ça que le sitar s’est mis à tranquillement trouver sa place dans ma musique, de plus en plus naturellement. C’est un instrument vraiment particulier, qui m’accompagne depuis.

LFB : Est-ce que ça s’est fait naturellement cette transition ou t’as dû réapprendre à composer en français ?

Félix Brassard : Ça a été un vrai apprentissage. J’ai passé une partie de mon enfance au Vietnam, et l’anglais est vite devenu ma langue de tous les jours : l’école des Nations Unis, les amis, tout se passait en anglais. C’est aussi à ce moment-là que je suis tombé en amour avec la musique. Mon père écoutait Creedence Clearwater Revival, les Beatles, Van Morrison… alors naturellement, mes premiers accords de guitare et mes premières chansons étaient en anglais.
Même en revenant au Québec, je continuais à écrire dans cette langue-là. Puis un jour, on m’a suggéré d’essayer le français. J’étais réticent, mais j’ai fini par me lancer… et les premières chansons étaient franchement pas bonnes. Il m’a fallu en écrire une bonne dizaine avant de commencer à me sentir à l’aise.
En anglais, tu peux te cacher un peu derrière un personnage. En français, c’est plus frontal. Tu ne peux pas faire semblant, ça doit venir de toi car c’est ta langue maternelle.
Quand j’ai compris ça, j’ai ralenti, j’ai laissé de la place à quelque chose de plus vrai. Et c’est là que j’ai trouvé ma voix, autant au sens propre qu’au figuré. Le français m’a permis d’aller plus loin dans les textes, de parler de choses qui me touchent pour vrai. Aujourd’hui, je me sens bien là-dedans, et je vois pas l’intérêt de revenir à l’anglais.

LFB : En parlant de tes textes justement, l’une des particularités de tes chansons, c’est cette ambivalence entre des paroles assez sombres et des mélodies beaucoup plus lumineuses. Qu’est-ce que t’en penses ?

Félix Brassard : Absolument. C’est une image qui revient souvent dans mes bios : un voile sombre avec des petits trous de lumière. Et c’est vraiment comme ça que je perçois ma musique.
Souvent, les textes viennent en premier. Je pars d’un mot, d’une émotion, d’un détail qui m’inspire. Même si je suis quelqu’un de très heureux dans la vie, j’ai pas tendance à écrire sur les journées ensoleillées. J’aime mieux explorer des zones un peu plus sombres, plus sensibles.
Mais en musique, je cherche toujours quelque chose de beau, de doux, presque magique. J’aime les chansons qui donnent des frissons. C’est ce contraste-là entre la mélancolie des paroles et la lumière des mélodies qui me parle vraiment.
Il y a même des proches qui m’ont déjà appelé après avoir écouté une chanson pour vérifier si j’allais bien. Mais ce n’est pas forcément autobiographique : je pars d’une émotion, puis je l’extrapole.
Dans les nouvelles chansons que je compose en ce moment, il y a un peu plus de lumière dans les textes. Mais je pense que la mélancolie va toujours rester quelque part. C’est un peu ma signature.

Crédits : Émilie Poirier

LFB : Un bon exemple de cette ambivalence, c’est Murmure de haine. La mélodie est douce, presque lumineuse, alors que les paroles sont d’une noirceur assez marquée. Tu peux nous en parler un peu ?

Félix Brassard : Ouais, exact. C’est une chanson qui touche à un thème qui me suit depuis mes 20 ans, après mon voyage en Inde. C’était une période où je me posais mille questions : qui je suis, qu’est-ce que je veux faire de ma vie, où je m’en vais.
Après ces deux mois et demi en Inde, je suis allé fêter mon anniversaire à Paris avec des amis. Un soir, après avoir bu un peu, je me suis retrouvé seul sur le bord de la Seine. Et j’ai eu cette pensée : “si je tombais dans l’eau, là, maintenant, ce ne serait peut-être pas si grave”. Pas parce que j’étais malheureux, mais parce que tout me semblait tellement flou, complexe, immense.
Murmure de haine, c’est cette réflexion-là. L’idée de mettre fin à ses jours est présente dans le texte, oui. Mais la musique, elle, apporte quelque chose de lumineux, une forme de douceur, presque un apaisement. Et je pense que ça traduit bien le fait que, justement, je suis encore là, que j’ai choisi de continuer.
C’est cette tension-là entre l’obscurité et la lumière qui me touche. Et c’est ça que je trouve beau.

LFB : Et dans ton processus artistique, on sent aussi que le voyage occupe une place importante — à la fois les voyages physiques, mais aussi des voyages plus intérieurs. C’est quelque chose qui revient souvent dans ta musique, non ?

Félix Brassard : C’est vrai que c’est un thème qui revient, même si je l’avais pas formulé comme ça avant. Il y a par exemple Vagues folles, qui est presque une ode directe au voyage, à l’exploration, sans trop de métaphores cette fois. Mais pour le reste, si ça transparaît dans mes chansons, c’est sûrement parce que ça fait partie de moi, profondément.

LFB : Mais est-ce qu’il y avait quelque chose de conscient derrière ça ? Une émotion globale ? Parce que Vagues folles, oui, parle clairement de voyage au sens propre, mais dans l’album en général, on ressent aussi une forme d’introspection, presque de voyages intérieurs, voire antérieurs.

Félix Brassard : C’est vrai. Chaque chanson, d’une certaine façon, trace un chemin, un mouvement, un déplacement. C’est drôle que tu me dises ça, parce que je l’avais pas vraiment formulé comme ça dans ma tête, mais ça fait tout à fait sens.
Je pense que j’ai ce réflexe naturel d’aller vers ces thèmes-là. J’adore voyager, j’adore le mouvement, le changement de décor, et ça se reflète sûrement dans ma façon d’écrire.
Quand je compose un album, j’essaie quand même d’avoir une vue d’ensemble, de varier les thématiques pour éviter de raconter trois fois la même chose sous des angles trop proches. Mais c’est vrai que parfois, sans s’en rendre compte, on revient à des motifs récurrents — et chez moi, clairement, le voyage en fait partie.
Tu vois, ce que tu viens de dire, ça me donne presque envie de réécouter l’album en me demandant : « OK, où est-ce que je voyage, là ? » (rires)

Crédits : Émilie Poirier
Crédits : Émilie Poirier

LFB : Pour ton album, c’était quoi l’étincelle qui a déclenché sa création ? Et qu’est-ce que représente pour toi Comme je noir, la chanson qui lui donne son titre ?

Félix Brassard : Un jour, je suis retombé sur une vieille maquette oubliée dans un dossier de mon ordi. Elle s’appelle Boulevard des inconnus, et je ne me souvenais même plus pourquoi elle était en français. J’ai réécouté, et il y avait cette petite mélodie sur le mot « comme ». Et là, tout a débloqué. Tous les gens qui m’avaient dit « essaie donc le français »… on dirait que ça s’est allumé d’un coup.
Cette chanson-là m’a donné le ton de l’album. Elle faisait le lien entre mon projet Nolton Lake et cette nouvelle direction : acoustique, sincère, avec une touche de lumière dans la mélancolie.
Le titre Comme je noir est venu plus tard. J’avais du mal à trouver une phrase qui capte vraiment l’émotion de l’album. Et cette formule m’est venue, un peu comme une variation de « broyer du noir », mais transformée, poétique.
La chanson parle du sentiment d’attente, de stagnation. De voir les autres avancer pendant que toi, tu te demandes si tu es à ta place, si tu es assez bon. C’est une tristesse douce, pas de la jalousie, mais une noirceur d’artiste.
Quand le titre est arrivé, il s’est imposé. Il résumait exactement ce que je vivais. Et aujourd’hui, je suis content de l’avoir choisi. Je trouve qu’il représente bien l’album.

LFB : Si quelqu’un qui ne te connaît pas du tout tombe sur le titre Comme je noir et se demande « c’est quoi ça ? », est-ce que ce serait la chanson que tu lui conseillerais d’écouter en premier ? Ou il y en a une autre, selon toi, qui serait la meilleure porte d’entrée dans ton univers ?

Félix Brassard : Ouf… bonne question. J’ai un petit top 3 en tête — mais en te le disant, je vais essayer de me convaincre moi-même de laquelle je choisirais en premier !
Je dirais que Comme je noir, Boulevard des inconnus et Vagues folles seraient les trois à retenir. Mais si je devais en choisir une seule pour découvrir mon univers, je pense que ce serait Boulevard des inconnus.
Elle me représente bien. Le thème tourne autour de ma peur de la routine, mais pas juste la routine perso — plutôt celle de la société, à la 1984, où on avance tous un peu en mode automatique, comme des fourmis dans un système.
Et musicalement, elle combine plusieurs éléments que j’aime : le cor français, le sitar indien, une voix douce, une réalisation soignée… et en plus, je la trouve assez catchy. Donc ouais, ce serait ma chanson « carte de visite ».

LFB : C’est marrant parce que Boulevard des inconnus, c’est aussi le premier single que tu as sorti. Il y avait déjà cette idée-là de dire : « Si vous me découvrez, c’est par celle-là » ?

Félix Brassard : Ouais, je pense que la logique était là. D’ailleurs, Boulevard des inconnus a failli être le titre de l’album. Mais j’ai vite réalisé que si tu tapes “Boulevard” sur Google, c’est l’enfer. T’as Boulevard of Broken Dreams, Boulevard des… whatever, ça sort de partout. J’aimais mon titre, mais j’ai fini par laisser tomber l’idée.

LFB : Tu t’es fait noyer dans la masse des boulevards…

Félix Brassard : Exactement ! J’ai pensé à changer le titre de la chanson, mais je ne voulais pas. Alors j’ai gardé le morceau tel quel, mais pas comme titre d’album.
Et oui, c’est pour ça qu’elle est sortie en premier. Je trouve qu’elle représente bien ce projet-là. Après, pour le prochain EP, il y aura sûrement un petit virage, une autre histoire à raconter. Mais pour cet album, c’était celle-là.

LFB : Justement, pour cet album, t’as fait ton lancement le 11 mars au Verre Bouteille (Montréal). Comment ça s’est passé ? C’est quoi l’émotion que tu retiens de cette soirée-là ?

Félix Brassard : C’était vraiment une super soirée. J’étais entouré de musicien·ne·s incroyables, je me sentais tellement soutenu sur scène. J’ai eu tellement de fun… mais ça a passé en un éclair.
Tu travailles pendant des mois, et là, tu y es enfin. Tu joues une chanson, et déjà tu te dis « ah, c’est fini celle-là », puis une autre… et c’est comme si tout défilait trop vite. Je pense qu’on a joué une douzaine de pièces, avec une intro et un rappel. Et quand c’était terminé, j’étais presque triste.
Mais en même temps, j’étais rempli d’émotions. La salle était pleine à craquer, un mardi soir. Il y avait des gens du milieu, des artistes, des journalistes, des ami·e·s, de la famille… et même des visages que je connaissais pas, des gens venus pour découvrir. Tout le monde était super touché, et ça se sentait dans l’ambiance.
Ce que je retiens surtout, c’est une grande émotion de gratitude. Le disque avait déjà été lancé officiellement deux semaines avant, mais ce soir-là, c’était comme s’il prenait enfin vie, avec tout ce monde réuni pour l’écouter. C’était libérateur. Et très touchant.

Crédits : Émilie Poirier

LFB : Tu disais que tu travailles déjà sur de nouvelles chansons, un prochain EP. Tu peux nous en dire un peu plus ? Qu’est-ce qui s’en vient pour toi ?

Félix Brassard : Oui ! Même si l’album est sorti en février, j’avais reçu les versions finales des chansons en septembre, donc dans ma tête, ça faisait déjà un moment que c’était “fini”. Depuis, j’ai recommencé à composer pas mal. C’est quelque chose que je fais souvent, presque naturellement. Quand je prends ma guitare, c’est pour créer.
J’ai envie que le prochain projet soit un EP, plus court, plus intime aussi. Sur Comme je noir, il y avait beaucoup d’arrangements, parfois dix instruments par chanson. Là, j’ai envie d’un son plus cru : guitare, voix, peut-être un peu de sitar, et des musicien·ne·s invité·e·s en mode spontané. Je veux capter la magie du moment, laisser plus de place à l’impro.
Thématiquement, je veux aussi aller vers quelque chose d’un peu plus lumineux. Comme je noir était plus sombre, chargé. Là, j’ai envie d’un peu plus de clarté — sans tomber dans l’euphorie non plus — mais quelque chose de plus léger, plus en paix.

LFB : Donc, il n’y aura toujours pas de ciel bleu sur le prochain EP ?

Félix Brassard : Non, pas encore de ciel bleu… (rires) Mais j’ai déjà commencé à écrire pas mal. J’ai cinq ou six chansons en chantier qui pourraient faire partie du projet. Plus on compose, plus on apprend à aller à l’essentiel, à choisir les bonnes.
L’idée, ce serait d’enregistrer à l’automne, pour une sortie au printemps. Ou peut-être l’inverse, selon comment les choses avancent. Mais c’est pour bientôt.

LFB : Et en primeur, tu peux nous dire qui t’accompagnera sur ce nouvel EP ?

Félix Brassard : Oui, je peux t’en nommer trois avec certitude. Sarah Dion sera de retour à la co-réalisation, et si on ajoute des percussions ou du drum, ce sera elle aussi. Donald O’Brien revient à la basse. Et Alex Dodier, qui avait fait les cuivres et la flûte traversière sur l’album, sera là aussi.
Il y aura peut-être quelques chœurs avec Florence Lefebvre-Gagnon, mais je ne sais pas encore où ça va mener. Ce qui est sûr, c’est que ce sera une équipe plus réduite.

LFB : Un peu plus intime ?

Félix Brassard : C’est exactement le mot que je cherchais.

LFB : Est-ce qu’il y a une chose qu’on te demande jamais, mais à laquelle t’aimerais bien répondre? Ou peut-être un aspect de ton métier, de ton processus créatif ou de ta réalité d’artiste que t’aimerais mettre en lumière?

Félix Brassard : C’est une question qu’on me pose rarement, mais qui en dit long : combien de temps passes-tu à jouer de ton instrument? Et la vérité, c’est… beaucoup moins qu’on pense. En création d’album, oui, je suis dedans à fond. Mais après, je peux passer des semaines sans toucher à ma guitare. Parce que créer, c’est pas juste jouer. C’est aussi absorber, réfléchir, digérer ce qu’on vit. Et dans le quotidien d’un artiste, surtout au Québec, ce temps-là est précieux — et souvent grugé par tout le reste.
On en parle peu, mais vivre de son art ici, c’est une équation presque impossible. Il faut multiplier les jobs, apprendre à faire tout soi-même : booker, promouvoir, gérer, planifier. Et pendant ce temps-là, tu composes, tu t’épuises, et tu prends la route pour des shows qui te rapportent parfois moins que ce que t’as dépensé pour t’y rendre. Moi, je l’ai fait, partir à New York pour un show et revenir dans la même journée, dormir dans ma voiture parce que je ne pouvais pas me payer l’hôtel.
Les subventions existent, mais elles deviennent de plus en plus inaccessibles. Les conditions changent, les cachets stagnent, les salles ferment avec les plaintes de voisinage qui pleuvent. Et pendant ce temps, les artistes continuent, parce qu’on a ça dans le sang. Mais ça veut pas dire que c’est soutenable.
Je ne dis pas ça pour me plaindre. Juste pour qu’on prenne conscience. Si vous aimez un projet, un album, un spectacle : allez-y, achetez-le, partagez-le. C’est pas une question de sauver la culture, c’est juste une façon de la faire vivre, de lui permettre d’exister autrement que dans la survie.
Aujourd’hui, moi je cherche un équilibre. La musique, je veux la garder précieuse. Composer, enregistrer, sortir un EP aux deux ou trois ans, faire quelques beaux shows, collaborer avec des gens que j’admire. Créer sans m’épuiser. Parce que c’est là que l’art reste vrai.

Crédits : Émilie Poirier

LFB : Si t’avais un dernier message à faire passer aux gens — que ce soit pour les inviter à te découvrir ou juste un mot de la fin — ce serait quoi?

Félix Brassard : Je pense que je vais rebondir sur ce que t’as dit tantôt, à propos de cette espèce de fil conducteur de voyage dans mes chansons. J’inviterais les gens à écouter Comme je noir en mouvement. Que ce soit en marchant, en conduisant ou même en flânant un peu, je pense que l’album se prête bien à l’idée d’un déplacement, d’une errance douce. Moi, quand je l’écoutais ou que je le composais, je n’étais jamais statique. C’est peut-être un détail, mais je crois que ça dit quelque chose de l’univers que j’ai voulu créer.

LFB : Un album à écouter en déambulant, donc.

Félix Brassard : Exact. Écoutez-le en déambulant. C’est là qu’il vit le mieux, je pense.

LFB : Merci beaucoup Félix, c’était un vrai plaisir de plonger dans ton univers et d’avoir cet échange !

Félix Brassard : Merci à toi, puis merci à La Face B de me laisser parler de mon art de façon humaine et décontractée.

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