Après un album éponyme qui a fait grand bruit, Gabi Hartmann est de retour avec son deuxième album : La Femme au Yeux de Sel. C’est à cette occasion que l’artiste parisienne a bien voulu nous accorder de son temps pour s’entretenir avec nous.

La Face B : Salut Gabi ! Merci beaucoup de m’accorder un petit peu de ton temps.
Gabi Hartmann : Avec plaisir !
La Face B : Tu sors à la mi-Mars ton nouvel album : La Femme aux Yeux de Sel. De manière générale, qu’est-ce que tu peux me dire sur ce nouvel album ?
Gabi Hartmann : C’est un album que j’ai construit à partir de cette chanson : Salinda, la fille aux yeux de sel. C’est un conte sur un personnage féminin qui traverse des épreuves et des obstacles. Ça se déroule comme un voyage. À travers chaque chanson elle vit différentes émotions, différentes épreuves dans sa vie.
La Face B : Tout justement tu disais que cet album avait un fil rouge avec une narration. D’où est-ce que cette histoire te vient et pourquoi as-tu décidé d’en avoir fait le fil directeur du disque ?
Gabi Hartmann : J’ai une nièce qui a trois ans et qui me demande souvent de lui lire des histoires. Ça m’a donné envie de créer une histoire pour enfants, comme un conte. J’étais intéressé par les histoires surréalistes, ça m’a grandement inspiré. Pour moi, c’était cette idée de voyage. Dans ma musique, souvent on peut me dire qu’il y a de la naïveté ou de la légèreté, mais il y a aussi de la mélancolie et de la recherche intérieure, de la douceur et de la méditation.
Je me suis rendu compte que c’était souvent les trois choses que je traversais dans ma vie ou alors que j’ai traversé dans le passé. Finalement ce conte de Salinda, avec ses yeux de sel ça me permet aussi de parler de moi et de l’univers de la mer qui m’inspire beaucoup. Cette fille, elle est sur une île, et dès qu’elle se met à pleurer elle voit de moins en moins bien parce que les larmes sont salées.
C’était une manière de raconter cette difficulté des femmes à gérer certaines émotions, avec les larmes, ce qu’elles vivent. Ce conte regroupait un peu tout ça. Puis ça me correspondait assez bien. Il y a un côté enfantin qui me correspond.
La Face B : Tu parlais de cette légèreté et du fait d’instaurer cette notion de voyage dans l’album. Je trouve que même musicalement tu voyages beaucoup. Tu accumules beaucoup de textures musicales différentes. Tu passes du Jazz à la musique française à des sonorités caribéennes. Est-ce que tu saurais identifier des influences qui t’ont dirigé vers toutes ces identités musicales différentes ?
Gabi Hartmann : Ça serait un peu long de décrire toutes mes différentes influences. Je citerais les musiques des Caraïbes, il y a la musique brésilienne aussi. Tu veux des références précises avec des artistes qui m’ont influencé ?
La Face B : Non pas forcément. Tu peux aussi nous donner des genres, des mouvements !
Gabi Hartmann : J’aime beaucoup la Rumba des îles, je peux te citer Marguerite Duras. J’adore Henri Salvador aussi. Tout ce qui a été fait dans la musique brésilienne dans les années 1970s.
La Face B : Pour continuer sur cette idée de voyage musical, tu fais partie de ces artistes qui dynamitent beaucoup les frontières du Jazz en France. Est-ce que c’est quelque chose d’intentionnel de montrer que le Jazz ce n’est pas un genre ou des codes très définis et qu’on peut en faire plus ou moins ce qu’on veut ?
Gabi Hartmann : Je ne me suis jamais revendiquée du Jazz. Ça a plutôt été les journalistes qui l’ont fait. Pour moi c’était de toute manière quelque chose que je faisais déjà. J’ai toujours aimé explorer différents styles. C’est vrai que c’est des chansons, et que ça a quand même sa place dans le Jazz. Je ne me limite pas qu’à ça et à la tradition du Jazz en chantant des standards. Puis la norme dans le Jazz c’est un style vocal qui n’est pas forcément le mien.
On m’a mise dans cette catégorie. J’ai une petite formation Jazz mais rien de plus, j’ai aussi étudié d’autres styles de musique. C’est plus représentatif de notre monde actuel. Pour moi, beaucoup de nouveaux artistes ont puisé un peu partout. Cette idée de cases et de genres, ce n’est plus très représentatifs.
La Face B : Finalement, cette case de chanteuse de Jazz dans laquelle on t’as mis, tu la subis presque plus qu’autre chose ?
Gabi Hartmann : Après c’est un débat, certains diront oui et d’autres non. Il y a la musique du monde, tu peux chanter en français ou en anglais. Je ne me limite pas à un style. Outre le Jazz, tu as aussi la Soul, c’est influencé par tout une culture. C’est plus large. Mais évidemment, c’est là aussi. C’est dans l’ADN aussi. Le Jazz c’est une musique que j’ai beaucoup écouté. Peut-être que ça s’entend aussi un peu dans le style. Ça arrange de mettre dans des cases, ce que j’essaye c’est de ne pas y être enfermée.
La Face B : Je vois. Tu jongles avec plusieurs langues dans ce nouveau disque. Comment est-ce que t’es venue l’idée de t’exprimer dans autant de langues différentes ? Est-ce que c’est toujours cette idée de voyage qui amène ça ?
Gabi Hartmann : Oui ! Je trouve que ça me définit. Ça a toujours été quelque chose que j’ai aimé faire. Je suis marqué par certaines chansons et elles ne sont pas forcément dans la même langue. Du coup je me suis dit que ça allait apporter quelque chose à cet album de présenter des belles chansons, même si ce n’est pas en anglais ou en français.
Je trouve que ça fait aussi du bien de faire découvrir aux gens des chansons dans des langues qu’ils n’ont pas forcément entendu. Mon but c’est aussi de faire découvrir des belles chansons, et les faire découvrir dans d’autres langues par la même occasion.
La Face B : Et du coup ce sont des langues que tu parles ou simplement des phrases que tu apprends pour les morceaux que tu chantes ?
Gabi Hartmann : Je parle le français, l’anglais et le portugais. Il fût un temps ou je parlais espagnol mais pas au même niveau que le portugais. Après dans l’album il y a du Xhosa, une langue d’Afrique du Sud mais que je ne parle pas.
La Face B : D’accord ! Même au niveau de la DA qui accompagne les singles, c’est très varié. Take A Swing at The Moon, par exemple, a une imagerie qui est très contemplative. Into My World, dont j’aime beaucoup le clip d’ailleurs, rend hommage aux années 1970s et 1980s. Est-ce que tu n’avais pas un peu peur que ça soit un peu périlleux de mélanger autant de choses qui sont, quand même, plutôt opposées en termes de genre et de style ?
Gabi Hartmann : Oui et non. Comme je te disais, c’est un peu mon style d’avoir autant de différentes esthétiques et de passer d’un genre à l’autre. C’est un peu ce qui me définit. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup d’artistes qui font ça.
La Face B : Oui, c’est clair. Puis ce qui est bien aussi c’est que ça permet de donner un peu plus d’intérêt, en quelque sorte, aux écoutes. On va avoir tendance à être plus concentré sur le disque, il y a tellement de choses qui se passent chanson après chanson qu’on est obligé de prêter attention pour comprendre ce qu’il se passe.
Gabi Hartmann : Oui, clairement.
La Face B : Tu avais certaines ambitions, précises ou non, quand tu t’es penchée sur la création de ce nouvel album ? À part bien sûr, comme tu l’as dit, de faire découvrir des belles chansons.
Gabi Hartmann : C’était cette idée de vraiment commencer l’album avec des chansons beaucoup plus up-tempo, joyeuses et naïves. Pour ensuite passer dans une ambiance plus mélancolique, avec ce sentiment de tristesse d’errance et de tristesse pour finalement revenir sur quelque chose de plus apaisé et de calme. J’avais envie de créer cette expérience. J’avais vraiment besoin de construire ces moments de musique dans l’album, c’était mon but.
Je voulais travailler avec de nouvelles personnes. J’ai travaillé avec Laurent Bardainne avec qui j’ai pu explorer de nouveaux styles, un petit Pop. C’est quelque chose que je n’avais pas fait auparavant. J’ai composé beaucoup de morceaux, toute seule avec mon groupe. Ça aussi c’est une nouvelle expérience. J’ai invité pas mal de nouvelles personnes dans cet album. Je pense notamment à Naïssam Jalal et au groupe Oracle Sisters. J’ai collaboré avec des nouveaux profils.
La Face B : Tu parlais de ce processus créatif qui comprenait beaucoup de nouveautés. As-tu adopté une méthode particulière pour préparer cet album ou c’est quelque chose qui s’est fait de manière très naturelle ?
Gabi Hartmann : Je travaillais avec différentes personnes. Chaque rencontre et collaboration amène à quelque chose de différent. C’est aussi ça qui fait que dans cet album, on ressent différentes influences et différentes expériences. Je n’ai pas voulu faire un album qui a un son unifié. Finalement, on passe d’une chanson à une autre, et c’est un producteur différent ou c’est une sessions différente. Ce n’est pas le même moment ou les mêmes musiciens. C’est comme des étapes. C’est comme un voyage où on passe d’un pays à un autre. En travaillant avec différentes personnes, ta musique ne sonne pas pareil.
La Face B : Du coup ce processus créatif, sur combien de temps il s’est étendu ? Combien de temps a duré la gestation de ce disque ?
Gabi Hartmann : C’est allé assez vite en fait. Ça a pris six mois. Entre le moment où j’ai commencé à réfléchir aux chansons, où j’ai commencé à trouver le fil directeur de cet album. J’ai commencé en Février ou en Mars, puis un an plus tard il est prêt. Donc à peu près un an oui, l’envie elle m’a pris six mois avant.
La Face B : Effectivement c’était quand même assez rapide.
Gabi Hartmann : Oui.
La Face B : Tu pars en tournée pour la sortie de cet album. Je suppose que tu as déjà commencé à préparer tout ça, à faire des répétitions etc. Comment tu te sens en interprétant ces nouveaux morceaux ?
Gabi Hartmann : Ça fait beaucoup de bien ! C’est agréable d’avoir un nouveau répertoire, d’avoir un nouveau groupe, de jouer avec de nouveaux musiciens. Après on a toujours l’appréhension de changer un peu de style.
La Face B : Après j’ai quand même l’impression les retours que tu as eu que globalement ça reste très positif.
Gabi Hartmann : Oui oui, après c’est en live que ça peut aussi être ressenti différemment.
La Face B : Je vois oui. Avant de mettre fin à l’interview, j’ai une petite tradition à laquelle j’aimerais bien t’introduire. Est-ce que récemment tu as eu un livre, un film ou un album qui t’as beaucoup plu, quelque soit le genre, et que tu aimerais recommander à nos lecteurs ?
Gabi Hartmann : Oui, ce serait cet album incroyable d’Esperanza Spalding et de Nelson Nascimiento.
La Face B : Oui !
Gabi Hartmann : Il faut absolument l’écouter. Je trouve ça très très beau. Ils ont fait une reprise de A Day in the Life qui est folle. L’album s’appelle Milton + Esperanza et c’est très beau.
La Face B : Je suis entièrement d’accord ! Merci beaucoup d’avoir pris un peu de ton temps pour moi. Félicitations pour l’album, il est vraiment très beau.
Gabi Hartmann : Merci !
La Face B : À la prochaine !
Gabi Hartmann : À la prochaine !