À la veille du lancement de son tout premier EP Pour combien de temps au Pantoum, Florence Breton nous ouvre la valise de ses émotions et de ses réflexions. Entre silences éloquents, voix feutrée et textes lucides, l’autrice-compositrice-interprète québécoise nous parle de temps qui s’étire, de peurs collectives, de féminisme et d’insomnies familières. Une entrevue comme une promenade en terrain sensible, à l’image de sa musique.

La Face B : Salut Florence, comment vas-tu ?
Florence Breton : Ça va bien, ça va très bien même.
LFB : On va ouvrir cette entrevue avec une question “brise-glace” comme on dit : si on ouvrait ta valise du moment, qu’elle soit réelle ou émotionnelle, qu’est-ce qu’on y trouverait ?
Florence Breton : Aïe aïe aïe… On y trouverait beaucoup de fébrilité ; il y a beaucoup de choses qui arrivent en ce moment. Beaucoup de grande joie mêlée à du stress, parce que c’est la première fois que je vis ça, que j’ai un lancement. Donc, un peu de stress au passage, évidemment. Un mélange de tout ça en même temps.
LFB : Une des choses qui t’arrivent en ce moment, c’est ton premier EP. Tu as décidé de l’intituler Pour combien de temps. Pourquoi poser cette question-là, et pourquoi une question plutôt qu’une affirmation ?
Florence Breton : J’ai trouvé le titre de l’EP après avoir écrit les quatre chansons. En les relisant une à une, je trouvais qu’il en ressortait beaucoup d’attente, et aussi beaucoup de questions. Donc, ça me semblait logique de ramener une question comme titre. Et la référence au temps est présente dans les quatre chansons. Ça créait une thématique globale pour l’EP.
LFB : Et en parlant de temps, est-ce que ça a un impact sur ton processus de création ? À l’heure où tout va vite, est-ce devenu un luxe de prendre le temps de créer ?
Florence Breton : Oui, je pense que la difficulté, c’est justement d’arriver à ralentir pour se poser des questions, pour être capable d’écrire. Pour moi, ça a été difficile parce que je mène souvent une vie très essoufflante, je surcharge mon horaire. M’asseoir pour prendre le temps d’écrire a été un beau défi. Et je dirais que ça a peut-être allongé le processus, ça a été assez long à écrire.
J’ai tendance à écrire un petit bout, puis à revenir quelques jours plus tard, à construire la chanson comme ça, au fil des semaines, des mois même. Et pareil pour les textes : j’ai changé certains mots le matin de l’enregistrement studio. Jusqu’à la dernière minute, je faisais encore des modifications.


LFB : Dans tes chansons, il n’y a pas qu’une histoire de temps, mais aussi un sentiment d’espace et de silence. Est-ce que tu cherches à faire parler le non-dit ou à souligner le poids des mots que tu choisis ?
Florence Breton : Je pense qu’il y a un peu des deux. Peut-être aussi l’envie de laisser aux gens l’espace de réfléchir aux mots qui viennent d’être dits. Pour que ça résonne dans leur tête.
Je dirais aussi qu’il y a certains passages musicaux qui parlent d’eux-mêmes et qui, pour moi, ont un sens dans l’histoire. Les mots disent une chose, mais les moments instrumentaux racontent autre chose. Et je pense qu’on peut prendre le temps de les écouter pour comprendre encore plus l’histoire que je veux transmettre.
LFB : En plus de ça, ta voix est douce, retenue, presque chuchotée. Est-ce que c’est une signature volontaire, ou c’est quelque chose qui vient naturellement ?
Florence Breton : Je chante comme ça vient, selon l’émotion que j’ai envie de transmettre. Il y a quelque chose de très intérieur dans ce que je raconte. Je chante plus fort quand j’ai un message à faire sortir. Donc, l’intensité de ma voix reflète les émotions que je veux partager.
LFB : Tu as un exemple à donner pour les personnes qui ne connaissent pas encore ton projet ?
Florence Breton : Dans le single que j’ai sorti, la première pièce de l’EP aussi, Mon silence, c’est surtout des doutes personnels. Ce sont des questionnements très intimes, autour d’une relation amoureuse.
Je la chante donc très doucement, pour traduire ce côté intérieur, introspectif. Alors que dans la dernière pièce de l’EP, La peur me guette encore, il y a des refrains plus éclatants, où j’ai envie que le message sorte de moi, qu’il aille jusqu’aux oreilles des gens. C’est peut-être la force émancipatrice, féministe, de cette chanson qui dit : “pourquoi les femmes ont-elles encore peur dans la vie ?” Ce n’est pas normal, et ça ne devrait pas exister.
LFB : On est bien d’accord ! Et justement, est-ce qu’il y a des scènes de ta vie, ou de celle des autres — des scènes dites “banales”, même si ce que tu viens de dire ne l’est pas — qui t’ont ouvert la porte à d’autres chansons ?
Florence Breton : Oui, pour La peur me guette encore, c’est justement ça. Une scène banale : revenir le soir seule, croiser quelqu’un qui semble inoffensif, mais quand même avoir peur, serrer ses clés dans sa poche. Ce n’est pas banal, mais c’est une image simple, malheureusement quotidienne pour beaucoup d’entre nous.
Et c’est ça le point : c’est devenu banal, alors que ça ne devrait pas l’être.
LFB : Cette chanson est très belle, mais on aurait préféré qu’elle n’existe pas pour ce qu’elle raconte…
Florence Breton : Oui, exactement ! Sinon, une autre image, dans À quoi ça sert de courir. C’est peut-être banal aussi : être trop fatigué pour fonctionner le jour, mais trop stressé pour dormir la nuit. Le jour et la nuit s’inversent.
Je pense que ça arrive à beaucoup de monde. Moi, en tout cas, ça m’arrive souvent (rires).
LFB : C’est quelque chose qu’on pourrait presque glisser dans ta valise émotionnelle du moment.
Florence Breton : Oui, en lien avec l’excitation du lancement. Je pense que ça va être un très bel événement. Je suis très contente que le public découvre enfin les chansons, que mes proches les aient enfin entendues. Je ne les avais pas fait beaucoup écouter à l’avance, même à mes amis ou à ma famille.
Et là, je reçois beaucoup de messages sur les réseaux sociaux, mais j’ai hâte de vivre ce moment-là en vrai, avec les gens, au lancement.
LFB : Tu vis comment ce lancement ? Comme un aboutissement, une nouvelle étape ou quelque chose de suspendu ?
Florence Breton : Un doux mélange de tout ça. Ça fait un an et demi que je travaille sur ce projet, donc c’est un aboutissement dont je suis fière.
Pour les gens, c’est le début de mon existence en tant qu’artiste. Et c’est positif : je vais essayer de surfer sur cette vague-là pour écrire de nouvelles chansons, faire d’autres spectacles, continuer à me déployer.
LFB : Tu fais partie de cette nouvelle génération de femmes sur la scène émergente québécoise. Est-ce que tu sens que les choses changent autour de toi, ou est-ce que tu trouves que c’est encore fragile ?
Florence Breton : Je n’ai pas encore beaucoup de recul pour dire si ça change vraiment. Ça dépend aussi des milieux. Je viens d’un univers académique assez calme, et là, je rencontre une scène un peu plus pop.
Il y a des différences. Mais je sens que les gens sont plus ouverts au dialogue. Si j’ai un inconfort, je peux en parler, et la majorité des gens vont accueillir ça sans jugement. Évidemment, il y en aura toujours pour qui ce ne sera pas le cas, des gens fermés.
Mais oui, je pense — et j’espère — qu’on avance. On le voit, ne serait-ce qu’avec des groupes plus paritaires. C’est un signe que les choses changent.

LFB : Espérons que ça continue dans ce sens ! En parlant de changements, tu as participé aux Francouvertes cette année. Est-ce que ça a marqué un tournant pour toi ?
Florence Breton : Oui, surtout pour ma carrière ! Je ne m’attendais pas à ce que l’EP et les Francouvertes soient aussi rapprochés. J’ai sorti le single le 20 mars, puis j’ai fait les préliminaires le 26 mars. À peine six jours d’écart !
Ça m’a beaucoup aidée pour le début de ma carrière. Avant même la sortie de l’EP, les gens de l’industrie avaient déjà vu passer mon nom. Ça a propulsé le projet, et j’en suis très contente.
Côté scène, c’était aussi un défi personnel. C’était notre troisième spectacle avec ce projet-là ! Monter sur la scène du Lion d’Or, c’était intimidant. Je m’attendais à un public très critique, à cause des commentaires à donner dans le cadre du concours, mais non : j’ai été agréablement surprise. Le public était ouvert, bienveillant.
Et les commentaires reçus étaient pour la plupart très gentils, certains constructifs. Une belle expérience, vraiment !
LFB : Une question que j’aime bien poser pour conclure : quelle est la question qu’on ne t’a jamais posée et à laquelle tu aimerais répondre ?
Florence Breton : Ouf, je pourrais y réfléchir longtemps ! Je me pose déjà tellement de questions à moi-même… Je pense que j’ai cette volonté-là dans mes chansons : me poser des questions à moi, mais aussi faire réfléchir les autres.
Si mes textes peuvent provoquer une réflexion chez quelqu’un, et qu’on peut ensuite en discuter ensemble, je trouverais ça fabuleux. Ouvrir un dialogue à partir de ma musique, ça me touche beaucoup.
LFB : Et s’il y avait une chanson en particulier à travers laquelle tu aimerais que ce dialogue commence, ce serait laquelle ?
Florence Breton : La peur me guette encore. C’est un sujet à creuser, sans fin. Si des gens veulent me partager leurs expériences, je serais vraiment heureuse de les entendre.
Ce serait enrichissant, autant pour eux que pour moi. Ça remet aussi en question nos rythmes de vie, ce qu’on choisit ou subit. J’ai encore tellement de choses à apprendre là-dessus !
LFB : Les gens savent maintenant qu’ils peuvent venir t’en parler ! Et pour toi, c’est quoi la suite ? D’autres réflexions en préparation ?
Florence Breton : Oui, j’ai envie d’écrire sur un deuil que j’ai vécu récemment. Et aussi d’explorer l’enfance.
Me lancer dans une carrière adulte me fait prendre du recul sur mon passé. J’aimerais aller revisiter des souvenirs.
Le côté féministe sera toujours là, c’est sûr. Je n’ai pas fini de creuser cette question. Et il y a aussi la gestion du stress et des émotions — c’est un sujet inépuisable.

LFB : On arrive à la fin de cette entrevue. Est-ce que tu veux ajouter quelque chose ?
Florence Breton : Oui, j’invite évidemment tout le monde au lancement le 10 mai au Pantoum (Québec) ! On sera six sur scène. Ceux et celles qui m’ont déjà vu savent qu’on était cinq ; cette fois, ce sera plus complet et le show sera plus long que 30 minutes. Ça va vraiment être un beau moment, très familial et amical.
LFB : Oui, et puis le Pantoum, c’est aussi là où tu as enregistré ton EP !
Florence Breton : Oui, exact. Tout l’enregistrement, la production, le mixage. Donc, c’est très logique que je fasse le lancement là-bas pour clore le processus.
LFB : On peut dire que la boucle est bouclée. Merci beaucoup Florence d’avoir pris le temps de discuter avec La Face B et bon lancement !
Florence Breton : Merci à toi pour ce beau moment !