L’aîné du duo fraternel le plus harmonieux de ces dernières années se lance en solo. Brian D’Addario poursuit une musicalité semblable à celle de son groupe The Lemon Twigs, tout en y ajoutant ses messages personnels.

L’échappée belle d’un frère mélodiste
Malgré notre manque de connaissance du travail, et même de la personne, qu’était le professeur Albert Jacquard, nous prenons soin de citer l’une de ses phrases, afin de l’approprier ici au contexte du premier voyage seul de Brian D’Addario : « Appartenir à un tout n’empêche pas de s’appartenir à soi-même. »
Une phrase qui peut se décliner de plusieurs façons, mais qui, dans cet album, se traduit par une joie simple : celle de ressentir la liberté, en toutes circonstances, que l’on soit au sein d’un groupe ou en solitaire.
Arrivé sans prévenir, le musicien américain a annoncé en février dernier cette délicieuse nouvelle d’une aventure en solo, avec la parution d’un premier single. Celui-ci s’est imposé comme la chanson éponyme de l’album, accompagné de l’annonce de sa date de sortie.
Depuis ce moment, notre soif de mélodies n’a cessé de grandir. Habitués à la beauté du travail qu’il réalise aux côtés de son frère cadet, Michael D’Addario, nous attendions plus que jamais de nous imprégner de chaque titre de ce disque.
Enfin, nous y sommes parvenus. Après avoir immergé dans ces harmonies pendant près d’un mois, il est temps de remonter à la surface pour partager ce travail avec celles et ceux qui n’ont, pour l’instant, fait qu’effleurer l’eau du bout de l’orteil.
La première étincelle
Afin de s’aider à débuter quoi que ce soit, il est parfois nécessaire de visualiser un commencement sous une forme graphique, quelque chose qui symbolise cette première étincelle. Ici, nous pouvons imaginer une matinée douce et ensoleillée, prête à déployer ses premiers rayons pour éclairer le chemin. Till the Morning, morceau éponyme de l’album, se déploie comme une promesse tranquille, un souffle de lumière venant caresser les ombres du passé. La musique installe une sensation de légèreté, comme un instant calme où le monde semble encore immobile, suspendu à l’instant. Cette ouverture nous invite à entrer dans cet univers sonore avec punch et délicatesse. Les mélodies s’étirent et se fondent en une harmonie parfaite, comme un ciel bleu qui se laisse envahir peu à peu par la clarté du jour.
L’ambiance qui se dégage de ce morceau est celle d’une nouvelle aube, mais aussi d’une réflexion. Ce n’est pas simplement décrire un réveil, mais un renouveau, expliquer une réconciliation avec soi-même dans un instant suspendu. La légèreté des arrangements, le choix des instruments et la simplicité des paroles créent un équilibre intime. Cette chanson généreuse ouvre la voie à un disque où la quête de soi se mêle à l’acceptation du monde tel qu’il est. À chaque mesure, la lumière semble s’intensifier, le soleil venant inonder le paysage intérieur.
Silence et fragilité dans le bruit du monde
Song of Everyone prend le relais, plus douce et plus calme. Cela pourrait presque se présenter comme un poème chanté, une réflexion sur la place de l’individu dans un monde souvent trop bruyant. Nous prenons ici le temps de nous faire entendre le silence, de nous inviter à une pause. La guitare se dispose assez humblement mais en restant efficace, tandis que l’âme de ce titre offre une vision du monde où chacun semble porter en lui des fragments d’histoire. Ces accords sont une réussite à métamorphoser en sons cette question : comment être soi dans un monde où nous sommes constamment en relation avec les autres ?
Nothing On My Mind arrive avec sa touche si particulière. Là où la légèreté du premier titre pouvait se confondre avec l’éphémère, celui-ci s’invite avec une note plus country par certains angles tout en y mêlant presque la mélancolie. Ici, le thème du doute et de la recherche intérieure prend une forme plus brute, presque désenchantée. Le musicien ne cache pas son mal-être, mais sans jamais céder à la tentation du pathos. Un moment de fragilité où l’on se reconnaît, où l’on se perd, mais sans désespoir.
Quand le silence étreint les contradictions
Il faut alors tourner la page et découvrir One Day I’m Coming Home. Ce titre est une promesse d’un espace plus calme. Les accords sont doux, presque rassurants, mais derrière cette douceur, une autre histoire se raconte, plus intime et vulnérable. Comme un enfant qui se perd dans un monde trop grand, les textes nous parlent de ce besoin de revenir, de retrouver un ancrage. Ce retour est un chemin silencieux mais d’autant plus puissant dans sa forme. Les suites de notes se font plus amples, plus aériennes, tout en restant fidèle à une luminosité déjà installée, teintée cette fois-ci d’une légère rêverie.
Prenons un tour plus introspectif et grave. Only To Ease My Mind, plus audacieux dans son ton, nous plonge dans les contradictions d’un amour non réciproque. Nous parlons ici de la difficulté à exister sans l’autre, mais aussi de la douleur de vouloir ce qui nous échappe. Il n’y a ni jugement ni pitié, seulement une acceptation tranquille du chaos émotionnel. Les couches sonores se superposent, créant une sensation de lenteur, d’étouffement. Du fait de sa construction, son instrumentation et sa progression, il veut nous amener à un point de rupture, avant de revenir à la douceur de la mélodie. Une forme de catharsis silencieuse.
Une danse fragile vers une solitude et une révolte
Soudain, Flash in the Pan éclate, offrant une dichotomie saisissante. S’émanciper de toutes les frontières, de toutes les certitudes. La production prend des allures de révolte douce. L’influence des années 60 est palpable, mais ce n’est pas une simple rétrospective : c’est une réinterprétation, une manière de remettre en question les choses tout en jouant avec elles. Nous jouons auprès du doute et de la désillusion. Ce qui pourrait sembler une critique acerbe devient un jeu, un mélange d’humour et de réflexion. Le tout, porté par une guitare qui crache des riffs tout en allégresse, donnant au morceau une couleur singulière, presque psychédélique.
Company prend un autre tournant. D’abord au piano, la structure acoustique laisse place à des arrangements plus riches, plus électriques. La recherche de compagnie, thème omniprésent dans cet album, devient ici plus palpable. Brian D’Addario nous narre ces moments où, malgré tout ce que l’on peut avoir autour de soi, la solitude reste une compagne fidèle. Les idées mélodiques et d’instrumentation accompagnent cette réflexion, tantôt chaudes, tantôt plus froides, comme une réflexion qui reste en suspens. À chaque moment, nous basculons entre légèreté et pesanteur. Un titre où les contrastes se jouent à merveille.
L’Écho d’une liberté fugitive et la fraîcheur du détachement
This Summer nous projette dans une énergie brute, un cri de liberté sans filtre. Avec sa répétition envoûtante, une dynamique presque obsessionnelle, où l’envie de tout effacer, de tout redémarrer, se fait plus palpable. L’adrénaline monte lentement, comme si la chanson portait en elle une vérité incertaine, un désir de rédemption caché dans la violence même des mots. Le tempo accélère, tout se mêle dans une explosion sonore, et pourtant il reste quelque chose de simple, de primitif, dans cette quête d’une forme d’évasion.
La simplicité tente cette fois-ci de s’imposer avec What You Are is Beautiful, qui se situe au cœur de l’essentiel. La guitare et la voix se font aériennes, légères. C’est une toile lumineuse, presque naïve dans sa façon de célébrer la beauté de l’instant. Cette simplicité de vie n’enlève rien à la profondeur du message. L’artiste new-yorkais, par la tendresse de son chant, nous pousse à regarder au-delà des apparences, à voir cette beauté cachée dans les petites choses. Une balade pleine de délicatesse, un souffle de fraîcheur dans un album qui n’a cessé de naviguer entre ombre et lumière.
La beauté des lamentations et de la Libérations
Useless Tears est sans doute l’un des plus puissants. La tension, amplifiée par l’ajout d’arrangements orchestraux, confère à ce morceau une gravité frissonnante. Les violons, d’une intensité presque théâtrale, viennent ponctuer des vers empreints de colère et de désespoir. Néanmoins, là où l’intensité musicale aurait pu sombrer dans le trop-plein, le musicien parvient à maintenir une certaine distanciation, un regard lucide sur cette colère. C’est un morceau qui frappe, qui fait mal, mais qui reste profondément humain, dans toute sa contradiction. Ce titre prend des allures de catharsis, un cri de rage silencieux, mais magnifique. Il ne fait quasi aucun doute qu’il s’agit du coup de cœur de ce disque.
Spirit Without a Home ouvre la paume de sa main d’où se libère la fin de ce voyage sur une note douce-amère, comme un dernier souffle avant la fin. La mélodie, triste et belle à la fois, est le reflet d’un adieu et d’une acceptation. Le frère aîné D’Addario prône aussi son rôle de grand frère auprès de nous tous en faisant résonner sa voix comme un dernier hommage, une reconnaissance de ce qui a été perdu, mais aussi de ce qui reste. Ce dernier instant n’est pas un point final, mais plutôt une suspension, une réflexion sur le passage du temps et sur ce qui nous fait nous sentir vivants, même lorsque tout semble incertain. Un dernier soupir avant de tourner la page et de, pourquoi pas, se replonger dans tout ce que nous venons de traverser pour comprendre chaque idée et chaque note.
Évasion musicale en solitaire réussie
Till the Morning est un album qui se veut simple à aborder au premier abord, mais qui, lorsqu’on l’écoute, se révèle plus complexe et intéressant à maîtriser. Même si nous pensons qu’il reste encore tant de nouvelles sensations à découvrir à l’écoute de ces 11 titres. Brian D’Addario réussit son pari solitaire et offre cette bulle sonore de suspension et d’évasion sans nous déconcentrer complètement du réel.
Notre dernière interview avec The Lemon Twigs, juste ici.
Retrouvez Brian D’Addario sur Instagram et The Lemon Twigs sur Facebook et Instagram